Revue d'Evidence-Based Medicine



Faut-il vacciner les enfants contre le pneumocoque?



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 3 Page 36 - 38

Professions de santé


Analyse de
Black S, Shinefield H, Baxter R et al. Postlicensure surveillance for pneumococcal invasive disease after use of heptavalent pneumococcal conjugate vaccine in Northern California Kaiser Permanente. Pediatr Inf Dis J 2004;23:485-9.


Question clinique
Quelle est l’incidence des infections invasives dues à un pneumocoque (avec détermination de son sérotype) chez les enfants et les nourrissons en fonction d’une vaccination ou non au moyen d’un vaccin conjugué? Quel est le risque d’infection invasive à pneumocoque chez les enfants plus âgés et les adultes appartenant à la même population? Quel est l’impact de la vaccination sur le taux de résistance du pneumocoque aux antibiotiques?


Conclusion
Cette étude d’observation apporte trop peu d’arguments scientifiques pour étayer une vaccination pneumococcique généralisée des nourrissons à partir de l’âge de deux mois. Les enfants présentant un risque accru du fait d’une pathologie sous-jacente et/ou d’une association de différents facteurs de risque pourraient bénéficier d’une vaccination et un remboursement est souhaitable dans ces cas. Une prise en charge des facteurs de risque modifiables reste de mise.


 

Résumé

Contexte

En février 2000, un vaccin antipneumococcique conjugué heptavalent (Prevenar®) a été enregistré aux E.U. pour la prévention des infections invasives dues au pneumocoque, de l’otite moyenne et de la pneumonie chez les enfants et les nourrissons. Une compagnie d’assurance pour les soins de santé, la Northern California Kaiser Permanente (NCKP) a suivi de près les données concernant les effets directs et indirects de l’administration de ce vaccin à chacun de ses affiliés (aussi bien enfant qu’adulte).

Population étudiée

La NCKP dispose des données médicales d’une population de 3,1 millions de sujets, comportant 185 000 enfants âgés de moins de cinq ans. Les caractéristiques générales de cette population ne sont pas décrites.

Protocole d’étude

Durant 3,5 ans, la survenue d’infections pneumococciques invasives a été suivie chez tous les affiliés.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la survenue d’une infection pneumococcique primaire (IPP) définie comme une infection par des pneumocoques mis en évidence dans une localisation du corps normalement stérile. Les données du laboratoire régional ont été utilisées pour cette étude. La relation entre diagnostic clinique et bactérien n’est pas clairement décrite.Les rapports du staff médical, les hospitalisations (prévues ou non) et les données d’immunisation sont extraits des bases de données. Le sérotype de chaque pneumocoque trouvé a été déterminé et un antibiogramme a déterminé son éventuelle résistance à la pénicilline (oxacilline) et à d’autres antibiotiques.

Résultats

En 2000, 2001 et 2002, respectivement 36%, 90% et 74% des bébés âgés d’un an (n>35 000) avaient été vaccinés au moyen de trois doses et, respectivement, 1%, 31% et 31% des enfants de deux ans (n>70 000) avaient reçu une vaccination complète (quatre doses). De nombreux enfants âgés de deux ans n’ont pu bénéficier d’une vaccination complète (quatrième dose) par manque de vaccins disponibles. L’incidence annuelle d’infections pneumococciques invasives chez les enfants âgés de moins de cinq ans est de 9,5 cas par 100 000 année-personne après le 1er avril 2000, alors qu’elle oscillait entre 54,7 et 70,8 cas pour 100 000 année-personne au cours des deux années précédentes. Lors de la dernière année d’observation, une augmentation non significative d’infections pneumococciques de 20,8% (p=0,58) est observée par rapport aux quatre dernières années avant la vaccination, et ceci avec un sérotype non contenu dans le vaccin.

Une diminution constante du nombre d’infections pneumococciques invasives est également observée chez les personnes âgées de 20 à 39 ans et celles de plus de 60 ans. Une réduction significative (p<0,001) de la résistance, vis-à-vis de la pénicilline, des pneumocoques isolés est observée: de 28,9% en 1998-1999, elle chute à 19,5% en 2001-2002.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le vaccin pneumococcique heptavalent est très efficace dans la réduction du nombre d’infections pneumococciques invasives chez les enfants de moins de cinq ans. Ils jugent avoir les preuves de l’intérêt d’une immunité de groupe dans la diminution de la résistance du pneumocoque à la pénicilline.

Financement

Non décrit.

Conflits d’intérêt

Le premier auteur est membre du Kaiser Permanent Vaccine Study Center mais également le premier auteur d’une étude d’efficacité du Prevenar® financée par la firme Wyeth 1.

Discussion

Etude d’observation

Cette étude n’est pas une RCT mais une étude épidémiologique de cohorte qui compare une situation avant vaccination à celle qui suit une vaccination. La population de cette cohorte est, il est vrai, importante, mais la rareté de l’affection (infection pneumococcique invasive) justifie cette nécessité. Les limites propres à une étude de cohorte sont également ici présentes: un lien causal reste délicat à établir, différents facteurs pouvant expliquer les modifications enregistrées au niveau des chiffres d’incidence. Une autre faiblesse de cette étude est l’absence de données générales sur sa population telles que sexe, ethnicité, pathologies sous-jacentes et facteurs de risque. La diminution de la résistance du pneumocoque à la pénicilline observée peut tout aussi bien être attribuée à une meilleure gestion des antibiotiques ou à la plus grande diffusion d’un sérotype plus sensible, comme c’est le cas en Belgique 2. L’antibiogramme avec ses résistances n’est pas non plus comparé avec celui d’autres régions. Le nombre d’années pour les comparaisons est relativement peu élevé (deux ans après et deux ans avant la vaccination). Il faut, en effet, tenir compte des variations naturelles dans l’incidence des infections. Les deux années précédant 2000 montraient, précisément, les chiffres d’incidence les plus élevés des six dernières années. Une observation, limitée à une période de deux ans, d’une légère augmentation des infections provoquées par des sérotypes non contenus dans le vaccin, ne permet pas de prédire l’évolution de cette observation.

Incidence

Depuis 1994, une augmentation continue des infections pneumococciques invasives est enregistrée, aussi bien en Belgique 2 qu’aux E.U. En 2002-2003, un nombre encore plus important a été observé, entre autres en raison d’un meilleur enregistrement par les pédiatres participant à l’étude, financée par Wyeth, sur les IPP 3,4. Parmi les enfants âgés de moins de cinq ans, 59/100 000 sujets ont été rapportés, soit un nombre absolu de 342 cas pour toute la Belgique 4. Dans cette étude américaine, l’incidence a été la plus forte en Californie en 1998-1999 (70,8/ 100 000 personnes). L’augmentation progressive est probablement explicable par l’utilisation systématique des vaccins contre l’Haemophilus influenzae de type-b depuis 19942, ce qui peut libérer la place pour un autre germe qui remplace celui contre lequel la vaccination est dirigée. Ce phénomène écologique implique que nous devons continuer à examiner l’ensemble des infections invasives et pas uniquement la souche causale incriminée.

Différents sérotypes

Il existe une nonantaine de sérotypes connus du pneumocoque. Les sept les plus agressifs et les plus souvent résistants seraient contenus dans le vaccin. La répartition entre les sérotypes de pneumocoques circulants varie cependant de région à région. En Europe, la couverture assurée par le vaccin heptavalent est moins complète qu’au E.U. où les études d’efficacité ont été réalisées. En Belgique, dans l’étude IPP (2003), respectivement 72% et 57% des sérotypes contenus dans le vaccin étaient responsables des IPP chez les enfants de moins de deux et de cinq ans.Aux E.U. la concordance avec les sérotypes du vaccin est de 89% pour les enfants de moins de cinq ans. Des RCTs 1-5 effectuées aux E.U. montrent en tout cas une efficacité (>70%) de ce vaccin heptavalent dans la réduction d’infections pneumococciques invasives (comme bactériémie, méningite et pneumonie) chez de jeunes enfants (jusqu’à deux ans). Ce niveau d’efficacité est cependant dépendant de la concordance avec les sérotypes circulants. Aux Pays-Bas 6 et en France 7, une certaine réserve est exprimée, en raison de ce motif, pour recommander une vaccination générale. Des vaccins conjugés 9- et 11-valents sont en préparation, tandis que le vaccin 23-valent polysaccharidique n’est pas efficace chez les jeunes enfants.

Le vaccin n’est pas efficace pour la prévention de l’otite moyenne 8,9 en raison d’une modification des sérotypes étiologiques. Ce problème devient plus important encore si la concordance de sérotypes est moins bonne. Des lettres à l’éditeur 10 confirment que ce phénomène de modification de sérotypes est une préoccupation justifiée et nécessite un suivi rigoureux. Il hypothèque également l’immunité de groupe attendue après une vaccination généralisée.

Qui est à risque?

De nombreux enfants et adultes sont des porteurs asymptomatiques et ne présenteront jamais de maladie provoquée par ce germe. Le nombre de porteurs sains est particulièrement élevé dans les communautés fermées 3. Ce sont les jeunes enfants (de moins de deux ans) et les personnes âgées de plus de 60 ans qui courent le plus de risque d’infection invasive. Les enfants présentant un déficit immunitaire sont particulièrement exposés. Les enfants accueillis dans les crèches (risque triplé), sans allaitement maternel (risque quintuplé), les prématurés (risque x 1,6), de bas poids de naissance (risque x 2,6), qui ont reçu fréquemment des antibiotiques (risque x 3,4), pour une otite ou non (risque x 2,2) courent plus de risque d’infection pneumococcique avec complications sévères 11. En tout cas, l’accès à ce vaccin pour les enfants issus de classes sociales plus défavorisées et pour ceux qui courent sans doute plus de risques (bas poids de naissance, tabagisme ambiant, pas d’allaitement maternel, accueil en crèche et de nombreuses d’otites) restera difficile s’il n’est pas remboursé.

Effets indésirables

Des effets indésirables quelque peu gênants (temporaires) figurent dans la notice (hypersensibilité à l’endroit d’injection entraînant une certaine réduction de mobilisation, fièvre, parfois nausées et vomissements), particulièrement s’il est administré en même temps que les vaccins classiques. Le prix élevé du vaccin reste un obstacle (68 euro, 272 euro pour quatre doses). Il n’est pas actuellement remboursé (ni pour les groupes à haut risque). Une étude aux E.U.montre qu’un vaccin coûtant moins de 46 dollars est d’un rapport coût/efficacité acceptable pour la société 12.

Avis et recommandation

 Les pédiatres sont déjà partisans d’une vaccination générale depuis l’âge de deux ans5. Ils estiment apporter ainsi une solution à la résistance croissante du pneumocoque et insistent sur la protection consécutive des personnes non vaccinées dans l’environnement proche par l’effet de l’immunité de groupe. A ce jour, nulle part en Europe une vaccination généralisée des nourrissons n’a été instaurée. Le Conseil Supérieur d’Hygiène belge 13,14 conseille de vacciner les groupes à risque et demande une diminution de prix et une association fixe avec les vaccins actuels avant de pouvoir recommander une vaccination généralisée de tous les nouveaux-nés. Il a cependant publié un calendrier vaccinal de base modifié incluant ce vaccin 13.

Conclusion

Cette étude d’observation apporte trop peu d’arguments scientifiques pour étayer une vaccination pneumococcique généralisée des nourrissons à partir de l’âge de deux mois. Les enfants présentant un risque accru du fait d’une pathologie sous-jacente et/ou d’une association de différents facteurs de risque pourraient bénéficier d’une vaccination et un remboursement est souhaitable dans ces cas. Une prise en charge des facteurs de risque modifiables reste de mise.

 

Références

  1. Black S, Shinefield H, Fireman B et al. Efficacy, safety and immunogenicity of heptavalent pneumococcal conjugate vaccine in children. Pediatr Infect Dis J 2000;19:187-95.
  2. Ducoffre G. Surveillance van infectieuze aandoeningen door een netwerk van laboratoria voor microbiologie 2003. Epidemiologische trends 1983-2002. Brussel:Wetenschappelijk Instituut Volksgezondheid, Afdeling Epidemiologie, 2004.
  3. Mahieu L, De Dooy J. Pneumokokkeninfectie: een onderschatte ziekte? Epidemiologisch bulletin van de Vlaamse Gemeenschap 2004;50:1-5.
  4. Vergison A et al. Epidemiology of invasive pneumococcal disease in Belgian children. A national pre-conjugate vaccine overview. [poster] ESPID,Tampere, Finland, 2004.
  5. Mahieu L, De Dooy J.Preventie van pneumokokkeninfecties door middel van vaccinatie. Epidemiologisch bulletin van de Vlaamse Gemeenschap 2004;50:7-12.
  6. Voordouw ACG. Heptavalent geconjugeerd pneumokokkenvaccin (Prevenar) geregistreerd. Geneesmiddelenbulletin 2001;35:94.
  7. Anonymous.Vaccin pneumococcique conjugué à 7 valences prévient les (rares) infections invasives du nourrisson, mais l’adéquation à la prévalence des sérotypes en France reste à vérifier. Rev Prescr 2001;21:645-51.
  8. Chevalier P.Vaccins antipneumococciques pour la prévention de l’otite moyenne. MinervaF 2004;3(2):27-9.
  9. Eskola J, Kilpi T,Palmu A et al. Efficacy of a pneumococcal conjugate vaccine against acute otitis media. N Engl J Med 2001;344:403-9.
  10. Cantekin EI. A pneumococcal conjugate vaccine and acute otitis media [Letter]. N Engl J Med 2001;344:1719.
  11. Levine OS, Farley M, Harrison LH et al. Risk factors for invasive pneumococcal disease in children: A population-based casecontrol study in North America. Pediatrics 1999;103:e28.
  12. TA, Ray GT, Black SB. Projected cost-effectiveness of pneumococcal conjugate vaccination of healthy infants and young children. JAMA 2000;283:1460-8.Lieu
  13. Conseil Supérieur d’Hygiène cité dans: Informations récentes octobre – novembre 2004. Folia Pharmacotherapeutica 2005;32:8.
Faut-il vacciner les enfants contre le pneumocoque?

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

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