Revue d'Evidence-Based Medicine



Telmisartan pour les patients à haut risque cardiovasculaire et intolérants aux IEC ?



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 1 Page 8 - 9

Professions de santé


Analyse de
Telmisartan Randomised AssessmeNt Study in ACE iNtolerant subjects with cardiovascular Disease (TRANSCEND) Investigators, Yusuf S, Teo K, Anderson C, et al. Effects of the angiotensin-receptor blocker telmisartan on cardiovascular events in high-risk patients intolerant to angiotensin-converting enzyme inhibitors: a randomised controlled trial. Lancet 2008;372:1174-83.


Question clinique
Chez des patients à haut risque vasculaire et intolérants aux IEC, quelle est l’efficacité préventive du telmisartan, en termes d’événements cardiovasculaires ?


Conclusion
Chez des patients à haut risque cardiovasculaire et intolérants aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion, cette étude TRANSCEND ne montre pas de bénéfice statistiquement significatif du telmisartan pour le critère primaire composite ni pour un critère secondaire semblable au critère primaire de l’étude HOPE avec le ramipril. En cas de prescription d’un médicament agissant sur le système rénine-angiotensine pour la prévention cardiovasculaire chez des patients à haut risque, un IEC reste un premier choix, mais il faut encore évaluer plus solidement le bénéfice incrémentiel de ces médicaments en ajout à ceux qui ont fait de plus amples preuves dans cette indication (antiagrégants plaquettaires, statines e.a.).


 

Résumé

Contexte

  • L’efficacité des IEC sur la prévention d’événements cardiovasculaires a été démontrée dans de nombreuses études chez des patients présentant une pathologie cardiovasculaire ou un diabète avec haut risque (lésions des organes cibles). Une étude montre la non infériorité du telmisartan par rapport au ramipril dans cette indication (ONTARGET (1)), sans évaluer l’efficacité versus placebo, évaluée dans cette autre étude. 

Population étudiée

  • 5 926 patients (43% de femmes) d’au moins 55 ans (âge moyen de 66,9 ans (ET 7,3) à haut risque cardiovasculaire : pathologie vasculaire (coronarienne, périphérique ou cérébrovasculaire) ou diabète sucré avec lésion d‘un organe cible, sans insuffisance cardiaque
  • et intolérance aux IEC
  • exclusion : insuffisance cardiaque congestive symptomatique et, entre autres, hypertension non contrôlée (> 160/100 mmHg), valvulopathie significative, artériopathie rénale, insuffisance rénale ou hépatique
  • co-traitement : statine 55%, bêta-bloquant 59%, aspirine 75%, diurétique 33%, inhibiteur calcique 40%.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, multicentrique, multinationale
  • intervention : soit telmisartan 80 mg/j (n=2 954) soit placebo (n=2 972)
  • randomisation stratifiée par hôpital après une période d’inclusion de 2 semaines sous telmisartan 80 mg/j
  • durée moyenne de suivi de 56 mois (quartiles (P75 et P25) et décrit ainsi les limites entre lesquelles les 50% moyens des résultats sont situés.">IQR 51-64 mois).

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire composite : décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral (AVC) ou hospitalisation pour insuffisance cardiaque
  • critère secondaire composite : décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde, AVC
  • autres critères secondaires : insuffisance cardiaque, survenue d’un diabète, FA, déclin cognitif ou démence, insuffisance rénale, revascularisation
  • adjudication centrale des événements
  • intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">analyse en intention de traiter.

Résultats

  • critère primaire : 465 (15,7%) sous telmisartan, 504 (17,0%) sous placebo ; HR 0,92 (IC à 95% de 0,81 à 1,05 ; p=0,216)
  • critère secondaire : 384 (13,0%) sous telmisartan, 440 (14,8%) sous placebo ; HR 0,87 (IC à 95% de 0,76 à 1,00 ; p=0,048 pour résultats non ajustés, 0,068 si ajustés)
  • hospitalisation pour pathologie cardiovasculaire : 894 (30,3%) sous telmisartan, 980 (33,0%) sous placebo ; HR 0,92 (IC à 95% de 0,85 à 0,99 ; p=0,025)
  • plus d’arrêts d’étude pour hypotension dans le groupe telmisartan (0,98% versus 0,54%)
  • pression artérielle moyenne plus basse dans le groupe telmisartan que dans le groupe placebo : pondération statistique peut être attribuée aux résultats des études incluses. En attribuant ce facteur de pondération, il est possible d’attribuer dans l’analyse plus de poids aux études réalisées auprès de populations numériquement plus importantes ou de meilleure qualité méthodologique. La Différence Moyenne Pondérée est le résultat d’une méta-analyse incluant des études dont les résultats sont exprimés en variables continues (rapportées avec moyenne et écart type) pondérées et mises en commun.">DMP 4,0/2,2 (ET 19,6/12,0) mmHg.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent à la bonne tolérance du telmisartan chez des patients intolérants aux IEC. Malgré une absence d’efficacité significative pour le critère primaire de cette étude, critère composite incluant les hospitalisations pour insuffisance cardiaque, le telmisartan réduit modestement le critère composite de décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde ou AVC.

Financement 

Firme Boehringer Ingelheim ; un auteur financé par des institutions canadiennes.

Conflits d’intérêt 

Quatre auteurs sur les huit ont reçu des honoraires de différentes firmes pharmaceutiques, à divers titres ; 1 auteur est employé par la firme qui finance l’étude.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT fait partie d’une constellation d’études évaluant le telmisartan : chez des personnes à haut risque cardiovasculaire (étude ONTARGET(1), précédemment analysée dans Minerva (2), en post AVC (3)). La publication des protocoles d’étude ONTARGET et TRANSCEND fut d’ailleurs simultanée (4) et les points communs entre les protocoles sont  nombreux. Cette publication-ci ne concerne que les patients intolérants aux IEC. Les auteurs estiment qu’environ 20% des patients ne tolèrent pas les IEC. Cette proportion paraît exagérée : dans l’importante étude HOPE (n=9 297) (5), 7,3% des patients arrêtent le ramipril en raison d’une toux, 1,9% pour cause d’hypotension ou de trouble de l’équilibre et 0,4% en raison d’angioedème, soit moins de 10% au total.

Interprétation des résultats

Un ajustement pour les modifications de pression artérielle ne montre pas de modification des différences observées entre les groupes. La puissance d’étude est estimée en fonction d’une différence d’efficacité que les auteurs avaient estimée à 19% de réduction de risque relatif pour le critère primaire. La différence relative observée versus placebo (8%) n’est pas statistiquement significative pour le critère primaire. Les résultats ne sont également pas favorables pour le telmisartan versus placebo pour le critère secondaire composite quand l’analyse est faite avec les ajustements nécessaires. Ce critère secondaire est le critère primaire de l’étude HOPE. Notons aussi que le telmisartan ne montre pas, dans cette étude, d’efficacité préventive sur la survenue d’un diabète (critère prévu dans le protocole) avec même une tendance à une incidence supérieure versus placebo. Cet élément, s’il est confirmé, pourrait remettre en question l’effet favorable revendiqué pour les sartans dans ce domaine, conclu lors d’analyses post-hoc mais finalement mal étayé (6). Dans un éditorial accompagnant cet article (7), Ripley conclut de l’ensemble des études qu’un bénéfice statistique et clinique du telmisartan ne peut ni être affirmé ni exclu.

Mise en perspective des résultats

Les auteurs font souvent référence, dans leur discussion, aux autres études récentes avec le telmisartan. Ils estiment que les résultats de cette étude TRANSCEND sont équivalents à ceux observés dans ONTARGET qui jugeait le telmisartan non inférieur au ramipril (2). Ils montrent aussi qu’en associant les résultats de cette étude TRANSCEND avec ceux de l’étude PRoFESS en prévention de la récidive d’AVC (3), certains résultats sont favorables mais cette sommation de résultats pour des populations avec des caractéristiques non identiques nous semble peu fiable. Les auteurs discutent beaucoup l’absence d’efficacité pour ce critère des hospitalisations pour insuffisance cardiaque ; d’autres sartans ont montré une efficacité dans la prévention de l’insuffisance cardiaque (études CHARM e.a. avec le candésartan), comme plusieurs IEC en résultats sommés (ramipril dans HOPE, trandolapril dans PEACE et périndopril dans EUROPA). Les auteurs soulignent que, comme pour les IEC (DREAM (8), ADVANCE (9)), une efficacité préventive des sartans en termes d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque n’est pas significative quand le risque initial cardiovasculaire est plus faible. Le critère secondaire composite de TRANSCEND était le critère primaire de l’étude HOPE. Cette étude incluait davantage de patients (n=9 297), à plus haut risque vasculaire en tenant compte de l’incidence d’événements dans le groupe placebo (17,8%) et montrait un résultat favorable pour le ramipril versus placebo : RR 0,78 ; IC à 95% de 0,70 à 0,86; p<0,001. Les patients de l’étude HOPE bénéficiaient également globalement beaucoup moins de co-traitements (statine 29%, bêta-bloquant 39%, antiagrégant plaquettaire 75%, inhibiteur calcique 47%). Les auteurs de TRANSCEND suggèrent que le bénéfice du telmisartan est peut-être non significatif dans leur étude en raison de l’atténuation du risque par les autres traitements instaurés (statine 55%, bêta-bloquant 59%, aspirine 75%, diurétique 33%, inhibiteur calcique 40%). En prolongeant cette réflexion, nous pouvons nous interroger sur le bénéfice réel pour nos patients d’un ajout d’un IEC (peut-être) ou d’un sartan (certainement) à une panoplie médicamenteuse déjà bien fournie. Seule une étude évaluant l’ajout de ce médicament à un traitement par ailleurs « maximal » nous éclairerait.

Pour la pratique

Chez des patients à haut risque cardiovasculaire, l’étude ONTARGET a montré que le telmisartan n’est pas inférieur au ramipril en termes de prévention d’événements cardiovasculaires, sans groupe placebo dans l’étude. L’efficacité (proportionnelle au risque initial) du ramipril est, par contre, prouvée versus placebo dans cette indication (étude HOPE). Les preuves d’efficacité du telmisartan sont globalement remises en question dans cette indication par cette étude TRANSCEND versus placebo. Pour les deux médicaments, l’intérêt de leur ajout à une prise en charge multimédicamenteuse bien menée (antiagrégant plaquettaire, statine, bêta-bloquant et/ou inhibiteur calcique s’il y a lieu) reste à établir de manière plus solide. Les résultats favorables de l’étude ONTARGET doivent être remis en perspective avec ces résultats récents.

 

Conclusion

Chez des patients à haut risque cardiovasculaire et intolérants aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion, cette étude TRANSCEND ne montre pas de bénéfice statistiquement significatif du telmisartan pour le critère primaire composite ni pour un critère secondaire semblable au critère primaire de l’étude HOPE avec le ramipril. En cas de prescription d’un médicament agissant sur le système rénine-angiotensine pour la prévention cardiovasculaire chez des patients à haut risque, un IEC reste un premier choix, mais il faut encore évaluer plus solidement le bénéfice incrémentiel de ces médicaments en ajout à ceux qui ont fait de plus amples preuves dans cette indication (antiagrégants plaquettaires, statines e.a.).

 

Références 

  1. ONTARGET Investigators, Yusuf S, Teo KK, Pogue J, et al. Telmisartan, ramipril, or both in patients at high risk for vascular events. N Engl J Med 2008;358:1547-59.
  2. Chevalier P. Sartan ou IEC chez des patients à haut risque vasculaire ? MinervaF 2008;7(9):132-3.
  3. Yusuf S, Diener HC, Sacco RL, et al; PRoFESS Study Group. Telmisartan to Prevent Recurrent Stroke and Cardiovascular Events. N Engl J Med 2008;359:1225-37.
  4. Teo K, Yusuf S, Sleight P, et al ; ONTARGET/TRANSCEND Investigators. Rationale, design, and baseline characteristics of 2 large, simple, randomized trials evaluating telmisartan, ramipril, and their combination in high-risk patients: the Ongoing Telmisartan Alone and in Combination with Ramipril Global Endpoint Trial/Telmisartan Randomized Assessment Study in ACE Intolerant Subjects with Cardiovascular Disease (ONTARGET/TRANSCEND) trials. Am Heart J 2004;148:52-61.
  5. Yusuf S, Sleight P, Pogue J, et al. Effects of an angiotensin-converting-enzyme inhibitor, ramipril, on cardiovascular events in high-risk patients. The Heart Outcomes Prevention Evaluation Study Investigators. N Engl J Med 2000;342:145-53.
  6. Sunaert P, Christiaens T, Feyen L. Un IEC ou un sartan en prévention du diabète ? MinervaF 2007;6(1):2-3.
  7. Ripley TL, Harrison D. The power to TRANSCEND. Lancet 2008;372:1128-30.
  8. De Cort P. Antihypertenseurs et survenue de diabète: des différences entre eux ? MinervaF 2008;7(1):4-5.
  9. Chevalier P. Association d’un IEC et d’un diurétique pour tous les diabétiques? MinervaF 2007;6(10):150-1.
Telmisartan pour les patients à haut risque cardiovasculaire et intolérants aux IEC ?



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