Revue d'Evidence-Based Medicine



Faut-il suturer les petites plaies de la main?



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 9 Page 139 - 140

Professions de santé


Analyse de
Quinn J, Cummings S,Callaham M, Sellers K. Suturing versus conservative management of lacerations of the hand: randomised, controlled trial. BMJ 2002;325:299-301.


Question clinique
Observe-t-on une différence clinique à moyen terme pour des petites plaies superficielles de la main entre celles qui ont été suturées et celles qui ne l’ont pas été?


Conclusion
Cette étude conclut à l'absence de nécessité de suturer des petites plaies de la main, inférieures à deux cm, chez des patients non susceptibles de développer des complications, dans des conditions d’asepsie respectées. Cependant, toutes les études publiées à ce jour ayant été menées dans des services d’urgence hospitaliers, aucune recommandation basée sur des preuves ne peut être formulée pour la médecine générale.


 

Résumé

Contexte

Suturer est la méthode la plus classique de fermer les plaies avec sécurité. Face à toute coupure, le médecin généraliste se pose la question de savoir s’il doit, après désinfection superficielle, intervenir pour fermer chirurgicalement cette blessure ou la laisser guérir spontanément.

Population étudiée

Tous les patients qui se présentaient au service des urgences d’un hôpital de Californie (E.U.) avec une plaie distale de la main (jusqu’au poignet), voulant être suturés ont été sélectionnés. Etaient exclus les patients ayant des plaies de plus de deux cm, datant de plus de huit heures, avec une hémostase ne pouvant être atteinte endéans les quinze minutes, ayant des plaies associées ou suspectées de complications vasculaires, neurologiques, tendineuses ou osseuses. Les plaies punctiformes, celles résultant de clous souillés ou secondaires à des morsures ont aussi été exclues. Les patients diabétiques, recevant des anticoagulants, ou utilisant des corticostéroïdes, ou encore incapables de se soumettre à un suivi n’ont pas été inclus. Sur 154 patients qui se sont présentés aux urgences, durant 10 mois, et répondant aux critères d'inclusion et d'exclusion, 58 (38%) ont refusé, 5 (3%) ont abandonné, 91 (59%) ont été randomisés avec 95 plaies enregistrées. L'âge moyen des participants est de 40 ans (ET 15). Le délai entre la blessure et la consultation est en moyenne de 80 minutes (ET 50) et les plaies étaient en moyenne de 1,4 cm (ET 0,5) de long.

Protocole d'étude

Les patients sont randomisés après avoir tous reçu une irrigation d’eau du robinet pendant 1 à 2 minutes. Les uns sont suturés après anesthésie locale avec du fil de suture 4,0 ou 5,0 et application de pommade antibiotique à base de polymyxine B et de bacitracine pendant 48 heures. Les autres reçoivent uniquement les soins par pommade.

Mesure des résultats

Le blessé remplissait une échelle visuelle analogique (EVA) de la douleur ressentie pendant le traitement. Les patients étaient revus après 8 à 10 jours pour évaluer la cicatrice selon une échelle validée qui reprenait les observations suivantes: l’irrégularité des contours, les berges écartées de plus de deux mm, les bords inversés, une déformation excessive, l’absence de bords en escalier et l’apparence esthétique. Dans un suivi rapproché, on questionnait les patients sur la capacité de reprise de leur activité normale. Après 3 mois, la cicatrice était photographiée et évaluée selon une échelle analogique visuelle de 0 à 100 mm par deux médecins n’ayant aucune notion du traitement appliqué et indépendamment l'un de l'autre. De leur côté, les patients évaluaient leur cicatrice selon la même échelle.

Résultats

En fin d'étude, 82 plaies ont été évaluées, 41 suturées et 40 non suturées. L’analyse de l’évaluation (en aveugle) de l’apparence esthétique par les médecins, dans les deux groupes ne donne pas de différence significative: 3 mm en moyenne sur l’échelle (IC à 95% de -1 à 8). Le temps moyen pour un retour aux activités normales est le même (différence moyenne 0 jour; IC à 95% de -1,4 à 1,3 ). Par contre, les patients non suturés avaient eu moins mal – différence de 18 mm (IC à 95% de 12 à 24) sur l’EVA - et le temps de traitement avait été plus court: 14 min (IC à 95% de10 à 18).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les plaies de la main de moins de 2 cm non suturées donnent, après deux mois, des résultats esthétiques similaires aux plaies suturées, avec un temps de traitement plus rapide et moins douloureux.

Financement

National Institute of Health.

Conflits d'intérêt

Le premier auteur a reçu des subventions d’une firme de matériel de sutures, pour des programmes éducatifs.

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Le choix thérapeutique du médecin généraliste, face à toute plaie non compliquée et quelle qu'en soit la localisation, est toujours difficile. Il ne dispose d’aucune aide dans sa décision de réaliser une suture ou de laisser la plaie guérir «naturellement». L’étude réalisée ici peut donner quelques réponses mais uniquement pour un type de plaie déterminé et à un endroit bien précis. En effet, cette étude a été fortement limitée dans son approche, vu le nombre important de critères d’exclusion. Ses résultats sont donc très peu extrapolables. Ils peuvent paraître fiables car la technique de randomisation est rigoureuse. L’analyse de la cicatrice sur photographie via une échelle analogique, par des médecins non au courant du traitement réalisé, paraît judicieuse pour éviter toute interférence dans les résultats.

Par rapport à la précédente étude réalisée par l’auteur 1 , celle-ci ne montre pas de différence significative sur l’aspect de la cicatrice à trois mois. Mais l’une et l’autre n’ont pas la puissance suffisante pour évaluer correctement la survenue de complications telles que les infections (1 cas sur 95 plaies dans la première étude (1,05%)). Ces complications infectieuses sont importantes à considérer car elles peuvent avoir des conséquences néfastes sur l’aspect fonctionnel de la main. Day et Grossmann et coll. parlent de 1,1 à 17,5% d’infections lors de plaies suturées 2,3 .

Prophylaxie antibiotique?

L’utilisation d’une prophylaxie antibiotique a été discutée dans une revue systématique 4 et d'autres études 3-5 . Celles-ci ne font pas apparaître de différence significative de survenue d’infections dans les groupes traités pré ventivement ou non. On pourrait donc mettre en doute l’attitude observée dans cette étude-ci qui était d’appliquer un antibiotique topique pendant 48 heures. Les deux études de l’auteur ont été réalisées dans des services hospitaliers d’urgence où l’asepsie était probablement plus stricte qu’en médecine générale. Néanmoins, une RCT réalisée dans un service d’urgence 6 en 2004 ne montre pas de différence significative concernant l’apparition de complications infectieuses de plaies non compliquées et suturées par des médecins selon qu'ils utilisent ou non des gants stériles. Il serait très intéressant que cette observation soit vérifiée par des études au cabinet du médecin généraliste, vu la pertinence à en retirer pour la pratique quotidienne. L’irrigation de la plaie par de l’eau de robinet avant les soins, ne doit pas influencer les résultats obtenus dans l’étude. Bansal et coll.7 suggèrent qu'il n’y a pas plus d’infections avec l’utilisation de l’eau du robinet qu’avec du liquide physiologique.

Comment réaliser la suture?

Une autre question porte sur les moyens à utiliser lors-qu’on décide de suturer. Faut-il employer du fil de soie, des strips, de la colle? Une revue systématique 8 montre qu’il n’y a pas de différence significative de l’apparence de la cicatrice entre les plaies fermées classiquement et celles fermées avec des tissus adhésifs, voire entre deux types de colle différents.

Secondairement, toutes ces études montrent un gain au niveau de la douleur pour les plaies non suturées. Il semble, en pratique, que l’anesthésie locale engendre une peur chez les patients. Ce stress augmente la perception douloureuse au niveau de la plaie ce qui pourrait influencer les réponses des patients.

 

Conclusion

Cette étude conclut à l'absence de nécessité de suturer des petites plaies de la main, inférieures à deux cm, chez des patients non susceptibles de développer des complications, dans des conditions d’asepsie respectées. Cependant, toutes les études publiées à ce jour ayant été menées dans des services d’urgence hospitaliers, aucune recommandation basée sur des preuves ne peut être formulée pour la médecine générale.

 

Références

  1. Quinn JV, Drzewiecki AE, Stiell IG, Elmslie TJ. Appareance scales to measure cosmetic outcomes of healed lacerations. Am J Emerg Med 1995;13:229-31.
  2. Day TK. Controlled trial of prophylactic antibiotics in minor wounds requiring suture. Lancet 1975;2:1174-6.
  3. Grossman JA, Adams JP, Kunec J. Prophylactic antibiotics in simple hand lacerations. JAMA 1981;245:1055-6.
  4. Cassel OCS, Burge P, Giele H. Peri-operative antibiotics for superficial hand trauma (Protocol Cochrane Review). In The Cochrane Library, Issue 4, 2003. Chichester, UK: John Wiley & Sons, Ltd.
  5. Haughey RE, Lammers RL, Wagner DK. Use of antibiotics in the initial management of soft tissue hand wounds. Ann Emerg Med 1981;10:187-92.
  6. Perelman VS, Francis GJ, Rutledge T et al. Sterile versus non-sterile gloves for repair of uncomplicated lacerations in the emergency department: a randomised controlled trial. Ann Emerg Med 2004;43:362-70.
  7. Bansal BC, Wiebe RA, Perkins SD, Abramo TJ. Tap water for irrigation of lacerations. Am J Emerg Med 2002;20: 469-72.
  8. Farion K, Osmond MH, Hartling L et al. Tissue adhesives for traumatic lacerations in children and adults (Cochrane Review). In The Cochrane Library, Issue 2, 2004. Chichester, UK: John Wiley & Sons, Ltd.. 
 
Faut-il suturer les petites plaies de la main?

Auteurs

Collette G.
Centre Universitaire de Médecine Générale, Université Libre de Liège
COI :

Glossaire

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires