Revue d'Evidence-Based Medicine



Paracétamol ou AINS pour une douleur post-traumatique?



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 7 Page 104 - 106

Professions de santé


Analyse de
Woo WWK, Man SY, Lam PKW, Rainer TH. Randomized double-blind trial comparing oral paracetamol and oral nonsteroidal antiinflammatory drugs for treating pain after musculoskeletal injury. Ann Emerg Med 2005;46:352-61.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité du paracétamol oral versus AINS ou en association avec ceux-ci, chez une personne âgée de plus de 16 ans, en cas de lésion traumatique douloureuse d’un membre, dans le cadre d’un service d’urgence?


Conclusion
Cette étude, aux limites méthodologiques importantes, comparant l’efficacité relative du paracétamol (4 g par jour), du diclofénac (3 x 25 mg par jour), de l’indométacine (3 x 25 mg par jour) ou d’une association de paracétamol avec du diclofénac ne montre aucune différence significative entre ces différents traitements pour soulager une douleur post-traumatique aiguë. Elle n’apporte, pas plus qu’aucune autre étude, d’argument pour préférer un AINS au paracétamol dans cette indication. Le paracétamol reste donc un premier choix dans cette indication.


 

Résumé

Contexte

Aucune étude significative (plus de 100 participants) évaluant l’efficacité comparative du paracétamol et des AINS pour diminuer la douleur provoquée par les syndromes musculosquelettiques aigus n’a été publiée, malgré l’incidence importante de ceux-ci dans la pratique quotidienne. La prescription d’AINS est souvent préférée à celle du paracétamol dans cette situation malgré les recommandations de bonne pratique, par exemple celle concernant l’entorse de la cheville 1, en raison du manque de preuve d’efficacité et des effets indésirables des AINS.

Population étudiée

Dans le département des urgences d’un hôpital universitaire d’Hong Kong, des patients sont recrutés s’ils sont âgés d’au moins 16 ans et se présentent aux urgences uniquement pour une lésion traumatique douloureuse d’un membre, avec probabilité clinique faible de fracture. La plupart présentent en fait des entorses (52 à 65%) ou une contusion (20 à 34%) et moins fréquemment une plaie (13 à 18%), un écrasement (4 à 11%) ou une fracture (4 à 10%). Sont exclus, les patients présentant, entre autres: une anamnèse d’abus de médicaments, une démence, une indigestion, un ulcère peptique ou une hémorragie, une anticoagulation récente, une grossesse, une insuffisance rénale ou cardiaque, une prise précédente d’analgésique pour la même lésion. Les refus de participation ne sont ni comptabilisés ni justifiés. Finalement 300 patients sont inclus sur un nombre total de sujets éligibles non mentionné.

Protocole d’étude

Etude randomisée, en double aveugle, contrôlée, comparant l’efficacité du paracétamol, de l’indométacine et du diclofénac ou d’une association diclofénac-paracétamol, dans quatre bras d’étude.Tous les patients reçoivent 2 comprimés de paracétamol à 500 mg ou d’un placebo (comprimés X) et un comprimé d’un placebo ou d’indométacine 25 mg ou de diclofénac 25 mg (comprimé Y). Le premier groupe reçoit du paracétamol 1g et un placebo (n=66), le deuxième un placebo et 25 mg d’indométacine (n=71), le troisième un placebo et 25 mg de diclofénac (n=69), le quatrième 1g de paracétamol et 25 mg de diclofénac (n=94). Toutes ces administrations se font dans le service d’urgence. Les patients reçoivent ensuite le même traitement pendant trois jours, quatre fois par jour les comprimés X et trois fois par jour le comprimé Y. L’analyse est faite en intention de traiter.

Mesures des résultats

Le critère de jugement primaire est la réduction de la douleur au repos et lors d’activités (mobilisation dans le service d’urgence, activités de la vie quotidienne ensuite) sur une échelle visuelle analogique (EVA) de 10 cm. Ce critère est évalué toutes les trente minutes pendant les deux premières heures après l’administration des médicaments aux urgences et ensuite trois fois par jour. Les critères secondaires sont le nombre et le type d’effet(s) indésirable(s) ainsi que la satisfaction du patient en fonction du soulagement de la douleur. Une évaluation finale est faite 5 à 8 jours après la présentation initiale aux urgences.

Résultats

La douleur initiale présentée par les patients est en moyenne faible au repos (<30 mm) et modérée à l’exercice (<70 mm). A la première heure, la diminution de la douleur n’atteint le seuil de la pertinence clinique dans aucun groupe: une différence de moins de 13 mm sur l’EVA est considérée comme cliniquement non pertinente. Après deux heures, des différences sont observées (pour la différence moyenne versus score de la douleur initiale) entre les groupes mais les intervalles de confiance pour les comparaisons montrent tous des résultats non significatifs: par exemple diclofénac + paracétamol versus paracétamol 3,3 avec IC à 95% de -0,6 à 7,3. L’analyse sur la moyenne des trois premiers jours ou à chacune des évaluations faites montre une réduction jugée pertinente (> 13 mm sur EVA) de la douleur, uniquement à l’exercice, dans les trois groupes, mais sans différence cliniquement ou statistiquement significative entre les groupes (chiffres précis non donnés hors graphique). C’est dans le groupe diclofénac-paracétamol que l’incidence d’effets indésirables est la plus forte (18,5% au total). La seule différence significative pour les effets indésirables concerne une moindre survenue de douleurs abdominales dans le groupe indométacine versus groupe diclofénac-paracétamol.

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent que des traitements par AINS, par paracétamol ou par l’association diclofénac-paracétamol montrent des différences faibles et de signification clinique douteuse avec une sécurité apparemment équivalente.

Financement

Aucun n’est déclaré.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs mentionnent que les caractéristiques de base sont similaires entre les groupes. Notre analyse des causes de la douleur relève cependant des différences entre les groupes; la variété des causes et les différences (non statistiquement analysées) entre les différents groupes d’étude nous semblent constituer un échantillon hétérogène au point de vue clinique et un biais de randomisation. C’est probablement aussi l’explication de la faible ampleur de la douleur moyenne initiale surtout au repos. Le manque de renseignements sur les motifs de non inclusion et le taux de refus sont à souligner.

Les doses de médicaments utilisées sont celles recommandées par le British National Formulary; elles peuvent sembler relativement moins élevées pour les AINS utilisés que pour le paracétamol. Il faut prendre en considération le fait que, pour les AINS, des doses plus faibles que les doses anti-inflammatoires (= «full dose») sont réputées efficaces contre la douleur 2.

Le fait d’observer une différence significative pour les effets indésirables uniquement dans le groupe diclofénac-paracétamol vis-à-vis de celui de l’indométacine pour les douleurs abdominales, nous rend perplexe. L’indométacine est connue pour une toxicité gastro-intestinale plus importante que celle du diclofénac 3 et l’association du paracétamol à un AINS n’est pas identifiée à ce jour comme augmentant la toxicité gastro-intestinale de ces AINS. Cette observation devrait donc être confirmée. Comme le reconnaissent les auteurs, l’absence d’un bras placebo (pour des raisons éthiques) ne permet pas d’apprécier l’évolution naturelle de la douleur ou l’effet placebo partiel plutôt que réellement analgésique des médicaments. La consommation d’autres analgésiques que ceux évalués dans l’étude est également un important biais possible (signalé par les auteurs). A noter que 19 à 33% des sujets n’achèvent pas leurs trois jours de traitement (motif non donné), et que le taux de satisfaction du traitement est fort bas (3 sur 10).

Autres études

Il n’existe ni méta-analyse ni autre étude comparant l’efficacité du paracétamol avec celle d’un AINS dans une douleur aiguë post-traumatique. Une étude en simple aveugle, incluant 160 patients, a montré une efficacité au moins aussi importante du propacétamol intraveineux par rapport aux AINS dans le traitement d’urgence d’un traumatisme périphérique 4. Une étude randomisée, en double aveugle, a comparé l’efficacité du diclofénac versus placebo dans le soulagement de la douleur lors des deux premiers jours de lésions aiguës des tissus mous chez 247 patients sans différence statistique observée entre les deux groupes 5.

Pour la pratique

L’espoir que cette étude pouvait générer, de connaître enfin un peu mieux l’efficacité analgésique absolue et comparative du paracétamol et de certains AINS en cas de douleur post-traumatique aiguë est déçu. L’absence de groupe placebo, l’hétérogénéité des étiologies de la douleur, l’absence d’autre étude fiable montrant l’efficacité d’un de ces traitements dans cette indication, ne nous permettent pas d’en tirer des recommandations pour la pratique. Nous ne pouvons que constater l’absence de preuve d’une supériorité du diclofénac, de l’indométacine ou de l’association diclofénac-paracétamol sur le paracétamol seul. L’association diclofénac-paracétamol provoque, dans cette étude, plus de douleurs abdominales que l’indométacine. Plusieurs études ont montré que les AINS pouvaient provoquer des effets gastro-intestinaux indésirables sérieux 6,7 et une éventuelle toxicité cardiovasculaire reste à évaluer 8.

 

Conclusion

Cette étude, aux limites méthodologiques importantes, comparant l’efficacité relative du paracétamol (4 g par jour), du diclofénac (3 x 25 mg par jour), de l’indométacine (3 x 25 mg par jour) ou d’une association de paracétamol avec du diclofénac ne montre aucune différence significative entre ces différents traitements pour soulager une douleur post-traumatique aiguë. Elle n’apporte, pas plus qu’aucune autre étude, d’argument pour préférer un AINS au paracétamol dans cette indication. Le paracétamol reste donc un premier choix dans cette indication.

 

Références

  1. Goudswaard AN, Thomas S, Van den Bosch WJHM et al. NHG-Standaard Enkeldistorsie. Huisarts Wet 2000;43:32-7.
  2. Nonsteroïdal anti-inflammatory drugs. Martindale The complete drug reference 34th edition 2004 by Sean C. Sweetman.
  3. Henry D, Lim LL, Garcia Rodriguez LA et al. Variability in risk of gastro-intestinal complications with individual non-steroidal anti-inflammatory drugs: results of a collaborative meta-analysis. BMJ 1996;312:1563-6.
  4. Hoogewijs J, Diltoer MW, Hubloue I et al. A prospective, open, single blind, randomized study comparing four analgesics in the treatment of peripheral injury in the emergency department. Eur J Emerg Med 2000;7:110-23.
  5. Bakshi R, Rotman H, Shaw M, Sussmann H. Double-blind, multicenter evaluation of the efficacy and tolerability of diclofenac dispersible in the treatment of acute soft-tissue injuries. Clin Ther 1995;17:30-7.
  6. Antiinflammatoires non stéroïdiens dans la douleur. Folia Pharmacotherapeutica 2004;31:73-6.
  7. Effets indésirables digestifs des AINS: au-delà du duodénum aussi. La Revue Prescrire 2005;25:830-4.
  8. AINS COX-2 sélectifs et problèmes cardio-vasculaires: récapitulation. Folia Pharmacotherapeutica 2005;32:43-4.
Paracétamol ou AINS pour une douleur post-traumatique?



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