Revue d'Evidence-Based Medicine



Reflux gastro-oesophagien : IPP en continu ou à la demande ?



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 2 Page 28 - 29

Professions de santé


Analyse de
Pace F, Tonini M, Pallotta S, et al. Systematic review: maintenance treatment of gastro-oesophageal reflux disease with proton pump inhibitors taken 'on-demand'. Aliment Pharmacol Ther 2007;26:195-204.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’un traitement par inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) donnés à la demande (c’est-à-dire en fonction des plaintes), versus traitement administré pendant des périodes fixes ou même en continu, sur les plaintes liées à un reflux gastro-oesophagien ?


Conclusion
La qualité méthodologique de cette synthèse méthodique de la littérature est faible et l’hétérogénéité au plan clinique est importante (populations, instruments de mesure, doses d’IPP utilisées). Il n’est pas possible d’en tirer une méta-analyse pouvant sommer tous les résultats. Même si certains résultats d’études sont significatifs, les preuves apportées ne peuvent être considérées comme définitives. Nous restons donc, comme lors de la conférence de consensus de l’INAMI, au niveau d’un consensus d’experts : pour les oesophagites de grade 0, A ou B, ou sans endoscopie, un traitement empirique « à la demande » peut être poursuivi ; pour les oesophagites de grades C et D liées à un reflux gastro-oesophagien, un traitement « à la demande » n’est pas indiqué.


 

Résumé

Contexte

L’introduction de l’étude reprend les différents types de reflux gastro-oesophagien : les reflux n’ayant pas fait l’objet d’une gastroscopie (avec traitement dit empirique dans ce cas) ou ceux confirmés par endoscopie montrant soit une muqueuse oesophagienne intacte (NERD = non erosive reflux disease), soit une muqueuse érosive (EO = erosive oesophagitis). Les érosions de l’oesophage sont subdivisées en érosions légères et érosions sévères, avec une sanction thérapeutique différente à la clé. Comme la prise en charge thérapeutique optimale du reflux gastro-oesophagien n’est pas encore définie, cette synthèse méthodique tente d’évaluer le bénéfice relatif d’une administration à la demande d’un IPP versus placebo ou d’une administration continue d’un IPP.

Méthodologie

Synthèse méthodique sans méta-analyse

Sources consultées

  • études cliniques contrôlées publiées in extenso indexées dans MEDLINE (1966-2006) ou dans le Cochrane Central Register of Controlled Trials.

 

Etudes sélectionnées

  • études comparant un traitement à la demande d’un reflux gastro-oesophagien versus placebo ou traitement continu
  • 17 sur 33 études retenues en raison de l’intégralité des données d’études
  • après une première période d’administration continue d’IPP de 4 à 8 semaines, l’administration d’IPP à la demande est comparée au placebo ou à l’administration continue d’IPP
  • administration de l’IPP à la demande : celui-ci est utilisé lorsque les plaintes de reflux récidivent et aussi longtemps que nécessaire pour obtenir un bon contrôle des symptômes (schéma dit « step-in »)
  • administration de l’IPP en continu : les IPP sont administrés de façon continue durant toute l’année, même durant plusieurs années de suite, sans interruption.

 

Population étudiée

  • 13 études se déroulent dans des services de gastro-entérologie et 3 seulement dans un contexte de médecine générale
  • patients présentant du reflux, avec ou sans réalisation d’une endoscopie
  • ayant tous reçu au préalable un traitement continu d’IPP durant 4 à 6 semaines pour un premier épisode de reflux
  • majorité de patients présentant une NERD ; seules deux études avec des patients n’ayant pas eu de gastroscopie : une en médecine générale et une chez des gastro-entérologues
  • antacides autorisés comme médication d’appoint dans les 17 études retenues.

Mesure des résultats

  • laps de temps écoulé jusqu’à l’arrêt du traitement à la demande, motivé par le refus de poursuivre ce traitement.     .

Résultats

  • les résultats sont donnés suivant les lésions oesophagiennes observées, l’absence de mise au point (non investigué) et le type de comparaison de traitement (voir tableau). Dans plusieurs études, différentes doses d’IPP sont administrées.

Tableau : résultats des études exprimés en pourcentage de patients désirant poursuivre le traitement, en fonction du type de RGO et des comparaisons entre traitements.

Traitements comparés

Type de RGO

Nombre d’études (nombre de patients)

Souhait de poursuivre en % sauf (c) et (d)

IPP à la demande versus placebo

NERD

4 (2009)

70-94 vs 48-72 (a)

NERD et/ou EO légère

2 (987)

99 vs 90 (a) et 88 vs 64 (a)

non investigué

1 (181)

81 vs 61 (a)

IPP à la demande versus IPP en continu

NERD

1 (622)

93 vs 88 (a)

NERD et/ou EO légère

1 (176)

75 vs 87 (c)

EO

1 (477) (e)

51 vs 81 (b,d)

non investigué

1 (1902) (f)

52 vs 83 (b)

(a) statistiquement significatif IPP à la demande versus comparateur

(b) statistiquement significatif en faveur IPP en continu versus IPP à la demande

(c) critère = guérison symptomatique 

(d) critère = guérison endoscopique

(e) également 1 étude (n=322) ne montrant pas de différence entre 2 IPP à la demande sans bras placebo

(f) cette étude comporte également un bras ranitidine 300 mg.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le traitement à la demande avec les IPP actuellement disponibles est aussi efficace qu’un traitement à long terme chez des patients présentant une NERD ou une forme modérée ou non explorée de reflux gastro-oesophagien, mais pas auprès de patients présentant une forme érosive (sévère) d’oesophagite.

Financement

Non mentionné.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré par les auteurs.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Comme les auteurs le mentionnent, il s’agit d’une synthèse méthodique sans sommation possible des résultats, donc pas d’une méta-analyse. Les 17 recherches incluses utilisent, en effet, des critères d’évaluation différents pour le contrôle symptomatologique du reflux pathologique et les doses d’IPP utilisées ne sont pas toujours équivalentes. Les protocoles des études retenues sont également différents : comparaison des IPP à la demande avec un placebo, avec un antiH2, avec un autre IPP à la demande (sans groupe placebo dans l’étude), avec un IPP en administration continue, voire même des études non comparatives. Les auteurs ne mentionnent pas de score de qualité des études retenues mais évaluent l’hétérogénéité de ces études. Les différents groupes de patients examinés sont également hétérogènes. La plupart des études incluent des patients NERD (50 à 70% des patients avec un reflux gastro-oesophagien). Cette population NERD est en soi hétérogène : il s’agit de patients présentant une sécrétion acide excessive, une sécrétion acide normale, présentant des plaintes de reflux typiques ou sans plaintes de reflux typiques. C’est la deuxième catégorie de patients qui présente la plus forte fréquence de réponse aux IPP. L’idée de base de cette étude de la littérature n’est pas nouvelle : déjà en 2004, cette même revue publiait une étude montrant qu’un traitement par IPP à la demande est sensé (1). L’administration d’IPP à la demande remplace l’administration périodique et même l’administration continue d’IPP (1). Ce qui est nouveau, c’est le questionnement des patients quant à leur souhait de poursuivre le schéma d’IPP choisi en fonction de la sévérité des découvertes endoscopiques.

Mise en perspective des résultats

L’absence d’érosions oesophagiennes en cas de reflux (NERD) est la situation la plus fréquente : jusqu’à 70% des gastroscopies motivées par un reflux (2). Le message principal de cette synthèse confirme une notion vieille de 10 ans issue d’un Workshop de 1997 sponsorisé par une firme et qui avançait qu’un traitement continu d’IPP n’est pas vraiment nécessaire pour une NERD et pour une oesophagite de reflux légère (3). Un bon contrôle symptomatique à long terme, reste le but à poursuivre lors d’un traitement par IPP. Ce message vieux de 10 ans, conseillant d’abandonner un traitement IPP continu dans toutes ces situations de reflux fréquentes, est resté longtemps lettre morte, le remboursement des IPP demeurant autorisé après 1997 pour un traitement continu. L’administration à la demande d’IPP n’est pas appropriée dans toutes les situations de reflux. Certains experts ont conseillé de renoncer à l’administration d’un IPP à la demande lorsque les symptômes deviennent trop fréquents en cas de NERD ou d’érosions légères : la dose d’IPP doit être augmentée jusqu’à l’obtention d’une réponse clinique, puis diminuée progressivement ensuite et, être ensuite, si possible, administrée de façon intermittente (4). Ceci forme la base des schémas de traitements step-up et step-down du reflux (3,4). Les auteurs mentionnent que les patients présentant du reflux n’ont pas tendance à vouloir poursuivre un traitement à la demande lorsque des érosions sévères de l’œsophage sont présentes. Cette observation est à mettre en parallèle avec le fait que le risque de récidive des érosions est plus élevé pour ce type de maladie de reflux sévère (3). L’administration continue d’IPP reste souhaitable dans ces cas (moins fréquents) d’oesophagite sévère (5), également pour les auteurs de cette revue. Le recours à une éradication de l’Helicobacter pylori n’a pas été évalué dans cette étude sur le reflux. La controverse concernant un bénéfice de l’éradication de l’Helicobacter pylori en cas de reflux sur un meilleur contrôle symptomatique à terme est loin d’être terminée.

Enseignements pour la pratique ?

Cette synthèse méthodique ne permet pas de tirer d’emblée des conclusions pour la pratique quotidienne. Les auteurs de cette étude formulent des recommandations qui correspondent à celles d’un consensus d’experts :

  • pour les patients présentant un reflux avec des érosions légères de l’oesophage ou qui n’ont pas subi d’endoscopie, l’administration d’IPP à la demande est aussi efficace qu’une administration continue. Le contrôle symptomatique est essentiel dans ce cas. Le traitement step-up et step-down avec IPP n’est pas abordé par les auteurs ; il est cependant recommandé dans des rapports de consensus. L’avantage de cette approche step-up et step-down est une prise épisodique d’IPP et le fait de ne pas attendre la nouvelle plainte de reflux (ce qui se passe par définition avec les IPP pris à la demande, synonyme de step-up). La conférence de consensus de l’INAMI (6) est arrivée à la même conclusion : en cas d’amélioration symptomatique avec le traitement initial, un traitement empirique “à la demande” peut être poursuivi.
  • pour les patients présentant un reflux sévère (ce qui signifie la présence d’érosions sévères de l’oesophage), un traitement continu est préférable, tant pour le contrôle symptomatique que pour les chances de guérison d’érosions récidivantes. Dans ce cas, il ne faut pas donner d’IPP à la demande ; il est préférable que le patient prenne son IPP de façon continue, comme le concluent les auteurs de cette étude. Même si le patient devient asymptomatique durant une longue période, il est conseillé de continuer à prendre l’IPP. La conférence de consensus de l’INAMI a abouti à la même conclusion : en cas d’oesophagite de grade C ou D pour RGO, un traitement à la demande ne paraît pas opportun.                                               

 

Conclusion

La qualité méthodologique de cette synthèse méthodique de la littérature est faible et l’hétérogénéité au plan clinique est importante (populations, instruments de mesure, doses d’IPP utilisées). Il n’est pas possible d’en tirer une méta-analyse pouvant sommer tous les résultats. Même si certains résultats d’études sont significatifs, les preuves apportées ne peuvent être considérées comme définitives. Nous restons donc, comme lors de la conférence de consensus de l’INAMI, au niveau d’un consensus d’experts : pour les oesophagites de grade 0, A ou B, ou sans endoscopie, un traitement empirique « à la demande » peut être poursuivi ; pour les oesophagites de grades C et D liées à un reflux gastro-oesophagien, un traitement « à la demande » n’est pas indiqué.

Références

  1. Bytzer P, Blum AL. Personal view: rationale and proposed algorithms for symptom-based proton pump inhibitor therapy for gastro-oesophageal reflux disease. Aliment Pharmacol Ther 2004;20:389-98.
  2. Tack J, Fass R. Review article: approaches to endoscopic-negative reflux disease: part of the GERD spectrum or a unique acid-related disorder? Aliment Pharmacol Ther 2004;19:28-34.
  3. An evidence-based appraisal of reflux-disease management: the Genval Workshop Report. Gut 1999;44:S1-S16.
  4. Tytgat GN. Review article: management of mild and severe gastro-oesophageal reflux disease. Aliment Pharmacol Ther 2003;17:52-6.
  5. Janssens J. Gastro-oesofagale refluxziekte: een brede consensus omtrent diagnostiek en therapie. Tijdschr Geneeskd 2000;56:894-900.
  6. Rapport du Jury. L’usage adéquat des inhibiteurs d’acide dans le reflux gastro-oesophagien et la dyspepsie. Institut National d’Assurance Maladie-Invalidité. Comité d’évaluation des pratiques médicales en matière de médicaments. Réunion de consensus INAMI, 15 mai 2003.
Reflux gastro-oesophagien : IPP en continu ou à la demande ?

Auteurs

Van de Casteele M.
Departement Hepatologie UZ Gasthuisberg en Departement Geneesmiddelen RIZIV
COI :

Glossaire

step-up step-down

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