Revue d'Evidence-Based Medicine



Thérapie comportementale cognitive en cas de syndrome du côlon irritable



Minerva 2006 Volume 5 Numéro 7 Page 102 - 104

Professions de santé


Analyse de
Kennedy T, Jones R, Darnley S et al. Cognitive behaviour therapy in addition to antispasmodic treatment for irritable bowel syndrome in primary care: randomised controlled trial. BMJ 2005;331:435-40.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’un traitement comportemental cognitif (TCC) conduit par des infirmières en première ligne de soins, associé à la mébévérine, versus mébévérine seule, chez des patients présentant un syndrome du côlon irritable (SCI)?


Conclusion
Cette étude effectuée en pratique de médecine générale, chez des patients présentant un syndrome du côlon irritable déjà traités par mébévérine, montre un effet positif et limité sur les plaintes d’un traitement comportemental cognitif (TCC) conduit par des infirmières formées à cet effet. Après six mois, une diminution des plaintes est observée sous mébévérine, mais sans plus-value d’un TCC ajouté. Une recommandation concernant la place de cette approche chez des patients présentant un syndrome du côlon irritable ne peut être faite sans disposer d’analyse de rapport coût/efficacité et de précisions quant aux patients pouvant bénéficier d’une telle prise en charge.


 

Résumé

Contexte

Vingt pour cent de la population présentent un SCI, mais une minorité seulement d’entre eux en éprouvent des contraintes sévères et ont recours à des soins médicaux de manière importante. Le traitement vise une réduction des symptômes. Malgré un doute important quant à leur efficacité, des spasmolytiques musculotropes, tels que la mébévérine, sont souvent utilisés. Dans cette indication, les études évaluant une thérapie comportementale cognitive livrent des résultats d’efficacité contradictoires. Ce type de prise en charge n’avait pas encore été évalué en première ligne de soins.

Population étudiée

Au sein de dix pratiques de médecine générale à Londres, 334 patients âgés de 16 à 50 ans, présentant des plaintes de SCI, ont été invités, par leur médecin généraliste, à participer à l’étude. Ont été exclus: les patientes enceintes ou allaitantes, les patients présentant des symptômes d’alarme évocateurs d’un cancer colorectal, souffrant d’une affection intestinale inflammatoire ou de coeliaquie. Finalement, 235 patients d’un âge moyen de 33,8 (ET 8,6) ans, dont 82% de femmes, ont été inclus dans l’étude. Parmi eux, 85% satisfont aux critères de Rome I pour le SCI. Huit pour cent présentent des symptômes légers, 38% des signes modérés et 52% des manifestations sévères. Pour la moitié des sujets, le SCI évolue depuis plus de 5 ans et un quart de l’ensemble des personnes incluses avait déjà eu recours à des thérapies alternatives.

Protocole d’étude

Sont inclus dans l’étude, 149 patients présentant des plaintes modérément sévères ou sévères après trois semaines d’un «traitement habituel» dispensé par leur médecin généraliste et quatre semaines d’administration de 275 mg de mébévérine trois fois par jour. Ils sont randomisés dans deux groupes. Le premier (n=77) reçoit trois doses quotidiennes de 275 mg de mébévérine. Dans le second groupe, les patients (n=72) reçoivent les mêmes trois doses quotidiennes de 275 mg de mébévérine mais, en outre, six sessions thérapeutiques de 50 minutes chacune, espacées d’une semaine. Ces sessions sont conduites par quatre infirmières liées à la pratique de médecine générale, formées à cet effet. Elles sont constituées de techniques cognitives et comportementales et visent à améliorer le vécu des plaintes et des habitudes défécatoires. Un suivi est assuré après six semaines, trois, six et douze mois par questionnaire délivré par courrier postal.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est un score de symptômes spécifiques du SCI. Les critères secondaires sont les scores sur la Hospital Anxiety and Depression Scale (HADS) et la Work and Social Adjustment Scale (WSAS). Une analyse de régression est effectuée en intention de traiter.

Résultats

Moins de la moitié des patients (46%) du groupe TCC ont suivi l’ensemble des six sessions. Le score initial des symptômes spécifiques de SCI était de 295 points dans le groupe TCC et de 310 points dans le groupe mébévérine, lors de la randomisation. Après six semaines, ce score évolue vers des valeurs de 177 dans le groupe TCC et 260 points dans le groupe mébévérine, soit une diminution plus importante de 68 points dans le groupe TCC versus groupe mébévérine seule (IC à 95% de -103 à -33). Cette différence d’efficacité persiste après trois mois (-71 points; IC à 95% de -109 à -32) mais disparaît lors des contrôles effectués à six et douze mois. Après un an, les scores de symptômes spécifiques de SCI se situent aux environ de 210 points pour les deux groupes. Le groupe TCC présente un score plus favorable sur l’échelle WSAS durant le suivi d’étude. L’efficacité sur l’échelle HADS est inconstante.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une thérapie comportementale cognitive adaptée, conduite par des infirmières liées à la pratique de médecine générale, combinée à l’administration de mébévérine, est plus efficace que la seule administration de mébévérine après trois mois de traitement. Ce traitement pourrait se révéler utile chez certains patients présentant un SCI en première ligne de soins.

Financement

NHS Health Technology Assessment Programme.

Conflits d’intérêt

Les deux premiers auteurs sont consultants auprès de firmes pharmaceutiques (Novartis, Solvay et Boots).

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Lors de leur discussion, les auteurs reconnaissent eux-mêmes l’absence de règles de contrôle du traitement comportemental cognitif, difficiles à appliquer. Ils ne peuvent donc corriger leurs données en fonction d’un effet Hawthorne 1. Six sessions de thérapie individuelle d’une durée respective de 50 minutes exigent beaucoup d’attention, phénomène qui, par lui-même, peut être curatif. Les auteurs mentionnent que toutes les séances de thérapie sont enregistrées en fonction d’objectifs en supervision; ils ne rapportent cependant pas la fidélité au protocole observée lors des sessions conduites par les infirmières liées à la pratique de médecine générale. Occasion perdue. Il est cependant évident que seule la moitié des patients suivent l’intervention complète. La taille de l’échantillon ne permet pas d’étude en sous-groupes, par exemple en fonction du nombre de sessions suivies.

Cette étude appelle d’autres réserves. Une perspective coût/efficacité est absente de l’analyse. Les auteurs mentionnent un NST de 5,9 (IC à 95% de 3,3 à 27,8). Six patients doivent donc suivre six sessions de 50 minutes chacune pour que l’un d’entre eux évolue de plaintes sévères vers un status dit «normal», c’est-à-dire des plaintes abdominales de temps à autre, comme pour le commun des mortels. La formation des quatre infirmières liées aux pratiques de médecine générale a nécessité douze jours répartis sur trois mois.

Efficacité discutable de la mébévérine

Les auteurs ont opté pour la prescription de mébévérine à tous les patients, malgré l’absence de preuve d’efficacité de cette substance 2. Leurs motifs ne sont pas explicités dans la publication. A strictement parler, la seule conclusion possible est l’efficacité supérieure de l’association d’un TCC à la mébévérine versus mébévérine seule. En considérant la mébévérine comme dépourvue d’efficacité, elle peut être considérée comme un placebo. L’adjonction d’un TCC à un placebo semble donc plus efficace que le seul placebo.

Dans le groupe mébévérine seule, le score pour les plaintes SCI spécifiques est plus élevé que dans le groupe TCC à l’inclusion. Le groupe mébévérine seule peut être considéré comme un groupe présentant des plaintes sévères. Le groupe TCC peut lui être compris comme incluant des patients avec des plaintes moins sévères. Les auteurs reconnaissent que la répartition dans trois groupes est plus facile à interpréter pour des cliniciens et donc davantage utilisable; ils n’attachent cependant aucune attention au fait que leurs deux groupes d’investigation figurent, de ce fait, dans deux catégories de sévérité différentes. En fait, ceci correspond à des différences relativement petites et des seuils arbitraires, mais des explications claires des auteurs à ce sujet auraient été préférables.

Instruments de mesure

Cet article ne mentionne aucune information concernant la validité, la fiabilité et l’aptitude à évaluer la réponse des instruments de mesure utilisés. Une recherche rapide montre qu’ils sont peu utilisés dans d’autres études. L’échelle de mesure de la sévérité des symptômes du SCI n’a été que peu utilisée et même si elle situe correctement les caractéristiques psychométriques, son utilisation dans la pratique est discutable 3. La «Work and Social Adjustment Scale» est surtout utilisée dans des études en psychiatrie, avec de bonnes caractéristiques psychométriques 4. En raison du manque d’information concernant le contenu des deux échelles d’évaluation, les résultats donnés sont difficilement interprétables: dans quelle mesure, par exemple, l’absentéisme est-il diminué? Une dernière critique concerne les différences notées entre les données reprises dans les graphiques et celles figurant dans le texte. Les valeurs initiales comme les valeurs en cours d’étude ne correspondent pas, ce qui amène des différences plus grandes dans les graphiques que dans le texte. Dans le résumé, les auteurs mentionnent que l’intervention comprenant un TCC apporte un effet favorable sur les symptômes également après six mois, alors que les résultats repris dans l’article ne montrent pas de différence significative. Même s’ils ne spécifient pas dans l’abstract qu’il s’agit d’une différence significative, leur façon de mentionner ces données, sans énoncer de contre vérité au sens strict, est cependant trompeuse.

Autres études

Il existe peu de RCTs ayant évalué l’efficacité d’une prise en charge comportementale cognitive, en cas de syndrome tel que le SCI, en pratique de médecine générale. Les résultats des études effectuées en deuxième ligne de soins ne peuvent être transposés tels quels en première ligne 5. Dans cette optique, cette étude apporte des données et regards nouveaux. Le groupe de patients qui a participé à cette étude est représentatif de la population qui consulte en médecine générale, soit une minorité de personnes présentant des plaintes sévères à long terme. Ce groupe est cependant celui pour lequel les avantages d’un traitement relativement intense peuvent en contrebalancer les coûts. Le TCC est un des rares types de psychothérapie semblant efficace en cas de plaintes somatiques inexpliquées en deuxième ligne de soins, souvent qualifiées de somatisation, dont le SCI 6. Le choix du TCC est donc légitime. L’implication d’une infirmière liée à la pratique de médecine générale dans la conduite d’une telle intervention intensive peut correspondre à l’évolution actuelle aux Pays-Bas: les infirmières et les assistants liés à la pratique reprennent certaines tâches dévolues au médecin généraliste. En Belgique, étant donné l’organisation actuelle de la première ligne de soins, cette implantation n’est guère possible.

 

Conclusion

Cette étude effectuée en pratique de médecine générale, chez des patients présentant un syndrome du côlon irritable déjà traités par mébévérine, montre un effet positif et limité sur les plaintes d’un traitement comportemental cognitif (TCC) conduit par des infirmières formées à cet effet. Après six mois, une diminution des plaintes est observée sous mébévérine, mais sans plus-value d’un TCC ajouté. Une recommandation concernant la place de cette approche chez des patients présentant un syndrome du côlon irritable ne peut être faite sans disposer d’analyse de rapport coût/efficacité et de précisions quant aux patients pouvant bénéficier d’une telle prise en charge.

 

Références

  1. Holden JD. Hawthorne effects and research into professional practice. J Eval Clin Pract 2001;7:65-70.
  2. van der Horst HE. Het prikkelbaredarmsyndroom: is er een plaats voor medicamenteuze therapie? Geneesmiddelenbulletin 2002;36:15-21.
  3. Bijkerk CJ, de Wit NJ, Muris JW et al. Outcome measures in irritable bowel syndrome: comparison of psychometric and methodological characteristics. Am J Gastroenterol 2003;98:122-7.
  4. Mundt JC, Marks IM, Shear MK, Greist JH. The Work and Social Adjustment Scale: a simple measure of impairment in functioning. Br J Psychiatry 2002;180:461-4.
  5. Lackner JM, Mesmer C, Morley S et al. Psychological treatments for irritable bowel syndrome: a systematic review and meta-analysis. J Consult Clin Psychol 2004;72:1100-13.
  6. Raine R, Haines A, Sensky T et al. Systematic review of mental health interventions for patients with common somatic symptoms: can research evidence from secondary care be extrapolated to primary care? BMJ 2002;325:1082-93.
Thérapie comportementale cognitive en cas de syndrome du côlon irritable



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