Revue d'Evidence-Based Medicine



Thérapie comportementale cognitive pour des plaintes médicales inexpliquées ?



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 4 Page 54 - 55

Professions de santé


Analyse de
Escobar JI, Gara MA, Diaz-Martinez AM, et al. Effectiveness of a time-limited cognitive behavior therapy-type intervention among primary care patients with medically unexplained symptoms. Ann Fam Med 2007;5:328-35.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de la thérapie comportementale cognitive (TCC) versus soins conventionnels sur les symptômes physiques et psychiques des patients de première ligne présentant des plaintes médicales inexpliquées ?


Conclusion
Cette étude montre qu’une thérapie comportementale cognitive (TCC) peut améliorer temporairement la sévérité de plaintes médicales inexpliquées. La pertinence des résultats n’est pas certaine ni leur extrapolabilité à la médecine générale belge. Une recherche effectuée aux Pays-Bas chez ce type de patients montre un bénéfice d’une TCC conduite par les médecins généralistes des patients en question.


 

Résumé

Contexte

Le médecin généraliste est régulièrement consulté par des patients qui présentent des plaintes médicales inexpliquées qui souvent traduisent une problématique psychosociale sous-jacente (1). Peu de stratégies thérapeutiques efficaces ont été élaborées pour ce groupe de patients (2).

Population étudiée

  • 172 patients (88% de femmes) d’un âge moyen de 40 (ET 13) ans, recrutés au départ de deux centres universitaires de santé primaire au Nouveau Brunswick (Canada), centres ayant une population principalement citadine, multiethnique, à faible revenu
  • critères d’inclusion : consultations répétées pour des plaintes médicales inexpliquées pouvant occasionner une détresse chez le patient et pouvant être d’origine psychiatrique ; au moins quatre plaintes inexpliquées pour les hommes et six pour les femmes
  • critères d’exclusion : affections psychiatriques et somatiques sévères.

Protocole d’étude

  • étude clinique contrôlée randomisée
  • les patients du groupe intervention (n=87) reçoivent une intervention standardisée de thérapie comportementale cognitive (TCC) comportant 10 sessions de chaque fois 45-60 minutes, données par des thérapeutes entraînés, et comprenant une association d’entraînement à la relaxation, d’activités encadrées, d’amélioration de la perception émotionnelle propre, de restructuration cognitive et de communication interpersonnelle
  • le groupe contrôle (n=85) reçoit des soins conventionnels administrés par le généraliste habituel
  • les médecins généralistes des deux groupes reçoivent une lettre précisant ce qui peut être ou non fait chez des patients présentant des plaintes médicales.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : sévérité et amélioration des plaintes somatiques sur le score Clinical Global Impression(CGI) ; les résultats sont répartis en, soit «  répondeurs » (amélioration importante à très importante au score CGI), soit « non répondeurs » (toute autre valeur au score)
  • critères de jugement secondaires : Medical Outcomes Study Short-Form General Health Survey (SF-36).">MOS-10 pour le niveau de fonctionnement physique, PHQ-15 pour la sévérité des plaintes somatiques, HAM-D pour la sévérité de la dépression, HAM-A pour la sévérité de l’angoisse et score sur une échelle visuelle analogique pour la sévérité des plaintes physiques inexpliquées
  • évaluation pour ces différents scores en début d’étude, après 3 mois (fin de l’intervention) et après 9 mois
  • analyse en intention de traiter.

Résultats

  • sorties d’étude après 3 et 9 mois : respectivement 25,6% et 44,8%
  • pour le critère de jugement primaire :
    • après 3 mois : 60% de répondeurs dans le groupe intervention versus 25,8% dans le groupe contrôle ; OR 4,1 (IC à 95% de 1,9 à 8,8 ; p<0,001)
    • après 9 mois : 50% de répondeurs dans le groupe intervention versus 31% dans le groupe contrôle ; p<0,09
  • pour les critères de jugement secondaires : pas de différences significatives entre le groupe contrôle et le groupe intervention.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que cette intervention de thérapie comportementale cognitive limitée dans le temps améliore de façon significative les plaintes somatiques inexpliquées des patients en première ligne de soins et offre une alternative potentielle pour la prise en charge de ces plaintes fort courantes et difficilement traitables.

Financement

National Institute of Mental Health.

Conflits d’intérêt

Aucune mention.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La définition de « plainte médicale inexpliquée » utilisée est : plaintes somatiques qui demeurent inexpliquées après un examen clinique et biologique correctement exécuté. La procédure de sélection des candidats pour l’étude semble difficilement reproductible, avec interférence possible de la subjectivité de l’équipe de recherche. Par exemple, moins de la moitié des patients référés sont inclus dans l’étude. Cette sélection subjective peut rendre une extrapolation des résultats plus difficile. Les groupes d’étude sont néanmoins composés de façon homogène. La randomisation s’est faite de façon correcte et les examinateurs qui évaluent les résultats le font en aveugle. Ces derniers chercheurs ont reçu une formation pour pouvoir déterminer un score pour les différentes échelles. Pour évaluer la variabilité inter-observateurs, les entrevues ont été enregistrées et réévaluées par un examinateur particulièrement expérimenté. Les résultats de cette évaluation ne sont pas disponibles dans cette publication-ci, ni les résultats du calcul de la puissance. Pour terminer, nous nous demandons si des valeurs seuils pertinentes ont été utilisées pour la répartition entre répondeurs et non répondeurs pour le score CGI (critère de jugement primaire).

Discussion des résultats

Les nombreuses sorties d’études affaiblissent les résultats de cette étude. En outre, nous pouvons nous demander si la fréquence accrue de consultations a influencé le résultat en faveur du groupe intervention. En effet, il est possible que l’amélioration subjective des patients soit liée à davantage d’attention reçue au vu du nombre plus important de contacts médecin-patient. Des différences moyennes, avec intervalles de confiance, ne sont pas données pour les critères secondaires. Deux valeurs p sont données pour les chiffres sans que des explications soient données sur leur mode de calcul statistique. L’auteur mentionne une large variation dans la taille de la réponse dans le groupe intervention, ce qui peut suggérer que certains patients nécessitent un accompagnement moindre alors que d’autres tirent bénéfice d’une thérapie plus intensive et, donc, l’importance probable d’une prise en charge différente, plus individualisée, dans ce groupe hétérogène de patients. Il est dommage que d’autres critères importants, tels que le recours à des soins médicaux, les coûts des soins et la satisfaction des patients et des médecins n’aient pas été évalués. Les résultats de cette recherche ne semblent pas extrapolables dans la pratique de médecine générale « moyenne » en Belgique : plus de 80% de la population incluse n’est pas d’origine caucasienne, le système d’organisation des soins est différent, la sélection des patients est subjective.

 

Autres études

La littérature apporte des preuves de l’utilité de la TCC dans l’accompagnement de patients présentant des plaintes médicales inexpliquées (1-7). Blankenstein (Amsterdam 2001) a étudié l’efficacité d’une TCC conduite par le médecin généraliste à ses propres patients présentant des plaintes somatiques. Cette étude clinique inclut 162 patients, traités par 20 médecins généralistes dont la moitié avait été formée aux techniques de TCC (5). L’autre moitié des médecins généralistes a délivré les soins habituels. L’intervention consistait en moyenne en trois consultations de 10 à 30 minutes. L’auteur conclut que, après un suivi de 2 ans, l’intervention de TCC est plus efficace que les soins habituels en termes de consommation médicale, de santé ressentie, d’absentéisme pour maladie, mais non pour la consommation de médicaments (1,6). Une méta-analyse des études n’est actuellement pas possible ; les études sont peu nombreuses, avec des interventions différentes, incluant des populations de patients présentant des plaintes médicales inexpliquées fort hétérogènes (2). D’autres études sont donc nécessaires. Malgré tout, la formation des médecins généralistes à l’utilisation des techniques de la TCC est utile, ces techniques pouvant être appliquées dans d’autres domaines (angoisse, dépression, arrêt du tabagisme, insomnie,..).

 

Conclusion

Cette étude montre qu’une thérapie comportementale cognitive (TCC) peut améliorer temporairement la sévérité de plaintes médicales inexpliquées. La pertinence des résultats n’est pas certaine ni leur extrapolabilité à la médecine générale belge. Une recherche effectuée aux Pays-Bas chez ce type de patients montre un bénéfice d’une TCC conduite par les médecins généralistes des patients en question.

 

 

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Références 

  1. Blankenstein N. Reattributie in de huisartspraktijk. In: van der Feltz-Cornelis C, van der Horst H, ed. Handboek somatisatie. Lichamelijk onverklaarde klachten in eerste en tweede lijn. 1th ed. Utrecht: De Tijdstroom 2003, p. 55-67.
  2. Huibers MJ, Beurskens AJ, Bleijenberg G, van Schayck CP. Psychosocial interventions by general practitioners. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 3.
  3. Speckens AE, van Hemert AM, Spinhoven P, et al. Cognitive behavioural therapy for medically unexplained physical symptoms: a randomised controlled trial. BMJ 1995;311:1328-32.
  4. Lidbeck J. Group therapy for somatization disorders in general practice: effectiveness of a short cognitive-behavioural treatment model. Acta Psychiatr Scand 1997;96:14-24.
  5. Blankenstein AH, van der Horst HE, Schilte AF, et al. Development and feasibility of a modified reattribution model for somatising patients, applied by their own general practitioners. Patient Educ Couns 2002;47:229-35.
  6. Blankenstein N. Somatising patients in general practice. Reattribution, a promising approach. Proefschrift 2001. Vrije Universiteit Amsterdam.
  7. Larisch A, Schweickhardt A, Wirsching M, Fritzsche K. Psychosocial interventions for somatizing patients by the general practitioner: a randomized controlled trial. J Psychosom Res 2004;57:507-14.
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