Revue d'Evidence-Based Medicine



Restriction sodée: quelle efficacité sur le risque cardio-vasculaire à long terme ?



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 9 Page 138 - 139

Professions de santé


Analyse de
Cook NR, Cutler JA, Obarzanek E, et al. Long term effects of dietary sodium reduction on cardiovascular disease outcomes: observational follow-up of the trials of hypertension prevention (TOHP). BMJ 2007;334:885-8.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’une restriction sodée alimentaire pendant dix à quinze ans sur le risque cardio-vasculaire de personnes présentant une pression artérielle normale haute ?


Conclusion
Cette étude d’observation montre qu’une restriction sodée réduit, après dix à quinze ans de suivi, la morbidité et la mortalité cardiovasculaires chez des personnes présentant une pression artérielle normale haute. Un effet de diminution des chiffres tensionnels est montré à court terme, probablement accompagné donc d’un effet cardio-vasculaire protecteur à long terme. Les recommandations de bonne pratique reprises par la SSMG mentionnent ces avantages. Nous ne disposons actuellement d’aucune donnée péjorative quant à une restriction sodée alimentaire. Chez des personnes hypertendues, une restriction sodée reste la règle.


 

Résumé

Contexte

Un effet favorable d’une restriction sodée sur les chiffres de pression artérielle a été observé tant chez des personnes à pression artérielle normale haute (1) que chez des sujets hypertendus (2). Les études étaient cependant de trop petite taille et sur une durée trop brève pour pouvoir montrer un effet en termes de critères d’événements cliniques.

Population étudiée

  • Personnes âgées de 30 à 54 ans présentant une pression artérielle normale haute (diastolique entre 80 et 89 mmHg et systolique < 140 mmHg sans antihypertenseurs) issues de deux RCTs (Trials Of Hypertension Prevention (TOHP) :
  • TOHP I : n=744 ; 71% d’hommes ; IMC moyen 27 (ET 4); pression artérielle moyenne 125/84 mmHg
  • TOHP II : n=2 382 ; 65% d’hommes ; IMC moyen 31 (ET 3); pression artérielle moyenne 127,5/86 mmHg.

Protocole d’étude

  • Etude de cohorte
  • TOHP I : restriction sodée (n=327) versus régime normal (n=417) ; initiée en septembre 1987 ; durée d’étude de 18 mois
  • TOHP II : restriction sodée et/ou perte de poids visée (n=1 191) versus régime pour perdre du poids ou normal (n=1 191) ; commencée en décembre 1990 ; durée d’étude de 36 mois
  • inventaire des incidents cardio-vasculaires à la fin des RCTs, à partir de janvier 2000
  • questionnaires par envoi postal semestriel jusqu’en janvier 2005.

Mesure des résultats

  • critère primaire composite : infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, CABG, PTCA et décès cardiovasculaire
  • critères secondaires : mortalité totale, événements cardio-vasculaires à l’exclusion des CABG et PTCA.

Résultats

  • mortalité connue pour tous les participants et morbidité rapportée pour 77% (n=2 415)
  • 200 événements cardio-vasculaires repris comme critères signalés
  • événements cardio-vasculaires moins fréquents de 25% dans le groupe placé initialement sous régime sans sel versus groupe contrôle : RR 0,75; IC à 95% de 0,57 à 0,99; p=0,04
  • mortalité totale non significativement différente entre les deux groupes: RR 0,80; IC à 95% de 0,51 à 1,26; p=0,34.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une restriction sodée permet non seulement de diminuer significativement les chiffres tensionnels mais diminue également, à long terme, le risque de survenue d’un événement cardio-vasculaire.

Financement

National Heart, Lung and Blood Institute, National Institutes of Health, Bethesda (E.-U.).

Conflits d’intérêt.

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude est un exemple de recherche prospective sur une cohorte : les populations réparties aléatoirement au sein de deux RCTs font l’objet, après cinq à dix ans dans les études initiales, d’une autre étude sur des critères nouvellement définis. Le but de cette nouvelle étude est d’évaluer l’effet à long terme dune restriction sodée sur la morbidité cardio-vasculaire et générale ainsi que sur la mortalité. Ce type de protocole ne permet pas d’établir des liens de cause à effets, ce qui représente une limite importante de telles recherches d’observation. Il y a toujours un risque qu’une corrélation observée soit liée à un pur hasard. Il n’est également pas possible de corriger les résultats en fonction d’autres variables confondantes. Celles-ci ne sont pas notifiées dans le suivi (par exemple, modifications de la pression artérielle, poids, tabagisme, recours à des médicaments, etc.). La correction se limite aux caractéristiques et paramètres mentionnés dans les RCTs, ce qui ne permet pas de prendre en compte d’éventuelles modifications survenant lors du suivi ultérieur, en cohorte. L’avantage de cette étude est qu’elle concerne une même population d’étude, inchangée. Ceci n’est pas le cas par exemple dans des synthèses ou des méta-analyses, avec, dans cette situation, une source importante d’hétérogénéité. Les résultats sont donc descriptifs et générateurs d’hypothèses… qu’une RCT de bonne qualité devrait, en théorie, confirmer. Une telle RCT n’est cependant pas réalisable, et ces données d’une étude de cohorte resteront le seul repère pour le clinicien. Raison de plus pour prendre cette étude au sérieux et l’analyser soigneusement.

Les résultats

C’est une gageure de rassembler des données validées de morbidité et de mortalité concernant  3 126 personnes réparties sur 19 sites d’étude. Sur les 297 cas de critères cardio-vasculaires fatals observés, 178 seulement peuvent être validés sur la foi d’un rapport suffisant. C’est peu et l’effort aurait pu être plus important pour cet aspect de l’étude. Dans les études TOHP, de sérieux efforts ont été entrepris pour arriver à une restriction sodique effective dans le groupe intervention. Les chercheurs tentent, au moyen de questionnaires envoyés par la poste, d’évaluer en quoi les modifications comportementales obtenues (régime désodé) sont maintenues après les études initiales. Les personnes participantes n’étaient en effet plus stimulées à une stricte observance de leur régime bénéfique lors de ces années d’observation. L’analyse des réponses livre une impression marquée de la persistance d’une consommation moindre de sel dans le groupe intervention au cours de ces années de suivi, mais, hélas, les auteurs ne prennent pas en compte ces résultats pour réaliser une analyse en régression.

Autres études

Nous avons déjà précédemment analysé une synthèse méthodique évaluant l’effet à long terme d’une alimentation pauvre en sel (3). Elle ne montrait pas de différence significative en termes de morbidité cardio-vasculaire et de mortalité après cinq ans de suivi. Elle n’incluait cependant que onze études, soit un total limité à 2 326 patients normotendus (et 31 patients hypertendus non traités). L’étude analysée ici concerne également des patients normotendus d’âge moyen, ce qui explique une incidence d’événements cardio-vasculaires faible. La suggestion faite par Alderman (4) d’un risque accru d’infarctus du myocarde chez des personnes d’âge moyen suivant un régime sans sel très strict n’est, heureusement, pas confirmée par ces deux études. Au contraire, il semble bien, sur base d’un suivi actuel d’environ dix ans dans l’étude ici présentée, qu’une restriction sodée montre un effet positif en termes de réduction de critères cardio-vasculaires majeurs. Nous suivons cependant Alderman dans son plaidoyer pour la réalisation d’études à grande échelle sur des durées plus longues (5).

 

Conclusion

Cette étude d’observation montre qu’une restriction sodée réduit, après dix à quinze ans de suivi, la morbidité et la mortalité cardiovasculaires chez des personnes présentant une pression artérielle normale haute. Un effet de diminution des chiffres tensionnels est montré à court terme (6), probablement accompagné donc d’un effet cardio-vasculaire protecteur à long terme. Les recommandations de bonne pratique reprises par la SSMG mentionnent ces avantages (7). Nous ne disposons actuellement d’aucune donnée péjorative quant à une restriction sodée alimentaire. Chez des personnes hypertendues, une restriction sodée reste la règle.

 

Références

  1. Sacks FM, Svetkey LP, Vollmer WM, et al; DASH-Sodium Collaborative Research Group. Effects on blood pressure of reduced dietary sodium and the dietary approaches to stop hypertension (DASH) diet. N Engl J Med 2001;344:3-10.
  2. De Cort P. Het effect van gewichtsverlies en zoutbeperking op hypertensie bij ouderen. Huisarts Nu (Minerva) 1998;27(3):329-31.
  3. De Cort P. Régime sans sel: efficacité à long terme? MinervaF 2004;3(5):82-4.
  4. Alderman MH, Madhavan S, Cohen H, et al. Low urinary sodium associated with greater risk of myocardial infarction among treated hypertensive men. Hypertension 1995;25:1144-52.
  5. Alderman MH. Dietary sodium and cardiovascular health in hypertensive patients: the case against universal sodium restriction. J Am Soc Nephrol 2004;15:S47-50.
  6. Sheridan S, Pignone M. Primary prevention of hypertension. Clin Evid 2006;16:46-7.
  7. De Cort P, Philips H,  Govaerts F, Van Royen P. L’hypertension. Recommandation de Bonne Pratique. SSMG 2004.
Restriction sodée: quelle <strong><a style="font-size:medium" data-toggle="popover" data-trigger="hover" title="efficacité" data-content="L'efficacité d'un médicament ou d'une intervention se réfère à l'effet favorable dans les circonstances optimales. Idéalement, l'efficacité est déterminée au cours d'études cliniques contrôlées (RCT). ">efficacité</a></strong> sur le risque cardio-vasculaire à long terme ?

Auteurs

De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI :

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