Revue d'Evidence-Based Medicine



Vitamines en prévention cardiovasculaire chez la femme ?



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 3 Page 46 - 47

Professions de santé


Analyse de
Cook NR, Albert CM, Gaziano JM, et al. A randomized factorial trial of vitamins C and E and Beta Carotene in the secondary prevention of cardiovascular events in women: results from the Women's Antioxidant Cardiovascular Study. Arch Intern Med 2007;167:1610-8. (Women’s Antioxidant Cardiovascular Study - WACS)


Question clinique
Quelle est l’efficacité de la vitamine C, de la vitamine E et du bêta-carotène, seuls ou en association, en termes de prévention cardiovasculaire chez des femmes à haut risque cardiovasculaire (au moins trois facteurs de risque ou antécédent) ?


Conclusion
Cette étude ne montre aucun effet versus placebo de l’administration de bêta-carotène, de vitamine C ou E, seules ou en associations variées, chez des femmes ayant fait un incident cardiovasculaire ou avec un risque élevé (plus de trois facteurs de risque), en termes de survenue d’événement cardiovasculaire.


 

Résumé

Contexte

Une alimentation riche en antioxydants (vitamines C et E, bêta-carotène) fournis par des fruits et des légumes prévient les pathologies coronariennes et les accidents vasculaires cérébraux (AVC). L’évaluation d’une administration de ces vitamines sous la forme de suppléments a montré des résultats décevants dans des études randomisées (1), sans toutefois évaluer la vitamine C dans ce domaine.

 

Population étudiée

  • 8 171 femmes, âgées d’au moins 40 ans (âge moyen de 60,6 ± 8,8 ans), en post-ménopause ou sans désir de grossesse, ayant fait un incident cardiovasculaire (64%) ou présentant (auto déclaration) au moins 3 facteurs de risque cardiovasculaire (36%) : hypertension, hypercholestérolémie, diabète sucré (19%), infarctus parental avant 60 ans, IMC > 30 kg/m², tabagisme
  • critères d’exclusion : cancer, affection non cardiovasculaire sévère, anticoagulothérapie
  • au départ d’un hôpital de Boston (E.-U.).

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée versus placebo, en double aveugle
  • protocole factoriel est élaboré pour une étude qui vise à évaluer simultanément deux ou davantage de facteurs/interventions/traitements. Les facteurs/interventions/traitements sont alors associés ou non différemment selon les différents (sous-)groupes de l’étude. Il est également possible, dans ce genre d’étude, d’analyser les interactions entre les facteurs/interventions/traitements étudiés.">protocole factoriel 2 x 2 x 2 : administration d’un traitement parmi : vitamine C (500 mg/j), acétate de d-alpha-tocophérol (vitamine E 600 U.I./j), bêta-carotène (50 mg/j), en monothérapie ou en association de 2 ou des 3, avec placebo correspondants (8 groupes ; maximum de 3 substances actives)
  • suivi durant 9,4 ans en moyenne de l’observance, des effets indésirables et des événements, communiqués par questionnaire systématique ou par appel téléphonique
  • décès communiqué par un parent, les services postaux ou un registre national.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement dans une étude est dit composite s’il est composé d’un ensemble d’éléments, par exemple l’association d’infarctus du myocarde, d’angor et de décès. Un critère de jugement composite peut poser un problème de pertinence si la composante qui a le plus de poids (plus fréquente, davantage modifiée par le traitement) est cliniquement faiblement pertinente.">critère de jugement primaire composite : événements cardiovasculaires, mortalité cardiovasculaire, incluant infarctus du myocarde, AVC, processus de revascularisation coronaire (pontages, angioplastie transluminale)
  • critères secondaires : différents événements cardiovasculaires précités, séparément, décès cardiovasculaire
  • intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • critère de jugement primaire composite : survenue d’1 événément chez 1 450 femmes au total dont 995 décès (395 d’origine cardiovasculaire)
  • monothérapie par vitamine C ou E ou bêta-carotène : aucune différence entre les groupes traitements actifs ou placebo pour les critères primaires et secondaires sauf un effet limite favorable pour la vitamine E dans un sous-groupe de femmes en prévention secondaire : RR 0,89; IC à 95% de 0,79 à 1,00; p=0,04
  • association de vitamine C et E : moins d’AVC : RR 0,69; IC à 95% de 0,49 à 0,98; p = 0,04
  • pas plus d’effets indésirables sous vitamine(s) sauf pour le bêta-carotène : troubles gastro-intestinaux légers (RR 1,06; IC à 95% de 1,00 à 1,11; p = 0,05).

 

Conclusion des auteurs

Une administration de vitamine C ou E ou de bêta-carotène n’a pas d’effet sur la survenue d’événements cardiovasculaires chez des femmes présentant un risque cardiovasculaire élevé.

 

Financement

National Heart, Lung, and Blood Institute. Les firmes LaGrange et BASF ont fourni les vitamines mais ne sont pas intervenues dans l’étude.

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est mentionné.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les critères d’inclusion et d’exclusion sont bien précisés mais le processus de randomisation précis n’est pas décrit dans la publication. Les patientes incluses dans les huit groupes présentent des caractéristiques similaires. Les résultats pour les critères primaire et secondaires sont mentionnés de manière explicite et repris dans des tableaux et des graphiques qui en donnent un reflet fidèle. Les auteurs fixent la barre de l’observance à la prise d’au moins les 2/3 des médicaments et avec ce seuil fixé l’observance est de 68% après 8 ans, pourcentage acceptable en fonction de la durée de l’étude. Un calcul de la puissance de l’étude n’est pas mentionné.

 

Analyse des résultats

Seule l’association des vitamines C et E apporte un bénéfice versus placebo, c’est à dire une diminution des cas d’AVC. L’intervalle de confiance pour ce résultat exprimé en RR approche la valeur 1 et la Réduction Absolue de Risque n’est pas donnée. La pertinence clinique de ce résultat pour un critère secondaire est donc douteuse. Aucune stratification n’a été faite lors de la randomisation et les valeurs p ne sont pas adaptées pour des analyses en sous-groupes. Un bénéfice significatif de la vitamine E chez des femmes en prévention secondaire ne possède qu’une valeur hypothétique. Les auteurs nuancent les résultats négatifs de leur étude en soulignant la faiblesse de l’observance. Pour la seule vitamine E, une correction des résultats en fonction de l’observance montre une réduction significative pour le critère primaire : RR 0,87 ; IC à 95% de 0,76 à 0,99 ; p = 0,04. Nous nous interrogeons cependant sur la valeur statistique et surtout sur la pertinence clinique de telles analyses. Tous ces résultats appellent donc à de nouvelles recherches spécifiques.

 

Autres études

Les résultats de cette étude WACS concordent avec ceux d’autres études évaluant la vitamine E en prévention primaire comme secondaire. Chez 40 000 femmes en bonne santé, une administration de vitamine E durant 10 ans n’a apporté, versus placebo, aucun bénéfice pour un critère composite (infarctus du myocarde, AVC et décès cardiovasculaire) (2). Dans le deuxième volet de l’étude HPS, des antioxydants (vitamine E, C ou bêta-carotènes) administrés à des patients à haut risque cardiovasculaire ne provoquent aucune réduction de la mortalité ou de la morbidité (3). Dans l’étude HOPE, incluant 7 030 patients présentant un diabète ou un antécédent cardiovasculaire, un bénéfice significatif pour le critère primaire composite (infarctus du myocarde, AVC et décès cardiovasculaire) n’est également pas montré. Dans cette étude, après 7 ans, une augmentation significative des cas d’insuffisance cardiaque est montrée chez les consommateurs de vitamine E (4). Une augmentation de la mortalité globale est également montrée dans une récente méta-analyse de 11 études, posant la question de la sécurité de doses élevées (≥ 400 UI/j) de vitamine E (5). Une mortalité plus élevée a été observée chez des fumeurs sous traitement associant bêta-carotène et vitamine A (6). La vitamine E utilisée dans l’étude WACS est l’acétate d’alpha-tocophérol. Le gamma-tocophérol serait, selon certains auteurs, un antioxydant plus puissant. L’alpha-tocophérol pourrait provoquer une déplétion en gamma-tocophérol, ce qui expliquerait sa moindre activité (7). Ceci nous amène au cœur de la discussion : administration de suppléments d’antioxydants ou apport mieux équilibré via une alimentation saine variée ? Ceci nous ramène à la ritournelle de l’utilité de l’administration de suppléments vitaminiques.

 

 

Conclusion

 

Cette étude ne montre aucun effet versus placebo de l’administration de bêta-carotène, de vitamine C ou E, seules ou en associations variées, chez des femmes ayant fait un incident cardiovasculaire ou avec un risque élevé (plus de trois facteurs de risque), en termes de survenue d’événement cardiovasculaire.

 

Références

  1. Bjejakovic G, Nikolova D, Gluud LL, et al. Mortality in randomized trials of antioxidant supplements for primary and secondary prevention: systematic review and meta-analysis. JAMA 2007;297:842-57.
  2. Lee IM, Cook NR, Gaziano JM, et al. Vitamin E in the primary prevention of cardiovascular disease and cancer: the Women’s Health Study: a randomized controlled trial. JAMA 2005;294:256-65.
  3. Lemiengre M. Statines et prévention cardiovasculaire: la Heart Protection Study. MinervaF 2003;2(2):24-9.
  4. Lonn E, Bosch J, Yusuf S, et al; HOPE and HOPE-TOO Trial Investigators. Effects of long-term vitamin E supplementation on cardiovascular events and cancer. JAMA 2005;293:1338-47.
  5. Miller ER 3rd, Pastor-Barriuso R, Dalal D. Meta-analysis: high-dosage vitamin E supplementation may increase all-cause mortality. Ann Intern Med 2005;142:37-46.
  6. Omenn GS, Goodman GE, Thornquist MD, et al. Effects of a combination of beta carotene and vitamin A on lung cancer and cardiovascular disease. N Engl J Med 1996;334:1150-5.
  7. Devaraj S, Jialal I. Failure of vitamin E in clinical trials: is gamma-tocopherol the answer? Nutr Rev 2005;63:290-3.
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