Revue d'Evidence-Based Medicine



Diclofénac pour l’arthrose des mains



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 4 Page 48 - 49

Professions de santé


Analyse de
Altman RD, Dreiser RL, Fisher CL, et al. Diclofenac sodium gel in patients with primary hand osteoarthritis: a randomized, double-blind, placebo-controlled trial. J Rheumatol 2009;36:1991-9.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité, versus placebo, d’un gel sodique de diclofénac chez des patients d’au moins 40 ans souffrant d’arthrose de la main dominante ?


Conclusion
Cette RCT montre un bénéfice temporaire (à 6 semaines) d’un gel de diclofénac versus gel sans diclofénac dans le traitement de la douleur de l’arthrose des mains, avec amélioration de la raideur et des capacités fonctionnelles. Un bénéfice au-delà de 6 semaines de traitement ou lors de récidives reste à montrer. Une application locale 4x/j à la dose proposée dans cette étude (avec le coût y afférent) représentera probablement une prescription dissuasive.


 

Contexte

L’arthrose symptomatique des mains (articulations interphalangiennes distales et proximales, carpométacarpiennes du 1er rayon) touche environ 1 femme sur 4 et 1 homme sur 8 (1). Une synthèse méthodique de la littérature en 2005 (2) ne trouvait pas de preuves suffisantes d’efficacité/sécurité d’un traitement pour cette pathologie. Une RCT évaluant un traitement local, a priori, était la bienvenue.

 

Résumé

Population étudiée

  • 385 patients ≥ 40 ans souffrant d’une arthrose primaire de la main dominante douloureuse depuis au moins 12 mois avec recours à un AINS pour au moins 1 épisode, recrutés dans 65 centres aux E.-U. ; 77% de femmes, 63% âgés de 51 à 70 ans, 91% de droitiers, 52% sous AINS lors du recrutement
  • définition d’arthrose : hypertrophie nodulaire d’au moins 2 articulations sur 10
  • douleur initiale (dans les 24 h précédentes) d’au moins 40 mm sur EVA de 100 mm
  • grade 1, 2 et 3 au score de Kellgren-Lawrence (53% Kellgren-Lawrence de grade 3).
  • critères d’exclusion : grade 4 au score de Kellgren-Lawrence, arthrose secondaire, autre pathologie rhumatismale, autre pathologie non rhumatismale de la main (ou du membre) dominant, autres localisations douloureuses d’arthrose, signes biologiques d’arthrite rhumatismale, anamnèse d’autre pathologie inflammatoire, fibromyalgie, ambidextre.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo
  • période de lavage initial d’au moins 7 jours de tout médicament pour l’arthrose
  • apprentissage de l’application du gel
  • gel auto-appliqué 4 x par jour, 2 g par main à chaque application pendant 8 semaines
  • soit gel sodique de diclofénac 1% (n=198)
  • soit gel sans diclofénac (véhicule seul) (n=187)
  • paracétamol (comprimés 500 mg, maximum 4 g par jour) autorisé sauf dans les 36 h avant l’évaluation.

Mesure des résultats

  • critère primaire : intensité de la douleur (EVA de 0 pas de douleur à 100 mm douleur maximale) dans la main dominante dans les 24 h précédentes, score Australian/Canadian Osteoarthritis Hand Index (AUSCAN) total pour la main dominante, score global d’activité de la pathologie (EVA 0 très bon à 100 mm très mauvais) à 4 et 6 semaines
  • critères secondaires : début d’efficacité à 1 et 2 semaines, persistance de l’efficacité à 8 semaines, activité de la pathologie dans la main dominante, intensité de la douleur dans la main non dominante, scores AUSCAN partiels, efficacité en fin d’étude, critères de réponse OARSI (Osteoarthritis Resarch Society International)
  • analyse en ITT modifiée (application d’au moins 1 dose de gel).

Résultats

  • 87% de suivi
  • critères primaires (voir tableau) :
    • douleur significativement moindre à 4 et 6 semaines sous diclofénac
    • score AUSCAN total : significativement moindre à 4 et 6 semaines sous diclofénac
    • activité de la pathologie : tendance à l’amélioration à la 4ème semaine et significativement moindre à 6 semaines sous diclofénac
  • critères secondaires :
    • amélioration en général, entre autres pour le score OARSI
    • à 8 semaines, seule différence significative pour le score AUSCAN total (mais pas pour le score AUSCAN partiel index de la douleur (p=0,09))
  • effets indésirables : en général mineurs ; liés au médicament, le plus fréquent : paresthésie à l’endroit d’application ; pas d’événement cardiaque, ni de saignement gastro-intestinal ni d’ulcère.

Tableau. Résultats pour l’efficacité pour les différents critères primaires pour le groupe diclofénac versus groupe contrôle pour la différence d’amélioration exprimée enéchelles ou avec des instruments différents. Les résultats ne peuvent donc être rassemblés comme tels. Afin de pouvoir les sommer quand même, une technique de standardisation peut être utilisée."> taille d’effet (en %) avec la valeur p et résultats à 8 semaines (critère secondaire).

Critère

 

Semaine 4

Semaine 6

Semaine 8

Sévérité de la douleur d’arthrose

taille d’effet

valeur p

+30,1

0,018

+26,2

0,023

+19,9

0,06

Score AUSCAN total

taille d’effet

valeur p

+39,9

0,011

+39,2

0,006

+30,2

0,028

Auto-évaluation globale de la pathologie

taille d’effet

valeur p

+40,5

0,06

+41,7

0,023

+28,7

0,11

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le gel de diclofénac est en général bien toléré et efficace pour l’arthrose primaire de la main.

Financement 

Novartis Consumer Health (Suisse et NJ, USA) qui est intervenue dans la surveillance de la phase clinique et de l’analyse statistique et Endo Pharmaceuticals ; support éditorial de Complexe Healthcare Communications USA.

 

Conflits d’intérêt 

1 des auteurs est consultant pour la firme Novartis.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT présente de prime abord des garanties de bonne qualité méthodologique. La puissance est choisie à 90% en estimant qu’une différence de 7 mm (ET 20,5 mm) est statistiquement significative sur une EVA de 100 mm pour la douleur sur base de précédentes études ; en estimant une corrélation de 0,6 entre les 3 critères primaires, la puissance est de 80%. La pertinence clinique du seuil choisi (7 mm) reste à démontrer. L’étude est randomisée et contrôlée. Le processus de randomisation (élaboration de la séquence et respect du secret d’attribution) n’est cependant pas décrit. Un élément du protocole est fort étonnant : ce protocole prévoit un traitement de 8 semaines mais une évaluation des critères de jugement primaires limitée (initialement) à 4 et 6 semaines. En fait, c’est à la demande de la FDA qu’une évaluation d’efficacité/sécurité à 8 semaines a été faite, alors que les recommandations de l’OARSI pour les études cliniques de phase III n’exigent que 4 semaines de suivi pour tester l’efficacité d’AINS pour l’arthrose des mains. Dans leur méthodologie, les auteurs expliquent que l’arthrose des mains est caractérisée par un cycle variable et que c’est pour ce motif qu’une évaluation à 6 semaines a été également faite. Les auteurs ne mentionnent pas le critère d’évaluation de l’observance thérapeutique en cours d’étude (par exemple au moins 80%).

Interprétation des résultats

Une même observance thérapeutique est observée dans les 2 bras d’étude : 58,6% à 8 semaines avec le diclofénac, 57,8% sous « placebo ». Presque la moitié des participants, dans le cadre d’une étude, avec fourniture gratuite du gel, arrêtent l’application de celui-ci. L’observance dans la pratique, avec un gel relativement onéreux, et avec des doses importantes comme celles utilisées ici, sera donc certainement beaucoup plus faible. Le terme de placebo utilisé par les auteurs n’est pas exact, puisque le gel sans diclofénac a lui aussi un effet rubéfiant. Les différences entre gel avec diclofénac et gel sans diclofénac sont rapidement en faveur du premier pour 2 critères primaires sur 3, favorables pour tous les critères à 3 à 6 semaines puis à nouveau non favorables pour 2 critères primaires sur 3 à 8 semaines. Pour un critère secondaire, le score OARSI, le résultat est en faveur du gel diclofénac à 8 semaines. Ceci illustre bien qu’à force de multiplier les scores d’évaluation, il s’en trouvera toujours bien un pour montrer un résultat favorable. D’après les auteurs, cette absence de différence à 8 semaines est liée à l’évolution habituelle (favorable) de la douleur dans les poussées inflammatoires de l’arthrose des mains. Ils concèdent cependant, ensuite, qu’il reste à évaluer si ce gel de diclofénac garde un effet analgésique sur de longues périodes, ou, plus exactement, sur des poussées anti-inflammatoires répétées. Notons aussi que malgré des résultats jugés favorables au gel diclofénac durant les premières semaines d’application, il n’y a pas de différence entre les groupes pour le recours à d’autres médicaments analgésiques. Septante % des patients ont recours à du paracétamol à la semaine 1, 50% à la semaine 8, dans les deux groupes. L’expression des résultats en taille d’effet en % de la différence qui peut paraître élevée (p. ex. 30,1%) est en fait une valeur relative ; pour ce même critère, en valeur absolue, la différence absolue est de 9,8 mm sur une échelle qui en comporte 100. Les effets indésirables observés se limitent à des réactions locales. Des effets systémiques indésirables sévères, même s'ils semblent fort rares, sont cependant possibles (3).

Mise en perspective des résultats

Une méta-analyse (4), analysée dans Minerva (3) évaluant l’efficacité des AINS locaux pour soulager les plaintes liées à l’arthrose n’incluait que 2 études concernant l’arthrose des mains dont une datant de 2001 (5) sans comparaison versus placebo (diclofénac en application locale versus ibuprofène oral). Une méta-analyse plus récente (6) évaluant l’intérêt du diclofénac en utilisation topique ne retrouve que cette étude de 2001 avec limites méthodologiques reconnues par l’auteur principal. Un récent guide de pratique (7) propose de prendre en considération d’une part l’intérêt des AINS topiques pour le soulagement de la douleur en cas d’arthrose des mains (sur base de l’étude de Zacher 2001 uniquement) et d’autre part ces AINS topiques et/ou le paracétamol avant tout autre traitement médicamenteux analgésique (AINS, COXIBs, opioïdes). Par ailleurs, aucune comparaison n’est faite entre AINS topiques et paracétamol. Une synthèse méthodique de la littérature évaluant tous les traitements de l’arthrose de la main (2) ne permet aucune méta-analyse et les auteurs mentionnent que les preuves sont insuffisantes pour énoncer des recommandations fiables pour le traitement de l’arthrose des mains.

Pour la pratique

Aucun traitement de l’arthrose des mains ne peut être recommandé sur base de preuves fiables. L’attitude consensuelle de prendre en considération d’une part l’intérêt des AINS topiques pour le soulagement de la douleur et d’autre part ces AINS topiques et/ou le paracétamol avant tout autre traitement médicamenteux analgésique (AINS, COXIBs, opioïdes) est basée sur une politique du moindre risque. L’étude analysée ici, n’apporte pas de preuve incitant à modifier ce consensus : intérêt (limité) du diclofénac en gel à 1% sur la douleur, temporaire (pas de différence à 8 semaines), sans données à plus long terme et sur des poussées douloureuses récidivantes. Il n’y a pas de comparaison, dans cette étude comme dans les autres, entre un AINS local et du paracétamol par voie générale.

 

Conclusion

Cette RCT montre un bénéfice temporaire (à 6 semaines) d’un gel de diclofénac versus gel sans diclofénac dans le traitement de la douleur de l’arthrose des mains, avec amélioration de la raideur et des capacités fonctionnelles. Un bénéfice au-delà de 6 semaines de traitement ou lors de récidives reste à montrer. Une application locale 4x/j à la dose proposée dans cette étude (avec le coût y afférent) représentera probablement une prescription dissuasive.

 

Références

  1. Zangh Y, Niu J, Kelly-Hayes M, et al. Prevalence of symptomatic hand osteoarthritis and its impact on functional status among the elderly: the Framingham Study. Am J Epidemiol 2002;156:1021-7.
  2. Towheed TE. Systematic review of therapies for osteoarthritis of the hand. Osteoarthritis Cartilage 2005;13:455-62.
  3. Chevalier P. AINS topiques dans l’arthrose. MinervaF 2005;4(5):78-80.
  4. Lin J, Zhang W, Jones A, et al. Efficacy of topical non-steroidal anti-inflammatory drugs in the treatment of osteoarthritis: meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2004;329:324-9.
  5. Zacher J, Burger KJ, Farber L, et al. Topical diclofenac versus oral ibuprofen: a double blind, randomized clinical trial to demonstrate efficacy and tolerability in patients with activated osteoarthritis of the finger joints (Heberden and/or Bouchard arthritis). Aktuel Rheumatol 2001;26:7-14.
  6. Zacher J, Altman R, Bellamy N, et al. Topical diclofenac and its role in pain and inflammation: an evidence-based review. Curr Med Res Opin 2008:24:925-50.
  7. National Collaborating Centre for Chronic Conditions. Osteoarthritis: national clinical guideline for care and management in adults. London: Royal College of Physicians, 2008.
Diclofénac pour l’arthrose des mains



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