Revue d'Evidence-Based Medicine



Mesure de l’index cheville-bras avec un stéthoscope ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 2 Page 20 - 21

Professions de santé


Analyse de
Carmo GA, Mandil A, Nascimento BR, et al. Can we measure the ankle-brachial index using only a stethoscope? A pilot study. Fam Pract 2009;26:22-6.


Question clinique
Quelle est la fiabilité de la mesure de l’index cheville-bras par stéthoscope versus doppler pour le diagnostic d’artérite périphérique ?


Conclusion
Cette étude montre que la mesure de l’index cheville-bras (ICB) avec un stéthoscope peut être une alternative à un doppler pour montrer une artérite périphérique obstructive des membres inférieurs. Ces résultats intéressants demandent confirmation dans des études de plus grande ampleur, de meilleure qualité et en médecine générale. La mesure de l’ICB avec un appareil doppler reste la référence.


 

Contexte

Les lésions d’artérite périphérique obstructive (APO) peuvent être mises en évidence par le médecin généraliste grâce à la mesure de l’index cheville-bras (ICB) (1). Pour mesurer la pression artérielle au niveau des membres inférieurs, un tensiomètre avec appareil doppler est l’instrument de référence. Une valeur d’ICB inférieure à 0,9 est un argument fort pour le diagnostic d’une APO avec une sensibilité de 95% et une spécificité de 100%. Tous les médecins généralistes ne disposent pas d’un appareil doppler. Le stéthoscope pourrait représenter une alternative. Les sensibilité et spécificité de la mesure de l’ICB au moyen d’un stéthoscope n’étaient pas évaluées.

 

Résumé

Population étudiée

  • 88 patients, 64% d’hommes, 72% âgés de plus de 70 ans, référés à un laboratoire d’hémodynamique en raison d’un angor stable (16%), d’un angor instable (20%), d’un antécédent d’infarctus du myocarde (12%), d’un test à la marche anormal (20%), de claudication intermittente (1%), d’un antécédent d’œdème pulmonaire (2%), asymptomatiques (24%) ou autre raison (16%)
  • critères d’exclusion : <18 ans, angioplastie percutanée urgente, instabilité hémodynamique
  • autres caractéristiques : fumeurs 9%, ex-fumeurs 38%, hypertendus 61%, dyslipémiques 49%, diabétiques 22%, antécédents d’AVC 4%, d’infarctus du myocarde 15%, de revascularisation coronarienne 7%, d’angioplastie 10%.

Protocole d’étude

  • gold standard (test de référence) est surtout utilisé lors de la comparaison de tests diagnostiques et est alors défini comme le test qui peut le mieux discriminer entre les patients atteints ou non d’une maladie déterminée. Étant donné le fait que le gold standard est souvent un test complexe ou invasif (par exemple l’augmentation des antistreptolysines sériques entre un 2ème et un 1er prélèvement pour affirmer l’origine streptococcique d’un mal de gorge aigu) on utilise en pratique des tests diagnostiques moins précis. La valeur d’un test diagnostique est exprimée par rapport au gold standard en termes de sensibilité et de spécificité.">test de référence : ICB mesuré avec un appareil doppler
  • test index : ICB mesuré avec un stéthoscope
  • patient après repos en position couchée sur le dos pendant au moins 10 minutes ; brassard du tensiomètre appliqué et gonflé sur la jambe ; chiffre de pression à la reprise du flux sanguin observé avec doppler et au stéthoscope
  • pression artérielle systolique maximale au niveau de l’artère humérale bilatéralement, divisée par la pression systolique maximale au niveau de l’artère tibiale postérieure ou pédieuse
  • mesure effectuée par un médecin ou un étudiant en médecine entraîné, en insu des résultats avec l’autre test.

Mesure des résultats

  • seuil pour l’ICB : >0,9 = normal, ≤0,9 = anormal
  • sensibilité, spécificité, valeurs prédictives positive et négative, rapports de vraisemblance positif et négatif, avec IC à 95%, de l’ICB mesuré au stéthoscope versus au doppler.

Résultats

  • résultats de 7 patients sur les 88 éliminés parce qu’incomplets
  • incidence d’ICB anormal chez les 81 patients : 16 au stéthoscope, 14 au doppler
  • résultats : voir tableau
  • précision de l’ICB mesuré au stéthoscope : 87,7% ; courbe ROC indique la précision du test : égale à 1 si le test est parfait, à 0,5 si le test est sans valeur. Pour des critères binaires, la statistique C correspond à l'aire sous la courbe d'une courbe ROC.">AUC 0,895 (IC à 95% de 0,804 à 0,986 ; p<0,0001).

 

Tableau. Pour un ICB ≤0,9 mesuré au stéthoscope versus au doppler, sensibilité, spécificité, valeurs prédictives positive et négative, rapports de vraisemblance positif et négatif ; intervalle de confiance à 95% en %.

 

Sensibilité

71,4% (41,9 à 91,6)

Spécificité

91,0% (81,5 à 96,6)

Valeur prédictive positive

62,5% (38,6 à 81,5)

Valeur prédictive négative

93,8% (85,2 à 97,6)

Rapport de vraisemblance positif

7,93 (3,47 à 18,33)

Rapport de vraisemblance négatif

0,31 (0,14 à 1,96)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’ICB mesuré au stéthoscope est une méthode utile pour identifier une artérite périphérique et adaptée au dépistage d’une telle lésion en première ligne de soins.

Financement

Aucun n’est déclaré.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude diagnostique est correctement élaborée. Les tests index et de référence d’une artérite périphérique obstructive (APO) sont bien définis. Le choix du test au doppler de l’index cheville-bras est acceptable étant donné le caractère non invasif de ce test. Le seuil de 0,9 choisi correspond au choix des guides de pratique actuels. Le NHG-Standaard sur ce sujet mentionne que, en première ligne de soins, un diagnostic d’artérite des membres inférieurs est pratiquement certain (probabilité >95%) en cas de mesure unique d’ICB <0,8 ou en cas de moyenne sur 3 mesures <0,9. Une artérite est pratiquement exclue (probabilité <1%) en cas de mesure unique de l’ICB >1,1 ou en cas de moyenne sur 3 mesures >1,0 (2). Un autre point positif est le respect de l’insu du résultat de l’autre test lors des mesures.

Certaines limites sont cependant présentes au point de vue méthodologique. Les résultats de 7 patients sont exclus sans explication autre que leur caractère incomplet. Ceci est un biais possible. En outre, cette limite nous prive d’une information importante quant à l’applicabilité du test, comme, par exemple, en cas de comorbidité importante. L’intervalle de confiance à 95% mentionné pour le rapport de vraisemblance négatif (borne >1) est à mettre en doute.

Interprétation des résultats

Cette étude évalue que, pour un seuil d’ICB ≤0,9, l’examen au stéthoscope présente une sensibilité de 71,4% et une spécificité de 91%, ce qui correspond à une force probante de 7,93 (bonne) et à une force excluante de 3,18 (faible). Il est regrettable que les auteurs ne donnent pas de chiffres pour un seuil plus élevé. Pour une mesure de l’ICB par appareil doppler, la sensibilité, pour un seuil de 0,9, est de 82%, mais pour un seuil de 1,1 elle est par contre >99% (2). Dans l’interprétation des résultats de cette étude, il faut tenir compte du fait qu’elle inclut une population fort sélective, adressée pour référence à un laboratoire d’hémodynamique. Il s’agit aussi, dans ¼ des cas, de patients asymptomatiques pour une APO mais à risque cardiovasculaire élevé. La prévalence d’APO est moins élevée en pratique de première ligne que celle observée dans cette étude et donc l’intérêt de ce test pour le médecin généraliste en vue d’augmenter la probabilité du diagnostic demande une évaluation ultérieure.  

 

Autres études

Une autre étude (3) portant sur une évaluation identique mentionne chez un nombre fort important de patients (82% de ceux avec APO, 30% de ceux sans APO), l’absence des bruits de Korotkoff (“inaudibles”), ce qui montre que les résultats de cette étude soit sont peu pertinents, soit que le test au stéthoscope est difficile à réaliser en pratique. Chez 3 à 5% des patients présentant un diabète sucré les valeurs de l’ICB sont plus élevées en raison de vaisseaux plus rigides (2).

 

Pour la pratique

Les auteurs de cette étude concluent que la mesure de l’index cheville-bras (ICB) avec un stéthoscope peut être utile pour le dépistage de l’artérite périphérique obstructive (APO) en première ligne de soins. Cette étude étant réalisée en deuxième ligne de soins, une telle conclusion n’est pas possible. Le dépistage de sujets asymptomatiques n’est actuellement pas recommandé (1,2,4). La mesure de l’ICB est, par contre, nécessaire pour poser le diagnostic d’APO en présence de symptômes d’APO tels que claudication intermittente, douleur dans le pied au repos, sensation de pied froid ou insensibilité, troubles trophiques  des ongles, ulcères (1,2). La palpation d’une pulsation artérielle au niveau rétromalléolaire ou du dos du pied n’est pas fiable pour exclure une APO (2). Une mesure de l’ICB peut être utile (mais absence d’études comparatives) chez tout patient présentant un ulcère de jambe même si cet ulcère ne paraît pas artériel, une insuffisance artérielle étant fréquente chez de nombreux patients présentant un ulcère de jambe (5). Les résultats de cette étude ne permettent pas de conclure qu’une mesure de l’ICB au moyen d’un stéthoscope est une alternative à une mesure par doppler (avec brassard et manomètre dans les 2 cas) en pratique de médecine générale.

 

Conclusion

Cette étude montre que la mesure de l’index cheville-bras (ICB) avec un stéthoscope peut être une alternative à un doppler pour montrer une artérite périphérique obstructive des membres inférieurs. Ces résultats intéressants demandent confirmation dans des études de plus grande ampleur, de meilleure qualité et en médecine générale. La mesure de l’ICB avec un appareil doppler reste la référence.

 

Références

  1. Bruyninckx R. Plaintes de claudication : facteur prédictif d’artérite périphérique ? MinervaF 2007;6(1):6-8.
  2. Bartelink ML, Stoffers HE, Boutens EJ, et al. NHG-Standaard Perifeer arterieel vaatlijden (Eerste herziening). Huisarts Wet 2003;46:848-58.
  3. Takahashi O, Shimbo T, Rahman M, et al. Validation of the ausculatory method for diagnosing peripheral arterial disease. Fam Pract 2006;23:10-4.
  4. U.S. Preventive Services Task Force. Screening for peripheral arterial disease: recommendation statement. Am Fam Physician 2006;73:497-500.
  5. Nederlandse Vereniging voor Dermatologie en Venereologie. Richtlijn Diagnostiek en behandeling van het ulcus cruris venosum. CBO 2005.
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