Revue d'Evidence-Based Medicine



Traitement comportemental et incontinence par impériosité



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 3 Page 32 - 34

Professions de santé


Analyse de
Burgio KL, Kraus SR, Menefee S, et al; Urinary Incontinence Treatment Network. Behavioral therapy to enable women with urge incontinence to discontinue drug treatment. Ann Intern Med 2008;149:161-9.


Question clinique
Un traitement comportemental permet-il aux femmes présentant une incontinence urinaire par impériosité d’arrêter leur traitement médicamenteux de cette incontinence ?


Conclusion
Cette étude, en protocole ouvert, concerne des femmes de 56-58 ans d’âge moyen, présentant une incontinence mixte (avec prépondérance d’incontinence liée à une instabilité vésicale). Elle présente de nombreuses limites méthodologiques. Elle ne montre pas l’intérêt d’associer un traitement comportemental (exercices du plancher pelvien et vésicaux avec modifications des habitudes de miction et d’ingestion de liquides) avec un médicament (toltérodine) pour maintenir, après l’arrêt du traitement médicamenteux, le bénéfice initialement observé.


Contexte

Les exercices du plancher pelvien et vésicaux sont les traitements non chirurgicaux les plus efficaces dans la récupération et le maintien d’une continence urinaire chez la femme ; certains médicaments (oxybutynine, toltérodine) peuvent également contribuer à diminuer le nombre d’épisodes d’incontinence (1,2). La supériorité en termes d’efficacité de l’association des deux types de traitement (toltérodine plus traitement comportemental comportant des exercices) n’avait pas encore été évaluée de manière rigoureuse.

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 307 femmes non hospitalisées ; âge moyen de 56 à 58 ans ; IMC moyen 33 kg/m²
  • recrutées dans 9 centres universitaires ou par voie d’annonce publicitaire
  • avec incontinence surtout d’impériosité ; 97,4% avec aussi une incontinence à l’effort
    majorité (66-67%) ≥ 14 épisodes/semaine
  • avec anamnèse médicale, examen clinique, calendrier des mictions sur 7 jours
  • inclusion : ≥ 7 épisodes d’incontinence sur 7 jours, incontinence ≥ 3 mois
  • exclusion : recours à des médicaments avec impact sur une incontinence urinaire, problème neurologique, maladie systémique.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, en protocole ouvert
  • 10 semaines de traitement soit par toltérodine à libération prolongée 4 mg/j (n=153) seule soit en association avec un traitement comportemental (n=154)
  • traitement comportemental (infirmière ou kinésithérapeute formé) : 4 séances à 2-3 semaines d’intervalle + brochure pour les exercices ; exercices individualisés à chaque visite selon les résultats
  • mesure des résultats 6 mois après l’arrêt des séances et de la toltérodine.

 

Mesure des résultats

  • critère primaire : mesure 6 mois après l’arrêt du traitement médicamenteux du nombre de femmes ne prenant plus de médicament ou d’autre traitement pour l’incontinence d’instabilité et présentant une réduction d’au moins 70% des épisodes d’incontinence versus nombre  initial
  • critère secondaire : modification de la fréquence des épisodes d’incontinence et des mictions ; scores pour évaluer la sévérité de la gêne ressentie, la satisfaction de la patiente, l’impact sur la qualité de vie ; effets indésirables
  • intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • 68 femmes en sorties d’étude et 2 sans calendrier des mictions (70/307 = 23%)
  • observance du traitement : 68%
  • critère primaire incontinence réduite d’au moins 70% après arrêt médicamenteux : 41% dans les 2 groupes
  • critères secondaires : diminution du nombre d’épisodes d’incontinence dans les 2 groupes statistiquement non significative ; sévérité de la gêne ressentie moins importante en cas de traitement associé mais pas de différence pour la qualité de vie malgré une satisfaction plus grande en cas de traitement associé
  • effets indésirables : pas de différence ; épisodes d’occlusion de l’intestin grêle dans les 2 groupes.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’ajout d’un traitement comportemental à un traitement médicamenteux peut réduire la fréquence des incontinences durant le traitement mais n’augmente pas la capacité de diminuer le traitement médicamenteux ni de maintenir l’amélioration obtenue pour le critère incontinence urinaire. L’association des deux traitements a un effet bénéfique sur la satisfaction du patient, l’amélioration perçue et la réduction des autres symptômes vésicaux.

 

Financement 

National Institute of Diabetes and Digestive and Kidney Diseases impliqué à tous les stades de l’étude ; firme Pfizer impliquée dans le contrôle et les commentaires sur le manuscrit.

 

Conflits d’intérêt

La plupart des auteurs déclarent de nombreux conflits d’intérêt à titres divers vis-à-vis de nombreuses firmes pharmaceutiques.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs de cette étude ont fait de louables efforts au niveau méthodologique. Ils protocolent une stratification selon le type d’incontinence (sur instabilité ou mixte), le nombre d’épisodes d’incontinence (7 à 13 ou plus) et le site de recherche. Ils contrôlent l’observance par un comptage des comprimés à chaque visite ; l’observance est jugée correcte en cas de prise d’au moins 80% des comprimés (effectif chez 68% des femmes). Ils réalisent une analyse des résultats en attribuant un échec de traitement à toutes les personnes avec données manquantes (worst case scenario de Sackett (3)), analyse qui ne montre pas de différence pour les résultats.

Par contre, ces auteurs nous livrent un titre trompeur : il ne s’agit pas, dans l’étude, d’une thérapie comportementale au sens strict du terme mais bien de l’apprentissage d’exercices et de modifications pratiques dans le domaine de la miction/ingestion de liquides. Le titre évoque également uniquement l’incontinence liée à une instabilité vésicale ; 97,4% des patientes incluses présentent une incontinence mixte. Le choix d’un protocole ouvert avec une évaluation de la satisfaction de la patiente, argument typiquement subjectif, par deux questions posées par le chercheur invalide cette évaluation de satisfaction. A force de multiplier les scores, il s’en trouvera toujours bien un pour lequel le résultat sera favorable.

Signalons aussi que les patientes du groupe traitement médicamenteux seul adoptaient certains des traitements plus comportementaux (recommandations pour l’ingestion de liquides, même calendrier des mictions complété), ce qui constitue un biais de contamination.

 

Mise en perspective des résultats

Les résultats de cette étude sont à interpréter avec beaucoup de réserves, en raison des limites méthodologiques décrites ci-dessus mais aussi en fonction des résultats eux-mêmes. Ils ne s’adressent pas à des patientes avec incontinence sur instabilité vésicale mais bien à des patientes avec incontinence mixte, même si elle est à prédominance d’instabilité. Ceci est important au vu de la connaissance d’une efficacité des exercices du plancher pelvien en cas d’incontinence d’effort ou mixte. L’observance du traitement médicamenteux n’est pas bonne : 68% des femmes sur 10 semaines de traitement, malgré des recommandations pour pallier les effets indésirables de ce traitement. La satisfaction de la patiente au niveau d’une amélioration ou non est jugée au moyen de deux questions. La sévérité du retentissement des symptômes en termes de gêne ou de pénibilité est évaluée au moyen de 2 autres tests. Un avantage pour ces 3 tests est observé en faveur du traitement associé. Notons la discordance entre cette satisfaction de la patiente jugée meilleure en cas de traitement associé et l’absence de différence sur l’échelle d’évaluation de la qualité de vie d’une part. Notons aussi la discordance entre cette meilleure satisfaction de la patiente, avec une perception d’amélioration des symptômes, et l’absence de résultat objectif en termes de nombre de femmes présentant moins d’épisodes d’incontinence avec le traitement combiné d’autre part.

Lors d’une analyse secondaire, les auteurs disent observer un effet plus favorable du traitement associé à la fin des 10 semaines de traitement en termes de fréquence des épisodes d’incontinence. La différence (0,9 miction (IC à 95% de 0,3 à 1,5) par jour en moins en cas de traitement associé (-0,5 versus valeur initiale)) est liée aussi à une aggravation dans le groupe médicament seul (+0,4 épisode d’incontinence par jour). Soulignons l’aggravation après 10 semaines sous traitement médical ainsi que la pertinence clinique probablement limitée de la différence observée. Une méta-analyse précédente de la Cochrane soulevait ce même problème de pertinence clinique (4) : Risque Relatif de guérison/amélioration de l’incontinence liée à une instabilité vésicale sous médicament anticholinergique : 1,41 avec IC à 95% de 1,29 à 1,54. Ceci représente 1 miction involontaire en moins par 48 heures pour des femmes qui en présentent 5 par 12 heures ou 8 par 24 heures. Les effets à long terme des anticholinergiques ne sont pas connus, les effets indésirables à court terme connus. Cette étude montrait aussi une efficacité très importante du placebo (45%).

L’auteur principal de cette publication-ci avait déjà réalisé une autre recherche (5) évaluant, chez des femmes âgées d’au moins 55 ans, le bénéfice d’un traitement associant un traitement comportemental assisté par biofeedback à un traitement médicamenteux (35 femmes au total). Dans cette petite étude, le traitement associé était proposé après un des deux traitements effectué seul pendant 8 semaines.

Au terme de l’étude analysée ici, sur une population plus importante, au vu du manque de preuve de l’intérêt d’associer les 2 traitements, les auteurs proposent de procéder par étape : initier un traitement unique (sans préciser lequel) et y adjoindre ensuite le second traitement en cas d’échec du premier. Leur publication n’apporte cependant pas les preuves nécessaires pour recommander une telle stratégie.

 

 

Conclusion

Cette étude, en protocole ouvert, concerne des femmes de 56-58 ans d’âge moyen, présentant une incontinence mixte (avec prépondérance d’incontinence liée à une instabilité vésicale). Elle présente de nombreuses limites méthodologiques. Elle ne montre pas l’intérêt d’associer un traitement comportemental (exercices du plancher pelvien et vésicaux avec modifications des habitudes de miction et d’ingestion de liquides) avec un médicament (toltérodine) pour maintenir, après l’arrêt du traitement médicamenteux, le bénéfice initialement observé.

 

 

Références

  1. Shamliyan TA, Kane RL, Wyman J, Wilt TJ. Systematic review: randomized, controlled trials of nonsurgical treatments for urinary incontinence in women. Ann Intern Med 2008;148:459-73.
  2. Chevalier P. Incontinence urinaire chez la femme : traitements non chirurgicaux. MinervaF 2008;7(8):118-9.
  3. Chevalier P. LOCF ou pas LOCF ? Quand les données manquent… MinervaF 2008;7(8):128.
  4. Hay-Smith J, Herbison P, Ellis G, Moore K. Anticholinergic drugs versus placebo for overactive bladder syndrome in adults. Cochrane Database Syst Rev 2002, Issue 3.
  5. Burgio KL, Locher JL, Goode PS. Combined behavioral and drug therapy for urge incontinence in older women. J Am Geriatr Soc 2000;48:370-4.
Traitement comportemental et incontinence par impériosité

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
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