Revue d'Evidence-Based Medicine



Traitement de la vaginite asymptomatique pendant la grossesse



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 7 Page 114 - 115

Professions de santé


Analyse de
Ugwumadu A, Manyonda I, Reid F, Hay P. Effect of early oral clindamycin on late miscarriage and preterm delivery in asymptomatic women with abnormal vaginal flora and bacterial vaginosis: a randomized controlled trial. Lancet 2003;361:983-8.


Question clinique
Le traitement d’une perturbation asymptomatique de la flore vaginale et d'une vaginite bactérienne avec de la clindamycine per os, administrée tôt dans le deuxième trimestre de la grossesse, conduit-il à une réduction des fausses couches tardives et des naissances prématurées?


Conclusion
Cette étude montre qu’un court traitement avec de la clindamycine orale réduit le risque de fausse couche ou de naissance prématurée, chez les femmes enceintes présentant, lors d'un simple test de dépistage en début de grossesse, une flore vaginale perturbée ou une vaginite bactérienne démontrée. Les constatations de cette étude doivent être confirmées dans de grandes études multicentriques avant de pouvoir implanter une stratégie «screen and treat» en consultation prénatale.


 

Résumé

Contexte

La prématurité est la cause principale de mortalité et de morbidité périnatales, de handicaps acquis en prénatal et de troubles du développement de la prime enfance. La naissance prématurée (<37 semaines) et les fausses couches tardives (13 à 24 semaines*) sont fortement corrélées avec des vaginites bactériennes et des perturbations de la flore vaginale pendant la grossesse 1.

Population étudiée

Dans deux centres britanniques, 11 189 femmes enceintes (de 12 à 22 semaines) ont été convoquées pour un dépistage. Un score de Nugent a été attribué aux 6 120 échantillons vaginaux prélevés: 5 380 femmes (87,9%) avaient une flore normale (score de Nugent de 0 à 3) ou un échantillon inutilisable, 740 femmes (12,1%) avaient une flore perturbée (score de Nugent de 4 à 6) ou une vaginite bactérienne (score de Nugent de 7 à 10). Sur ces 740 femmes enceintes avec une flore perturbée, 246 ont été exclues de la randomisation, sur base des critères d’exclusion suivants: vaginite bactérienne symptomatique, grossesse multiple, âge <16 ans, pathologie systémique maternelle, lésions du col ou de l’utérus, fausse couche spontanée et anomalie foetale congénitale. Les femmes incluses étaient âgées en moyenne de 28,5 ans (ET 5,5) et l’âge moyen de la grossesse était de 15,6 (ET 2,6) semaines dans le groupe traité et de 15,7 (ET 2,6) semaines dans le groupe contrôle. Les antécédents obstétricaux n’étaient pas significativement différents dans les deux bras.

Protocole d’étude

Les 494 femmes enceintes sélectionnées avec une flore vaginale perturbée mais sans symptôme, ont été randomisées en double aveugle dans un troupe traitement (300 mg de clindamycine deux fois par jour pendant 5 jours) (n=249) et dans un groupe contrôle (avec des capsules de placebo identiques) (n=245). La puissance de l'étude pour une diminution absolue de risque de 9% pour le critère de jugement primaire était de 90%. Pendant le suivi, les données d'observation des accoucheuses étaient recherchées dans les dossiers d’hospitalisation.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est une fausse couche tardive (13-24 semaines) ou un accouchement prématuré (24-37 semaines). Les critères secondaires sont l’âge de la grossesse à la naissance, le poids de naissance et l’hospitalisation dans un service de soins intensifs néonatals. L’analyse a été faite selon le principe de l’intention de traiter.

Résultats

Les femmes traitées par la clindamycine avaient un taux significativement plus bas de fausses couches tardives et de naissances prématurées spontanées que les femmes du groupe placebo (13/244 ou 5,3% versus 38/241 ou 15,8%). Ce qui correspond à une différence absolue de risque est égale à la différence entre le risque de survenue d’un événement dans le groupe exposé (dans une étude d’observation) ou le groupe intervention (dans une étude expérimentale) et ce risque dans le groupe non exposé ou le groupe contrôle. Si le risque diminue, cette différence de risque est appelée réduction absolue du risque (RAR) ; si le risque augmente, l’expression accroissement absolu du risque (AAR) est utilisée.">réduction absolue de risque (RAR) de 10,4% (IC à 95% de 5,0 à 15,8; p=0,0003) avec un NNT = 1/RAR *100.">nombre de sujets à traiter; (NST) de 10 (IC à 95% de 6 à 20). Il n’y avait pas de différence significative pour les critères secondaires. Il n’y avait pas non plus de différence significative dans la survenue d’effets indésirables (gastro- intestinaux, éruption cutanée, vulvovaginite à candida, irritation de la gorge, céphalées).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le traitement avec de la clindamycine per os, chez les femmes enceintes, non sélectionnées, avec une flore vaginale perturbée ou une vaginite bactérienne asymptomatique au début du deuxième trimestre de la grossesse, permet d'obtenir une diminution significative du nombre de fausses couches tardives et d’accouchements prématurés spontanés.

Financement

L’étude a été financée par le National Health Services (NHS Executive London, Research and Development Programme). La clindamycine et le placebo ont été mis gratuitement à disposition par Pharmacia-Upjohn Pharmaceuticals.

Conflits d’intérêt

Un des auteurs (PH) a reçu des rémunérations pour des lectures, expertises, assistances à des congrès et participations à des études cliniques de Osmetech, 3M et Pharmacia-Upjohn.


Discussion

Considérations sur la méthodologie

L’étude était méthodologiquement bien bâtie: randomisation correcte, double aveugle et une puissance de 90%. Les imperfections méthodologiques de cette étude sont très limitées et concernent un manque de puissance pour montrer une efficacité significative pour les critères secondaires et, certainement aussi, le fait que le critère de jugement primaire soit composite (accouchement pré-maturé et fausse couche tardive). La dimension de cette étude ne permet pas de montrer un effet significatif sur le nombre de naissances prématurées en particulier.

Autres études

L’association entre la vaginite bactérienne en début de grossesse et la naissance prématurée est bien documentée 1 . Un traitement de cette vaginite bactérienne avec des antibiotiques locaux ou systémiques pendant la grossesse semble être l’intervention de choix pour prévenir la naissance prématurée. Il est à noter qu’une récente synthèse Cochrane ne montre pas de réduction significative du nombre des naissances prématurées lors d'un traitement de la vaginite bactérienne. Il y a cependant un effet bénéfique limité chez les femmes avec un précédente issue défavorable de la grossesse 2,3. L’étude d’intervention d’Ugwumadu est donc la première à montrer une efficacité significative, sur la naissance prématurée, du traitement de la perturbation asymptomatique de la flore vaginale dans le début de grossesse. Elle diffère également à plusieurs égards des autres études. C’est la première RCT avec une courte cure orale de clindamycine. Des dix RCTs reprises dans la synthèse Cochrane, cinq ont utilisé le métrodinazole per os, une l’amoxicilline per os, une du métronidazole intravaginal et trois de la clindamycine intravaginale. Dans cette étude, l’âge moyen de la grossesse lors du traitement était de 15,6 semaines. Dans seu lement trois des dix études d’intervention examinées dans la synthèse Cochrane, le dépistage a commencé avant 16 semaines de grossesse. Un traitement précoce est plus en concordance avec la compréhension physiopathologique actuelle: une vaginite bactérienne, lors d'une grossesse débutante, est associée à une endométrite subclinique, laquelle entraverait le décours normal de la grossesse et le sain développement de l’embryon et du foetus. C’est pour ce motif que les auteurs ont inclus aussi bien des patientes avec une flore vaginale intermédiaire (score de Nugent 4 à 6), que celles avec une vaginite bactérienne (score de Nugent de 7 à 10) et ont constaté que l’effet positif du traitement est correlé avec le grade de la perturbation.

Nombre nécessaire à dépister

Les résultats analysés avec le test de Kaplan-Meier montrent une efficacité du traitement en termes de naissances prématurées de 33-36 semaines, aussi bien chez des femmes avec que sans antécédents de grossesse antérieure avec issue défavorable. Le NST dans cette étude est de 10 (IC à 95% de 6 à 20): pour éviter une naissance pré-maturée ou une fausse couche tardive, dix femmes doivent être traitées avec la clindamycine. En tenant compte qu’après le dépistage de 6 120 femmes, 740 prélèvements (prévalence 12%) avec une perturbation asymptomatique de la flore vaginale ont été trouvés, le nombre nécessaire à dépister est de 120 (10x12). Dans cette population, cela veut dire que pour prévenir une fausse couche tardive ou une naissance prématurée, 120 femmes doivent être dépistées pour des perturbations de la flore vaginale et que toutes les femmes dépistées positives doivent être traitées. Ce nombre nécessaire à dépister est important pour une analyse coût/efficacité.

 

Conclusion

Cette étude montre qu’un court traitement avec de la clindamycine orale réduit le risque de fausse couche ou de naissance prématurée, chez les femmes enceintes présentant, lors d'un simple test de dépistage en début de grossesse, une flore vaginale perturbée ou une vaginite bactérienne démontrée. Les constatations de cette étude doivent être confirmées dans de grandes études multicentriques avant de pouvoir implanter une stratégie «screen and treat» en consultation prénatale 4.

 

Références

  1. Leitich H, Bodner-Adler B, Brunbauer M et al. Bacterial vaginosis as a risk factor for preterm delivery: a meta-analysis. Am J Obstet Gynecol 2003;189:139-47.
  2. McDonald H, Brocklehurst P, Parsons J, Vigneswaran R. Antibiotics for treating bacterial vaginosis in pregnancy (Cochrane Review). In: The Cochrane Library, Issue 1, 2004. Chichester, UK: John Wiley & Sons, Ltd.
  3. Leitich H, Brunbauer M, Bodner-Adler B et al. Antibiotic treatment of bacterial vaginosis in pregnancy: a meta-analysis. Am J Obstet Gynecol 2003;188:752-8.
  4. ACOG Practice Bulletin. Assessment of risk factors for preterm birth. Clinical management guidelines for obstetrician- gynecologists. Number 31, October 2001. Obstet Gynecol 2001;98:709-16.

 

* Norme en Angleterre. En Belgique le critère de déclaration des mortnés à l’état civil est 22 semaines de durée de gestation.

Traitement de la vaginite asymptomatique pendant la grossesse



Ajoutez un commentaire

Commentaires