Revue d'Evidence-Based Medicine



Antipsychotiques pour des douleurs aiguës et chroniques



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 10 Page 136 - 137

Professions de santé


Analyse de
Seidel S, Aigner M, Ossege M, et al. Antipsychotics for acute and chronic pain in adults. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 4.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité des antipsychotiques utilisés comme traitement adjuvant de syndromes douloureux aigus et chroniques chez des adultes ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique conclut à la possibilité de recourir à des antipsychotiques comme traitement analgésique adjuvant. Elle ne concerne que les antipsychotiques classiques et présente des limites méthodologiques importantes liées aux études incluses. Au vu du risque important d’effets indésirables avec tous les antipsychotiques (classiques comme atypiques) et de la faiblesse des preuves actuelles d’efficacité, leur emploi en traitement adjuvant de la douleur sera réservé à des syndromes douloureux non amendables par tous les traitements classiques, dans le cadre d’une approche globale et individualisée du patient qui a mal.


 

Contexte

Les antipsychotiques sont utilisés depuis un certain temps déjà en traitement adjuvant (souvent d’opioïdes) pour divers syndromes douloureux. Une étude a montré leur effet négatif sur l’évolution d’un angor instable avec augmentation de la mortalité (1). Dans une précédente méta-analyse (2), seules 10 études sur 15 avec puissance statistique plus élevée montraient un effet analgésique possible, sans pouvoir faire de différence entre l’effet analgésique et l’effet sédatif de ces médicaments. Cette recherche n’incluait pas les antipsychotiques atypiques.

 

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • Cochrane Pain, Palliative & Supportive Care Trials Register, Cochrane Central Register of Controlled Trials, MEDLINE, EMBASE, PsychLIT/PsycINFO jusqu’en octobre 2007
  • listes de référence des publications isolées
  • synthèses des Cochrane Database of Systematic Reviews et Database of Abstracts of Reviews and Effectiveness
  • consultations des auteurs et des firmes concernées.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées, contrôlées, en double aveugle, évaluant l’effet antalgique des antipsychotiques en monothérapie ou en adjuvant versus absence de traitement, placebo, autre traitement analgésique, chez des adultes des deux sexes, présentant une douleur aiguë ou chronique (ou les deux), de sévérité variée
  • critères d’exclusion : études non randomisées, sur douleur d’expérimentation, rapports de cas, études d’observation clinique (protocole ouvert), antipsychotiques utilisés pour traiter une douleur provoquée par d’autres médicaments
  • sur 51 potentiellement pertinentes, 11 ont été incluses, évaluant 9 antipsychotiques oraux différents.

Population étudiée

  • 770 adultes, hommes et femmes, de 30 à 316 par étude, avec douleur aiguë ou chronique
  • sévérité de la douleur initialement non spécifiée
  • étiologie : e.a. névralgie du trijumeau (N=1), névralgie post-herpétique (N=1), céphalées de tension (N=2), douleur rhumatismale aiguë (N=1), infarctus myocardique aigu (N=1), douleur post-opératoire (N=1).

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaire : moyenne pondérée" data-content="En mettant en commun les résultats individuels d’études dans une méta-analyse, une pondération statistique peut être attribuée aux résultats des études incluses. En attribuant ce facteur de pondération, il est possible d’attribuer dans l’analyse plus de poids aux études réalisées auprès de populations numériquement plus importantes ou de meilleure qualité méthodologique. La Différence Moyenne Pondérée est le résultat d’une méta-analyse incluant des études dont les résultats sont exprimés en variables continues (rapportées avec moyenne et écart type) pondérées et mises en commun.">différence moyenne pondérée (DMP) pour la réduction de la douleur entre le groupe antipsychotiques et le groupe contrôle ; différence pour le nombre de personnes sans douleur exprimée en Risque Relatif (RR)
  • critère secondaire : effets indésirables
  • analyse en protocole d’investigation et pour la méthode d’analyse. Des études sont dites hétérogènes quand elles divergent entre elles pour ces critères. S’il n’y a pas d’hétérogénéité statistique montrée, nous pouvons, dans une méta-analyse, utiliser le modèle d’effets fixes qui présuppose qu’il n’y a qu’une seule valeur sous-jacente pour l’effet constaté. Suivant ce modèle, une variation des effets observés est liée au hasard.">modèle d’effets fixes.

 

Résultats

  • réduction de la douleur (N=4) : significativement plus importante sous antipsychotiques : DMP -1,78 ; IC à 95% de -2,71 à -0,85 ; test I²=82%
  • nombre de sujets avec soulagement de la douleur (N=2) : significativement moins de personnes avec douleur sous antipsychotiques : RR 0,43 ; IC à 95% de 0,25 à 0,73 ; test I²=75%
  • effets indésirables : surtout extrapyramidaux et sédatifs sous antipsychotiques.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les antipsychotiques peuvent être utilisés comme traitement adjuvant contre la douleur. Les résultats sont cependant fort discordants pour les différents syndromes douloureux et la plupart des études incluent peu de patients. D’autres études sont nécessaires, évaluant les antipsychotiques atypiques, protocolées en double aveugle avec contrôle versus placebo et mesures standardisées de la douleur.

 

Financement

Département de Psychiatrie de la Faculté de médecine de l’Université de Vienne, Autriche.

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique est correctement élaborée. Malgré une recherche très large dans la littérature, les auteurs n’ont isolé que 11 études correspondant à leurs critères d’inclusion et d’exclusion. Un biais de publication n’est pas exploré, probablement, à juste titre, au vu du nombre faible d’études. La plupart des études incluses n’ont pas été récemment publiées et évaluent des antipsychotiques dits de première génération (alias typiques). Les antipsychotiques de nouvelle génération (dits atypiques) sont à peine ou pas concernés. Les auteurs n’attirent pas l’attention sur ce fait ni dans leur titre ni dans le résumé de leur publication. Ils ont contrôlé la qualité des études incluses et obtiennent un randomisation et l’insu sont corrects ou non corrects. Sur 5 points possibles, un score inférieur à 3 indique une qualité insuffisante. Le score de Jadad est modifié en ajoutant d'autres critères: mention des effets indisérables, description des analyses statistiques, mention des critères d'éligibilité.">score de Jadad d’une moyenne de 3 sur 5. Ils n’ont cependant pas tenu compte de cette qualité méthodologique lors de leurs méta-analyses. Une importante hétérogénéité clinique est présente entre les études qui concernent, notamment, des syndromes douloureux fort différents avec une intensité de douleur fort variable. Différentes échelles d’évaluation de la douleur ont été utilisées ; plus de la moitié ne sont pas validées.

Divers antipsychotiques ont été évalués, à différents dosages. Les populations d’étude sont, en général, faibles. Les traitements analgésiques concomitants ne sont pas décrits. La survenue d’effets indésirables n’est pas observée ni rapportée de manière systématique.

 

Interprétation des résultats

Deux lectures des résultats sont possibles : suivant le syndrome douloureux traité ou suivant l’efficacité globale des antipsychotiques.

Les résultats de 5 études seulement permettent de faire 2 méta-analyses différentes (N=4 et N=2, voir résultats) pour les critères primaires choisis. Ces résultats montrent une diminution significative de la douleur aiguë ou chronique avec les antipsychotiques versus placebo ou comparateur actif (tel que des antidépresseurs tricycliques). L’effet analgésique observé dans les études semble cependant fort différent selon le syndrome douloureux sous-jacent. Pour la migraine et les céphalées de tension, un résultat favorable est observé dans toutes les études (N=4) versus placebo ou comparateur actif. Pour la douleur neuropathique, un antipsychotique n’est pas plus efficace que de l’amitriptyline en cas de névralgie post-herpétique (N=1), mais supérieur à de la carbamazépine en cas de névralgie du trijumeau (N=1). Pour les autres syndromes douloureux observés (N=4), une différence d’efficacité analgésique significative en faveur des antipsychotiques n’est observée que dans le décours d’un infarctus aigu du myocarde.

Vu globalement, les antipsychotiques diminuent mieux la douleur que le comparateur de 1,8 points sur une EVA et environ 57% de personnes en plus déclarent un soulagement de la douleur avec ce traitement (NST de 2,6 selon les auteurs). La pertinence des résultats ainsi présentés est difficile à interpréter. Une hétérogénéité statistique importante est observée. L’hétérogénéité clinique est également conséquente : nature et sévérité du syndrome douloureux, type et dose d’antipsychotique, sévérité initiale de la douleur. Les auteurs concluent eux-mêmes à la variabilité des résultats, à la petitesse des échantillons d’étude, à la nécessité d’études au protocole plus strict (double aveugle, contrôle versus placebo, évaluation standardisée de la douleur) entre autres pour les antipsychotiques atypiques.

 

Autres études

Une plus-value des antipsychotiques a été récemment décrite dans le traitement aigu de céphalées primaires de survenue brutale, sans distinction quant à l’étiologie de ces céphalées (3). Une autre étude récente (4) ne montre aucune différence significative entre de l’olanzapine et du dropéridol en termes de diminution de la douleur, d’effet anti-émétique, d’acathisie, dans le cadre du traitement d’une douleur dans un service d’urgence. Il nous manque des études cliniques de bonne méthodologie et avec une population suffisamment importante évaluant l’efficacité des (nouveaux) antipsychotiques pour traiter la douleur.

 

Pour la pratique

Les antipsychotiques classiques comme les autres médicaments à action centrale, semblent plus indiqués dans des syndromes douloureux avec des modifications pathologiques avérées au niveau du système nerveux central (migraines, névralgie du trijumeau). L’initiation d’un traitement avec un antipsychotique restera cependant prudente, au vu des preuves scientifiques limitées et du risque élevé d’effets indésirables (sévères). Ce risque concerne non seulement une sédation et des symptômes extrapyramidaux, mais aussi des troubles métaboliques et psychiatriques. Le recours à des antipsychotiques pour soulager la douleur doit également toujours se situer dans le cadre d’une approche globale du patient qui a mal. La décision du médecin doit être basée sur les caractéristiques individuelles du patient, ses comorbidités éventuelles, la possibilité d’interactions médicamenteuses et le profil de sécurité spécifique de l’antipsychotique envisagé.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique conclut à la possibilité de recourir à des antipsychotiques comme traitement analgésique adjuvant. Elle ne concerne que les antipsychotiques classiques et présente des limites méthodologiques importantes liées aux études incluses. Au vu du risque important d’effets indésirables avec tous les antipsychotiques (classiques comme atypiques) et de la faiblesse des preuves actuelles d’efficacité, leur emploi en traitement adjuvant de la douleur sera réservé à des syndromes douloureux non amendables par tous les traitements classiques, dans le cadre d’une approche globale et individualisée du patient qui a mal.

 

 

Références

  1. Burduk P, Guzik P, Piechocka M, et al. Comparison of fentanyl and droperidol mixture (neuroleptanalgesia II) with morphine on clinical outcomes in unstable angina patients. Cardiovasc Drugs Ther 2000;14:259-69.
  2. Nix WA. What is certain in pain therapy? The analgesic potency of neuroleptics in the treatment of chronic pain. A meta-analysis. Schmerz 1998;12:30-8.
  3. Trainor A, Miner J. Pain treatment and relief among patients with primary headache subtypes in the ED. Am J Emerg Med 2008;26:1029-34.
  4. Hill CH, Miner JR, Martel ML. Olanzapine versus droperidol for the treatment of primary headache in the emergency department. Acad Emerg Med 2008;15:806-11.
Antipsychotiques pour des douleurs aiguës et chroniques



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