Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité des antipsychotiques dans la schizophrénie



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 9 Page 140 - 142

Professions de santé


Analyse de
Lieberman JA, Stroup TS, McEvoy JP et al. Effectiveness of antipsychotic drugs in patients with schizophrenia. N Engl J Med 2005;353:1209-23.


Question clinique
Quelle est l’efficacité de différents nouveaux antipsychotiques «atypiques» versus celle de l’antipsychotique «classique» perphénazine pour le traitement de patients atteints de schizophrénie chronique?


Conclusion
Cette étude conclut que 74% des patients présentant une schizophrénie chronique traités par antipsychotiques mettent fin à leur traitement endéans les 18 mois. Les différences en pourcentage de nombre de personnes arrêtant le traitement et de durée de traitement avant l’arrêt, sont faibles; nous pouvons donc en conclure que, dans le traitement de la schizophrénie, l’ancien antipsychotique perphénazine est probablement aussi efficace que les nouveaux antipsychotiques (olanzapine, quétiapine, rispéridone, ziprasidone). Un nombre significativement plus élevé de patients du groupe olanzapine arrêtent leur médication en raison d’une prise de poids et de troubles métaboliques. Une information rigoureuse, une psychoéducation et une concertation avec le patient et sa famille sont importantes lors de la prescription d’une médication antipsychotique pour en améliorer l’observance.


 

Résumé

Contexte

Certaines études ont montré que les antipsychotiques atypiques sont au moins aussi efficaces que les antipsychotiques classiques pour ce qui est de la réduction des symptômes psychotiques, mais s’accompagnent de moins d’effets indésirables extrapyramidaux. Malgré leur large utilisation, des questions persistent concernant la plus-value clinique et le rapport coût/efficacité des antipsychotiques atypiques versus classiques.        

Population étudiée

Au sein de 57 institutions américaines, des patients âgés de 18 à 65 ans présentant une schizophrénie (selon les critères du DSM-IV) sont recrutés. Ils doivent avoir déjà présenté plus d’un épisode psychotique et être capables d’ingérer une médication per os. Les critères d’exclusion sont: troubles schizoaffectifs, retard mental ou autre trouble cognitif, intolérance ou résistance thérapeutique aux antipsychotiques utilisés (symptomatologie sévère persistante malgré un usage correct), grossesse ou allaitement et un état de santé physique fort instable. Au total 1 460 patients schizophrènes d’un âge moyen de 40 ± 11 ans, et masculins pour les trois quarts, sont inclus. Le traitement par antipsychotiques était en cours depuis en moyenne 14 ± 10 ans. Au moment de l’inclusion, un peu plus de 20% des patients prennent de l’olanzapine.

Protocole d’étude

Dans cette étude clinique randomisée en double aveugle (RCT), les patients sont répartis en quatre bras de traitement: olanzapine 7,5 à 30 mg/jour (n=336), quétiapine 200 à 800 mg/jour (n=337), rispéridone 1,5 à 6 mg/jour (n=341) ou perphénazine 8 à 32 mg/jour (n=261). Après approbation par la FDA, un cinquième bras recevant ziprasidone 40 à 160 mg/jour fut ajouté à l’étude (n=185). Le processus de randomisation est conçu de telle sorte que les patients présentant une dyskinésie tardive ne puissent se trouver dans le groupe perphénazine. Les patients sont suivis mensuellement durant dix-huit mois.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est l’arrêt du traitement. Les critères de jugement secondaires sont: raisons spécifiques d’arrêt (efficacité insuffisante, effets indésirables), la Positive And Negative Syndrome Scale (PANSS) et la Clinical Global Impression (CGI Severity Scale », le médecin évalue avec une échelle de sept points la gravité de l’état clinique du patient : 1 (normal) à à 7 (un des patients les plus gravement malades).">CGI). L’analyse est faite en intention de traiter.     

Résultats

Septante-quatre pourcent de la population d’étude arrêtent la prise de la médication de l’étude avant la fin des dix-huit mois de suivi (médiane après six mois). Les arrêts prématurés atteignent 64% dans le groupe olanzapine, 82% dans le groupe quétiapine, 74% dans le groupe rispéridone, 79% dans le groupe ziprasidone et 75% dans le groupe perphénazine. La durée avant l’arrêt de la médication est significativement plus longue pour l’olanzapine en comparaison avec la quétiapine (p<0,001) et la rispéridone (p=0,002), mais pas en comparaison avec la perphénazine et la ziprasidone. Il n’y a pas de différence significative au niveau de la durée jusqu’à l’arrêt de la médication pour effet indésirable, mais bien au niveau du nombre de patients qui mettent fin au traitement en raison d’effet indésirable (p=0,04). Le nombre d’arrêts de traitement pour cette raison est le plus faible pour la rispéridone (11%) et le plus élevé pour l’olanzapine (18%). Dans le groupe olanzapine, davantage de patients arrêtent en raison d’une prise de poids ou d’effets indésirables métaboliques (9% vs 1 à 4% pour les autres antipsychotiques, p<0,001). Davantage de patients arrêtent la perphénazine en raison d’effets indésirables extrapyramidaux (8% vs 2 à 4%, p=0,002). L’amélioration du score sur les échelles PANSS et CGI est initialement meilleure pour le groupe olanzapine (p=0,002), mais cette différence diminue au cours de l’étude.

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent que, dans chaque bras de l’étude, le traitement est interrompu prématurément par la majorité des participants en raison d’une inefficacité, d’effets indésirables ou pour d’autres raisons. L’olanzapine est le traitement le moins souvent interrompu. L’antipsychotique classique perphénazine est aussi efficace que la quétiapine, la rispéridone et la ziprasidone. L’olanzapine semble être associée à davantage de prise de poids et d’augmentation de la glycémie et des lipides.

Financement

National Institute for Mental Health (NIMH) et Foundation of Hope of Raleigh. La médication de l’étude est fournie par les firmes pharmaceutiques concernées.

Conflits d’intérêt

Les firmes pharmaceutiques ne sont impliquées ni dans le protocole de l’étude, ni dans la collecte, l’analyse et l’interprétation des résultats, ni dans l’écriture de cet article. Les auteurs mentionnent avoir obtenu, dans le passé, des bourses de différentes firmes pharmaceutiques, dont les firmes qui ont fourni les médicaments de l’étude.

Discussion

Importance de l’étude

L’étude CATIE apporte une contribution importante à l’évaluation de l’efficacité clinique relative des différents antipsychotiques, et donc aussi à la pratique clinique quotidienne en matière de prescription d’antipsychotiques aux patients schizophrènes. Le nombre d’arrêts de traitement est utilisé comme mesure de l’efficacité clinique dans la pratique parce qu’il reflète l’évaluation de la médication tant par le patient que par le médecin. C’est une approche originale et sensée, d’autant plus que nous disposons déjà de suffisamment d’informations sur les autres critères de jugement, tels que la raison de l’arrêt de la médication, les effets indésirables, les symptômes et le fonctionnement en général. En procédant de la sorte, nous pouvons replacer les constatations dans leur contexte. Le principal mérite de cette étude reste son indépendance par rapport à l’industrie pharmaceutique. Une étude récente de Heres et coll 1 rappelle toute l’importance de ce fait: elle montre que dans 90% des études sponsorisées, le résultat est en faveur de l’antipsychotique du sponsor.

Nombreux arrêts de traitement

L’observation la plus percutante est le niveau très élevé d’arrêts de traitement. Dans ce contexte d’efficacité clinique limitée, l’olanzapine semble un peu plus efficace que les autres antipsychotiques, bien que les doses relatives aient pu avoir joué un rôle à ce niveau. Les auteurs font la remarque qu’il est possible que les doses utilisées pour la quétiapine, la ziprasidone et la rispéridone soient inférieures aux doses thérapeutiques optimales. Celles de ziprasidone et de rispéridone sont cependant proches de la dose optimale décrite dans la littérature soit 120 mg pour la ziprasidone (dans l’étude 113 mg/j) 2 et de 4 mg pour la rispéridone (dans l’étude 3,9 mg/j) 3. Pour la quétiapine, des doses un peu plus élevées sont en général utilisées en pratique clinique (en moyenne 620 mg/j), alors que la dose moyenne utilisée dans l’étude est de 543 mg/j 4. L’utilisation de telles doses a pu jouer un rôle dans l’efficacité clinique relative de la quétiapine, mais les différences entre les antipsychotiques ne sont pas très élevées. L’efficacité clinique légèrement plus élevée de l’olanzapine est couplée au fait qu’un nombre plus important de patients a arrêté cette médication en raison d’effets indésirables, avec, en premier plan, les effets secondaires métaboliques. Le risque relativement plus élevé d’effets indésirables métaboliques et d’accidents cérébrovasculaires liés à l’utilisation des nouveaux antipsychotiques chez les personnes âgées a déjà fait l’objet d’une discussion dans Minerva 5.

«Vieux» versus «nouveaux»

L’efficacité clinique équivalente de l’antipsychotique classique perphénazine est particulièrement intéressante. Ce médicament a été précédemment peu utilisé en Belgique, puis retiré du marché. Une comparaison avec l’halopéridol plus utilisé, eut été plus adéquate. Une équivalence avec les nouveaux antipsychotiques n’était pas attendue, mais ceci n’est pas une constatation exceptionnelle. Une étude allemande, réalisée sans soutien financier de l’industrie pharmaceutique, avait déjà montré, sur une période d’un an, chez des patients présentant un premier épisode, une absence de différence d’efficacité clinique entre la rispéridone et des doses faibles d’halopéridol 6. Même si les résultats de l’étude CATIE doivent encore être confirmés par d’autres études indépendantes, ils donnent un éclairage nouveau tant sur la supériorité supposée de la nouvelle génération d’antipsychotiques que sur l’influence de l’industrie pharmaceutique sur les études cliniques. Une étude récente met à nouveau en doute l’équivalence de la perphénazine et d’autres antipsychotiques classiques avec les nouveaux antipsychotiques, mais quatre des six auteurs de l’étude sont liés à la firme Eli Lilly 7.

Pour la pratique

Pour la pratique, les résultats de l’étude CATIE semblent montrer que les différents antipsychotiques ont une efficacité clinique comparable et que le problème clinique principal est l’arrêt prématuré de la médication. Ces constatations montrent donc, indirectement, l’importance de l’information rigoureuse, de la psychoéducation et de la concertation avec le patient et avec sa famille lors de la prescription d’une médication antipsychotique. Le médecin généraliste peut ajouter un rôle important dans ce dialogue, en soulignant l’importance de la poursuite de la médication antipsychotique et, en cas de mécontentement du patient concernant la médication instaurée, motiver le patient pour peser, avec l’aide du psychiatre, les avantages et les inconvénients d’une éventuelle modification de la médication.

Conclusion

Cette étude conclut que 74% des patients présentant une schizophrénie chronique traités par antipsychotiques mettent fin à leur traitement endéans les 18 mois. Les différences en pourcentage de nombre de personnes arrêtant le traitement et de durée de traitement avant l’arrêt, sont faibles; nous pouvons donc en conclure que, dans le traitement de la schizophrénie, l’ancien antipsychotique perphénazine est probablement aussi efficace que les nouveaux antipsychotiques (olanzapine, quétiapine, rispéridone, ziprasidone). Un nombre significativement plus élevé de patients du groupe olanzapine arrêtent leur médication en raison d’une prise de poids et de troubles métaboliques. Une information rigoureuse, une psychoéducation et une concertation avec le patient et sa famille sont importantes lors de la prescription d’une médication antipsychotique pour en améliorer l’observance.

 

Références

  1. Heres S, Davis J, Maino K et al. Why olanzapine beats risperidone, risperidone beats quetiapine, and quetiapine beats olanzapine: an exploratory analysis of head-to-head comparison studies of second-generation antipsychotics. Am J Psychiatry 2006;163:185-94.
  2. Ezewuzie N, Taylor D. Establishing a dose-response relationship for oral risperidone in relapsed schizophrenia. J Psychopharmacol 2006;20:86-90.
  3. Mamo D, Kapur S, Shammi CM et al. A PET study of dopamine D2 and serotonin 5-HT2 receptor occupancy in patients with schizophrenia treated with therapeutic doses of ziprasidone. Am J Psychiatry 2004;161:818-825.
  4. Citrome L, Jaffe A, Levine J, Lindenmayer JP. Dosing of quetiapine in schizophrenia: how clinical practice differs from registration studies. J Clin Psychiatry 2005;66:1512-6.
  5. De Paepe P. Les neuroleptiques atypiques ont-ils une place dans le traitement de la démence? MinervaF 2005;4(3):43-5.
  6. Gaebel W, The German first-episode study group. Pharmacological long-term treatment in first-episode schizophrenia. [abstract] Eur Psychiatr 2006;21(suppl 1):S24.
  7. Ascher-Svanum H, Zhu B, Faries D et al. Time to discontinuation of atypical versus typical antipsychotics in the naturalistic treatment of schizophrenia. BMC Psychiatry 2006;6:8.

 

Noms de marque

Olanzapine: Zyprexa®

Quétiapine: Seroquel®

Rispéridone: Risperdal®

Perphénazine: non commercialisé en Belgique

Ziprasidone: non commercialisé en Belgique

Efficacité des antipsychotiques dans la schizophrénie



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