Revue d'Evidence-Based Medicine



Pioglitazone : risque cardiovasculaire par rapport à la rosiglitazone et aux autres antidiabétiques oraux



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 2 Page 18 - 19

Professions de santé


Analyse de
Lincoff AM, Wolski K, Nicholls SJ, Nissen SE. Pioglitazone and risk of cardiovascular events in patients with type 2 diabetes mellitus: a meta-analysis of randomized trials. JAMA 2007;298:1180-8.


Question clinique
Quel est l’effet de la pioglitazone sur le risque cardiovasculaire chez des patients présentant un diabète de type 2, versus placebo ou autre antidiabétique oral ?


Conclusion
Cette méta-analyse chez des diabétiques de type 2, incluant uniquement les études de la firme produisant la pioglitazone, montre un bénéfice en termes de prévention de décès, d’infarctus du myocarde et d’accident vasculaire cérébral pour la pioglitazone versus tout comparateur (dont la rosiglitazone ou d’autres associations d’antidiabétiques oraux qui peuvent augmenter le risque) ou versus placebo. Le risque d’insuffisance cardiaque est accru. L’extrapolation des résultats n’est pas possible : patients mal décrits, exclusion des sujets « trop à risque ». Cette méta-analyse ne peut donc apporter des preuves suffisantes pour garantir la sécurité de la pioglitazone, dont l’efficacité est par ailleurs moins intéressante que celle d’autres antidiabétiques oraux (sulfonylurées de seconde génération, metformine). En ajout à la metformine, la pioglitazone semble moins efficace qu’une sulfonylurée.


 

Résumé

Contexte

La sécurité cardiovasculaire de la rosiglitazone a été récemment mise en doute (1), et, par extension, celle de la pioglitazone. Une étude effectuée avec la pioglitazone (2) chez des patients diabétiques de type 2 présentant un risque cardiovasculaire élevé ne montrait pas d’efficacité significative de la pioglitazone pour le critère de jugement primaire prédéfini (mortalité totale et morbidité cardiovasculaire) mais observait une incidence augmentée d’insuffisance cardiaque (3). Une analyse de l’ensemble des données actuelles de la pioglitazone dans ce domaine n’avait cependant pas encore été faite, ni une comparaison versus rosiglitazone.

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • données individuelles des patients repris dans des études finalisées par la firme Takeda qui fabrique le médicament.

Etudes sélectionnées

  • RCTs en double aveugle évaluant la pioglitazone versus placebo ou comparateur actif, en général au point de vue efficacité
  • 19 RCTs incluses dans la méta-analyse
  • exclusion : 2 études non finalisées (non terminées ou non traduites) et 20 études (3 014 patients) non menées par le fabricant exclues pour non disponibilité des données complètes et non mention du délai de survenue des événements (qui seraient peu nombreux selon la firme Takeda)
  • durée moyenne des études : moins de 24 mois pour la majorité (60%).

Population concernée

  • 16 390 patients
  • en général, adultes diabétiques de type 2 avec contrôle glycémique inadéquat, avec exclusion des patients « trop à risque »
  • durée de prise du médicament : 26% moins de 6 mois, 18% de 6 à 12 mois, 16% de 12 à 24 mois, 40% plus de 24 mois (écarts de 4 mois à 3,5 ans)
  • comparateur : placebo (N=3, n=865), sulfonylurée (N=6, n=5 125), metformine (N=1, n=1 164), rosiglitazone (N=1, n=735) ; traitement associé dans 8 études (n=8 501).

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement dans une étude est dit composite s’il est composé d’un ensemble d’éléments, par exemple l’association d’infarctus du myocarde, d’angor et de décès. Un critère de jugement composite peut poser un problème de pertinence si la composante qui a le plus de poids (plus fréquente, davantage modifiée par le traitement) est cliniquement faiblement pertinente.">critère de jugement composite primaire : décès de toute cause, infarctus myocardique non fatal, accident vasculaire cérébral non fatal
  • critères de jugement secondaires : insuffisance cardiaque sévère d’une part et décès et insuffisance cardiaque sévère d’autre part.

Résultats

  • critère primaire : groupe pioglitazone 4,4% versus 5,7% pour le comparateur ; rapport de hasards désigne le risque relatif de survenue d’un résultat dans une analyse réalisée à l’aide du modèle de régression de Cox. Il s’agit d’un risque relatif « instantané » tenant compte de la durée de présence dans l’étude.">HR 0,82 (intervalle de confiance à 95% est souvent choisi. Ceci signifie que, si l’enquête ou étude est reproduite 100 fois dans la même population avec des échantillons différents, dans 95 des cas la valeur trouvée se situera dans l’intervalle de confiance donné. Cela s’appelle un intervalle de confiance à 95%. L’intervalle de confiance nous renseigne sur la fiabilité des valeurs trouvées dans l’étude. Les limites inférieures et supérieures de l’intervalle de confiance sont appelées marges de fiabilité ou limites de confiance. Au moins les valeurs extrêmes sont éloignées, au plus l’intervalle de confiance est étroit et au plus l’effet observé est un reflet fiable de l’effet réel. L’intervalle de confiance dépend de la variabilité (exprimée par l’écart type) et de la taille de l’échantillon (le nombre de personnes dans l’étude). Plus l’échantillon est numériquement important, plus l’intervalle de confiance est étroit.">IC à 95% de 0,72 à 0,94 ; p=0,005) ; la différence de risque apparaît approximativement après un an
  • insuffisance cardiaque sévère : groupe pioglitazone 2,3% versus 1,8% pour le comparateur dont la rosiglitazone ; HR 1,41 (IC à 95% de 1,14 à 1,76 ; p=0,002)
  • pas de différence statistiquement significative pour le critère composite décès et insuffisance cardiaque sévère.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un traitement avec de la pioglitazone est associé à un risque significativement moindre de décès, d’infarctus du myocarde et d’accident vasculaire cérébral dans une large population de patients présentant un diabète. L’insuffisance cardiaque est augmentée sous pioglitazone, sans augmentation de la mortalité cependant.

Financement

Firme Takeda qui a récolté les données.

Conflits d'intérêt

Les auteurs déclarent avoir reçu des fonds de différentes firmes pour des recherches et être consultants pour certaines firmes.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse se cantonne aux études finalisées par la firme productrice du médicament et n’inclut pas, volontairement, d’autres études en motivant ce choix par le caractère incomplet des données dans ces autres études ; un biais de publication est donc présent. Ces études sont aussi de trop courte durée pour une évaluation d’un critère comme les décès. Il faut souligner que les événements cardiovasculaires ne sont pas des critères de jugement dans le protocole initial des études, sauf dans 2 d’entre elles, dont l’étude PROactive, exception faite de l’insuffisance cardiaque enregistrée dans 2 autres études. Dans les études restantes, les données sont issues des notifications de sécurité, sans adjudication centrale de ces événements. Une forte majorité des événements se sont produits dans l’étude PROactive. Il n’est donc pas du tout certain que les résultats reflètent correctement la réalité dans l’ensemble des études. Les auteurs effectuent un test I² pour l’hétérogénéité pour les critères évalués mais n’en mettent pas une en évidence. La période d’observation dans les différentes études est plus courte que dans celles concernant la rosiglitazone. Il n’y a qu’une seule étude comparative versus metformine dont le bénéfice cardiovasculaire est connu, mais aussi une versus rosiglitazone dont le risque augmenté est également montré. La diversité du comparateur (placebo dans 3 études), nécessiterait une comparaison vis-à-vis de chacun d’entre eux.

Interprétation des résultats

Les variables démographiques importantes pour la prédiction de certains événements cardiovasculaires ne sont pas mentionnées dans la majorité des études, ce qui ne facilite guère une extrapolation possible des résultats. S’il n’est pas du tout certain que les résultats favorables pour le critère primaire de cette méta-analyse soit un reflet fidèle de la réalité dans la somme de toutes les études effectuées (voir paragraphe précédent), il est encore moins certain qu’ils correspondent à la pratique quotidienne avec des patients moins sélectionnés, donc potentiellement plus à risque. L’étude PROactive, incluse dans cette méta-analyse, concernait des patients à risque : 5 238 sujets présentant une pathologie macrovasculaire (48% de pathologies coronariennes ischémiques, 47% d’infarctus myocardique à l’anamnèse, 19% d’AVC, 31% d’angioplasties coronaires percutanées ou de pontages coronariens et 49% de présence d’au moins deux critères macrovasculaires définis pour l’inclusion). Elle n’a pas montré de bénéfice pour le critère de jugement primaire composite, très large, incluant survenue d’un décès de toute cause, d’un infarctus du myocarde non fatal (y compris infarctus silencieux), d’un AVC, d’un syndrome coronarien aigu, d’une intervention coronarienne ou artérielle périphérique ou d’une amputation au-dessus de la cheville : HR 0,90 ; IC à 95% de 0,80 à 1,02 ; p=0,095 (3). Les patients sont en moyenne plus âgés dans l’étude PROactive (62 ans) que dans les autres études avec la pioglitazone (57 ans) donc plus à risque. Si un bénéfice cardiovasculaire n’est donc pas bien établi, malgré les généreuses promesses initiales, ce médicament est-il plus efficace que les autres antidiabétiques oraux ? Une synthèse Cochrane récente (4) conclut à l’absence de différence cliniquement pertinente en termes de meilleures valeurs d’HbA1C (critère intermédiaire) et au manque de preuve d’un bénéfice en matière de critères concernant plus l’état clinique du patient (morbimortalité, effets indésirables, qualité de vie) ou le coût financier.

 

Autres effets indésirables

Le risque d’aggravation d’une insuffisance cardiaque lors d’un traitement avec de la pioglitazone ou autre thiazolidinedione est connu. Un risque hépatique est également signalé (5). D’autres risques ont été plus récemment rapportés : œdème maculaire (6) et fractures (4,7) chez la femme. La metformine est le seul antidiabétique non associé à un effet nocif chez des diabétiques avec insuffisance cardiaque.

Autres données utiles pour la pratique ?

Si une augmentation du risque cardiovasculaire (infarctus du myocarde, décès) n’est actuellement pas montrée avec la pioglitazone comme avec la rosiglitazone, le bénéfice pour le critère composite dans cette méta-analyse demanderait confirmation dans des études prospectives reprenant ces événements comme critères de jugement. Une méta-analyse évaluant l’efficacité et la sécurité de tous les antidiabétiques oraux (8) conclut que les anciens (sulfonylurées de seconde génération, metformine) par rapport aux nouveaux, plus chers (thiazolidinediones, inhibiteur des alpha-glucosidases, glinides) ont un effet similaire ou supérieur sur le contrôle glycémique, les lipides et autres critères intermédiaires. Dans la pratique, il semble plus opportun en termes d’efficacité, en cas d’équilibre insuffisant du diabète de type 2 par de la metformine seule (1er choix et preuves pour ce médicament d’une diminution du risque macro et microvasculaire), d’ajouter à cette metformine une sulfonylurée. Une autre méta-analyse récente (9) montre, aussi, pour l’ensemble des études des antidiabétiques oraux en ajout à la metformine, une réduction de l’HbA1C plus importante sous sulfamidés hypoglycémiants que sous thiazolidinediones. Pour les rares comparaisons directes, les sulfamidés hypoglycémiants sont plus efficaces que les thiazolidinediones.

 

Conclusion

Cette méta-analyse chez des diabétiques de type 2, incluant uniquement les études de la firme produisant la pioglitazone, montre un bénéfice en termes de prévention de décès, d’infarctus du myocarde et d’accident vasculaire cérébral pour la pioglitazone versus tout comparateur (dont la rosiglitazone ou d’autres associations d’antidiabétiques oraux qui peuvent augmenter le risque) ou versus placebo. Le risque d’insuffisance cardiaque est accru. L’extrapolation des résultats n’est pas possible : patients mal décrits, exclusion des sujets « trop à risque ». Cette méta-analyse ne peut donc apporter des preuves suffisantes pour garantir la sécurité de la pioglitazone, dont l’efficacité est par ailleurs moins intéressante que celle d’autres antidiabétiques oraux (sulfonylurées de seconde génération, metformine). En ajout à la metformine, la pioglitazone semble moins efficace qu’une sulfonylurée.

 

Références

  1. Chevalier P. Les risques cardiovasculaires de la rosiglitazone. MinervaF 2007;6(9):136-7.
  2. Dormandy JA, Charbonnel B, Eckland DJ et al.; PROactive investigators. Secondary prevention of macrovascular events in patients with type 2 diabetes in the PROactive Study (PROspective pioglitAzone Clinical Trial In macroVascular Events): a randomised controlled trial. Lancet 2005;366:1279-89.
  3. Van Driel M, Christiaens T. Pioglitazone pour le diabète: espoirs déçus. MinervaF 2006;5(6):86-8.
  4. Richter B, Bandeira-Echtler E, Bergerhoff K, et al. Pioglitazone for type 2 diabetes mellitus. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 4.
  5. Glitazones : risques cardiaques et hépatiques (suite). Rev Prescr 2003;23:508.
  6. Glitazones et oedèmes maculaires. Rev Prescr 2006;26:343.
  7. Glitazones: fractures. Rev Prescr 2007;27:509.
  8. Bolen S, Feldman L, Vassy J, et al. Systematic review: comparative effectiveness and safety of oral medications for type 2 diabetes mellitus. Ann Intern Med 2007;147:386-99.
  9. Monami M, Lamanna C, Marchionni N, Mannucci E. Comparison of different drugs as add-on treatments to metformin in type 2 diabetes: A meta-analysis. Diabetes Res Clin Pract 2007 Oct 9; [Epub ahead of print].
Pioglitazone : risque cardiovasculaire par rapport à la rosiglitazone et aux autres antidiabétiques oraux



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