Revue d'Evidence-Based Medicine



Intérêt des médicaments antidiabétiques en cas d’insuffisance cardiaque



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 4 Page 56 - 57

Professions de santé


Analyse de
Eurich DT, McAlister FA, Blackburn DF, et al. Benefits and harms of antidiabetic agents in patients with diabetes and heart failure: systematic review. BMJ 2007;335:497-506.


Question clinique
Quel est l’impact de médicaments antidiabétiques au point de vue morbidité et mortalité chez des patients diabétiques présentant une insuffisance cardiaque ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique, ne permettant que des méta-analyses fort partielles d’études en majorité d’observation, montre que la metformine est le seul médicament antidiabétique qui ne soit pas associé à une nuisance chez des patients diabétiques présentant une insuffisance cardiaque. Sauf pour la rosiglitazone, pour laquelle une augmentation de risque est montrée pour les hospitalisations pour insuffisance cardiaque mais pas pour la mortalité globale, les données de la littérature sont actuellement insuffisantes pour déterminer la meilleure approche du contrôle glycémique chez de tels patients.


 

Résumé

Contexte

Les récentes controverses sur la sécurité cardiaque des glitazones ont, à nouveau, attiré l’attention sur l’importante prévalence d’une insuffisance cardiaque chez les diabétiques (présente chez 24 à 44% des adultes(1)). Une comparaison du rôle aggravant ou au contraire protecteur des différents traitements antidiabétiques proposés (insuline, antidiabétiques oraux) n’avait pas encore été faite sur base de l’ensemble de la littérature disponible.    

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • MEDLINE, Health-STAR, EMBASE, CINAHL, IPA, Allied and Complementary Medicine, Cochrane Central Register of Controlled Trials, Web of Science
  • listes de référence des articles
  • experts et auteurs des articles.

Etudes sélectionnées

  • RCTs ou études de cohorte comparatives évaluant l’administration d’antidiabétiques chez des patients diabétiques, avec insuffisance cardiaque, sur la mortalité ou une hospitalisation
  • 8 études sélectionnées.

Population étudiée

  • patients diabétiques avec insuffisance cardiaque
  • les caractéristiques des populations incluses ne sont pas données.

Mesure des résultats

  • critères recherchés dans les études : mortalité, hospitalisation pour toute cause, hospitalisation pour insuffisance cardiaque
  • analyse en modèle d’effets aléatoires si hétérogénéité (Test I² de Higgins).

Résultats

voir tableau

 

Tableau : Résultats des études et des différentes méta-analyses possibles (=*). En gras les résultats statistiquement significantifs. 

Traitement

Etudes (nombre de sujets sous ce traitement)

Mortalité globale

HR ajusté ou OR (IC à 95%)

valeur p, test I²

Hospitalisation (toutes causes)

(ré)hospitalisation pour insuffisance cardiaque

Insuline

 

Hétérogénéité pas de MA possible

   
 

1 RCT (168)

HR 1,66 (1,20 à 2,31)

   
 

1 RCT (706)

OR 1,25 (1,03 à 1,51)

   
 

1 RCT (43)

OR  3,42 (1,40 à 8,37) à 1 an

NS à 2 ans

   
 

1 cohorte

(8187)

HR 0,96 (0,88 à 1,05)

   

Metformine

3 (3 327)

Hétérogénéité pas de MA possible

OR 0,85 (0,76 à 0,95) *

p=0,004

 
 

1 cohorte versus autre traitement antidiabétique (406)

HR 0,92 (0,72 à 1,18)

   
 

1 cohorte (1 861)

   

HR 0,94 (0,89 à 1,01)

 

1 cohorte (1 833)

HR 0,66 (0,44 à 0,97) à 1 an

0,70 (0,54 à 0,91) à 2,5 ans

   

Glitazones

4 (3 409)

OR 0,83 (0,71 à 0,97) *

p=0,02

I² 52%

 

OR 1,13 (1,04 à 1,22) *

p=0,004

I² 0%

 

1 cohorte (255)

HR 1,04 (0,83 à 1,31)

   
 

1 cohorte (2 226)

HR 0,87 (0,80 à 0,94)

HR 1,04 (0,99 à 1,10)

HR 1,06 (1,00 à 1,12)

 

1 cohorte (818)

HR 0,98 (0,81 à 1,17)

   
 

1 RCT (110)

HR 1,50 (0,49 à 4,59)

 

RR 1,30 (0,35 à 4,82)

Sulfonylurées

2 (8 918)

HR 0,99 (0,91 à 1,08) *

   

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la metformine est le seul médicament antidiabétique non associé à une nuisance chez des diabétiques présentant une insuffisance cardiaque. Elle est associée à une réduction des décès de toute cause dans deux des trois études réalisées.                 

Financement

Canadian Institutes for Health Research et d’autres fondations scientifiques. Deux auteurs sont titulaires d’une chaire subsidiée par les firmes Merck, Frost et Aventis. Les sponsors ne sont intervenus à aucun des moments de la recherche.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs de cette méta-analyse ont bâti un protocole correct : recherche exhaustive dans la littérature et auprès d’experts (mais avec un biais de publication ou de sélection possible comme mentionné), évaluation de la qualité des études selon les critères validés de Downs, extraction des données selon les règles en vigueur. Le résultat est cependant tributaire des études disponibles pour les critères évalués : 1 RCT, 2 analyses en sous-groupes post hoc de RCT, 4 études de cohorte rétrospectives, 1 étude de cohorte prospective, avec les risques de présence de facteurs confondants. Cet ensemble d’études est trop souvent trop hétérogène (par médicament évalué) que pour permettre une méta-analyse, ce qui limite fort l’intérêt global de cette publication. La présentation des résultats est fort complexe pour un non initié mais reflète en même temps la qualité du travail d’analyse. La concordance interobservateurs pour l’inclusion des études (valeur kappa = 0,84) est très bonne. Un ajustement multivarié est pratiqué quand les données le permettent (HR ajusté). Toutes les études incluses sont récentes (dans les deux dernières années) et ont, quand les auteurs le mentionnent, une durée relativement courte (1 ou 2 ans) pour les critères observés.

Analyse des résultats

Les données concernant les caractéristiques des patients dans les différentes études sont absentes ; seule une partie des études fournit une analyse multivariée qui garantit une correction. Dans les autres études, étant donné qu’il ne s’agit pas de RCTs, une conclusion ferme est difficile : un traitement par insuline a pu être instauré préférentiellement à d’autres chez les personnes avec un diabète plus évolué ou avec une pathologie vasculaire associée ou avec les deux.

Pour l’insuline, la seule étude qui donne une analyse multivariée extensive pour les variables cliniques importantes, ne montre pas de risque de mortalité accru avec l’insuline versus autres médicaments antidiabétiques.

La metformine était formellement contre-indiquée en cas d’insuffisance cardiaque, contre-indication maintenant levée avec insistance sur la prudence à observer. L’observation d’une moindre incidence d’hospitalisation (pour toute cause) avec cet antidiabétique est à retenir (statistiquement significative dans une méta-analyse) mais reste d’interprétation difficile notamment par rapport à l’insuffisance cardiaque.

Les thiazolidines ont fait l’objet de plusieurs études (voir paragraphe suivant).

Pour les sulfonylurées, les deux études réalisées montrent des résultats contradictoires et leur méta-analyse ne montre pas de différence de risque versus autre traitement.

Une controverse existe sur l’HbA1c cible chez les patients diabétiques avec une insuffisance cardiaque : un contrôle strict (HbA1c ≤ 7%) pourrait être associé à une survie moins bonne qu’un contrôle moins strict chez ces patients (2). Il n’est donc pas possible de déterminer si les événements observés sont liés plus au traitement médicamenteux antidiabétique en cours ou à l’équilibre du diabète atteint. L’absence de données sur les co-traitements ajoute encore à l’incertitude des conclusions.

Mise en perspective des résultats

Comme le soulignent les auteurs, il y a peu d’études évaluant de manière comparative les traitements antidiabétiques dans une population de personnes présentant un diabète avec une insuffisance cardiaque, malgré la fréquence de cette association. Les auteurs font référence à une autre étude pour citer une prévalence de 24 à 44% chez les adultes diabétiques aux E.-U. sans préciser sur quels critères ce diagnostic est posé. Rappelons que le stade I de la classification New York Heart Association (NYHA I) est défini par la présence de plaintes minimes, sans limitation des activités. Combien de personnes, parmi nos patients diabétiques sont-elles dans ce cas, non dépistées comme insuffisantes cardiaques et devons-nous les dépister pour adapter leur traitement antidiabétique en conséquence ? La présente étude ne nous aide pas à répondre à cette question. Elle ne visait pas non plus à établir l’incidence d’une insuffisance cardiaque sous traitement antidiabétique, aspect abordé dans d’autres méta-analyses pour les glitazones : une méta-analyse pour la pioglitazone (3) et plusieurs méta-analyses pour la rosiglitazone (4). Une récente étude cas-contrôle sur une importante cohorte (n=159 026) de patients canadiens diabétiques âgés d’au moins 66 ans (5), montre sur un suivi de 3,8 ans, un risque accru pour une insuffisance cardiaque (RR 1,60 ; IC à 95% 1,21-2,10 ; p<0,001), pour un infarctus aigu du myocarde (RR 1,40 ; IC à 95% 1,05-1,86 ; p=0,02) et pour les décès (Rapport de Risque 1,29 ; IC à 95% 1,02-1,62 ; p=0,03) sous thiazolidine en monothérapie versus autres associations d’antidiabétiques oraux. Cette augmentation de risque semble limitée, dans cette étude, à la rosiglitazone.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique, ne permettant que des méta-analyses fort partielles d’études en majorité d’observation, montre que la metformine est le seul médicament antidiabétique qui ne soit pas associé à une nuisance chez des patients diabétiques présentant une insuffisance cardiaque. Sauf pour la rosiglitazone, pour laquelle une augmentation de risque est montrée pour les hospitalisations pour insuffisance cardiaque mais pas pour la mortalité globale, les données de la littérature sont actuellement insuffisantes pour déterminer la meilleure approche du contrôle glycémique chez de tels patients.

 

Lien vers l'article original complet du BMJ

Références

  1. Fonarow GC. Approach to the management of diabetic patients with heart failure: role of thiazolidinediones. Am Heart J 2004;148:551-8.
  2. Eshagian S, Horwich TB, Fonarow GC. An unexpected inverse relationship between HbA1c levels and mortality in patients with diabetes and advanced systolic heart failure. Am Heart J 2006;151:91.
  3. Chevalier P. Pioglitazone : risque cardiovasculaire par rapport à la rosiglitazone et aux autres antidiabétiques oraux. MinervaF 2008;7(2):18-9.
  4. Chevalier P. Les risques cardiovasculaires de la rosiglitazone. MinervaF 2007;6(9):136-7.
  5. Lipscombe LL, Gomes T, Lévesque LE, et al. Thiazolidinediones and cardiovascular outcomes in older patients with diabetes. JAMA 2007;298:2634-43.
Intérêt des médicaments antidiabétiques en cas d’insuffisance cardiaque

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

Jandrain B.
Service de Diabétologie, Nutrition et Maladies métaboliques, CHU de Liège
COI :

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