Revue d'Evidence-Based Medicine



Bêta-bloquants cardiosélectifs en cas d'asthme et de BPCO



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 3 Page 50 - 51

Professions de santé


Analyse de
Salpeter SR, Ormiston TM, Salpeter EE. Cardioselective ß-blockers in patients with reactive airway disease: a meta-analysis. Ann Intern Med 2002;137:716-28.


Question clinique
Quel effet produisent les ß-bloquants cardiosélectifs sur la fonction respiratoire des patients présentant une obstruction réversible des voies respiratoires?


Conclusion
Cette méta-analyse montre que l’administration unique d’une faible dose d’un ß-bloquant cardiosélectif provoque une faible diminution, cliniquement peu pertinente, de la fonction respiratoire chez des patients présentant des formes non sévères de BPCO et d’asthme. L’effet est pratiquement totalement réversible après l’administration d’un ß-2 -mimétique. Aucune conclusion ne peut être tirée de cette étude quant à la sécurité de l’administration unique d’une dose élevée ou de l’utilisation prolongée de doses thérapeutiques.


 
 

Résumé

 

Contexte

Dans les guidelines, l’asthme et la BPCO sont souvent cités comme des contreindications à l’usage de ß-bloquants. Comme les ß-bloquants cardiosélectifs présentent une affinité pour les récepteursß 1 vingt fois supérieure à celle pour les ß 2 , ils provoqueraient moins de bronchoconstriction.

 

Méthodologie

 

Sources consultées

Les auteurs ont consulté Embase, Medline et CINAHL.

 

Etudes sélectionnées

Ont été sélectionnées, les études randomisées, en aveugle, contrôlées versus placebo, qui explorent l’effet des ß-bloquants cardiosélectifs chez des patients présentant une obstruction réversible des voies respiratoires. Cette obstruction réversible est définie par une augmentation de 15 % de la vitesse expiratoire maximale par seconde (VEMS) après inhalation d’un ß 2 -agoniste, un bronchospasme après inhalation de métacholine ou la présence d’un asthme suivant les critères de l’American Thoracic Society. Après évaluation méthodologique, 29 RCTs ont été inclus, reprenant des données sur l’effet d’un usage unique (19 études) ou continu durant 3 à 4 semaines (10 études) d’un ß-bloquant sélectif sur la fonction respiratoire.

 

Population de l’étude

Dans les dix-neuf études concernant un usage unique, 240 patients (79 % d’hommes) ont été inclus, d’un âge moyen de 40,1 ans (de 19,5 à 65,1 ans). Une moyenne de 12,6 patients par étude est comptabilisée. Les dix études concernant un usage continu incluent 141 patients (77 % d’hommes) d’un âge moyen de 51,3 ans avec une moyenne de 15,4 patients par étude.

 

Mesure des résultats

Une modification de la VEMS est calculée, aussi bien en cas d’usage unique que dans celui d’un usage quotidien. Ensuite, la présence de symptômes, tels que la dyspnée, un sifflement ou une exacerbation de l’asthme et, pour les études explorant une utilisation quotidienne, également la consommation hebdomadaire de ß 2 -agonistes, est notée. En analyse de sous-groupes, l’effet de différents ß-bloquants sélectifs avec ou sans activité sympathicomimétique intrinsèque, l’effet chez des patients BPCO et chez des patients présentant une comorbidité cardiovasculaire sont calculés.

 

Résultats

Usage unique de ß-bloquants cardiosélectifs

Après utilisation d’un ß-bloquant cardiosélectif, en comparaison avec un placebo, la VEMS diminue en moyenne de 7,46 % (IC à 95 % de –9,32 à –5,59 %; p<0,001) et cette VEMS augmente en moyenne de 4,63 % (IC à 95 % de 2,47 à 6,78 %; p<0,001) après administration d’un ß 2 -mimétique. Dans le groupe utilisant un ß-bloquant cardiosélectif sans activité sympathicomimétique instrinsèque (ISA), cette diminution de VEMS est majorée de 6,5 % (IC à 95 % de 2,2 à 10,7) et l’augmentation après administration d’un ß 2 -mimétique plus forte de 9,7 % (IC à 95 % de 5,6 à 13,7).

 

Traitement continu (3 à 4 semaines) de ß-bloquants cardiosélectifs

Par rapport au placebo, à long terme, aucune différence significative de la VEMS n’est observée (-0,42 %; IC à 95 % de –3,74 à 2,91; p>0,2) mais bien une meilleure réponse au ß 2 -mimétique (8,74 %; IC à 95 % de 1,96 à 15,52; p=0,01), particulièrement dans le groupe non ISA (12,6 %; IC à 95 % de 0,30 à 25,6; p=0,003). Aucune différence significative n’est observée dans la survenue de symptômes ou le recours à des ß 2 -mimétiques. Une analyse séparée de dix études concernant uniquement des patients BPCO est faite. Dans huit de ces dix études, les participants présentent une comorbidité, telle l’hypertension. Aucune différence significative n’est observée, entre le groupe intervention et le groupe placebo, dans la survenue de symptômes, que l’administration de ß-bloquants soit unique ou continue.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les ß-bloquants cardiosélectifs ne provoquent pas d’augmentation des symptômes cliniques d’une obstruction respiratoire réversible, également dans le sous-groupe des patients atteints de BPCO. Ces médicaments ne peuvent donc être interdits aux patients présentant une obstruction respiratoire légère à modérée et qui doivent utiliser ces molécules en raison d’une hypertension, d’une arythmie ou d’une insuffisance cardiaque.

 

Financement

Non mentionné.

 

Conflits d’intérêts

Non mentionnés.

 
 

Discussion  

 

Considérations sur la méthodologie

Les calculs de cette méta-analyse reposent sur des études relativement petites et anciennes (principalement effectuées entre 1970 et 1980). En conséquence, aucune étude ne répond aux critères d’inclusion les plus sévères pour cette méta-analyse, telle la présence d’une description détaillée du processus de randomisation. Pour atteindre quand-même une homogénéité acceptable, un nombre total de 200 études potentielles a été réduit à 29 ! Le nombre total de patients concernés est donc aussi très limité,. Ils sont d’âge moyen et aucun sujet ne présente de pathologie respiratoire sévère et irréversible. Le «traitement continu» avec ß-bloquants ne s’étend qu’à un maximum de 4 semaines! Aucune mention n’est faite de la présence d’une comorbidité, à l’exception des études concernant la BPCO ! Un tableau reprenant les caractéristiques des patients inclus fait défaut, si bien qu’un doute subsiste sur les doses de ß-bloquants utilisées. Cet élément pourtant important n’est pas mentionné dans les résultats. Indirectement, nous pouvons supposer qu’il s’agit de petites doses (équivalentes à 50 mg d’aténolol), les auteurs mentionnant dans leur discussion que la réalisation d’une analyse en régression linéaire (réalisée pour évaluer l’effet de ß-bloquant à haute dose) n’a pas été possible étant donné le manque de données avec des doses élevées. Ce qui est encore plus remarquable dans ces études, c’est le nombre limité de sujets dans les recherches à long terme. Des 141 sujets initialement mentionnés, 54 (38 %) n’ont pu être analysés, faute de valeurs de VEMS mentionnées. Le tableau indiquant l’effet à long terme des ß-bloquants sur la VEMS ne comprend que 87 participants (43 sans ISA, 44 avec ISA) et le tableau avec l’effet des ß 2 -mimétiques seulement 40 (30 sans ISA, 10 avec ISA). La différence de nombre entre ces deux tables n’est explicitée nulle part. Au vu de ces petits nombres, les intervalles de confiance des valeurs sont larges et les réserves d’usage doivent être rappelées dans l’interprétation de cette étude.

 

Population étudiée

Cette étude montre qu’une première administration d’une dose faible de ß-bloquant à un patient asthmatique diminue, d’une manière statistiquement significative mais cliniquement non pertinente (pas de survenue de symptômes) la VEMS de 7,5 %. Cette diminution de la VEMS est cependant plus ou moins compensée par un effet positif moyen de 4,6 % de l’inhalation d’un ß 2 -mimétique. Pour les ß-bloquants à effet ISA, ces phénomènes sont plus manifestes. C’est le seul résultat de cette étude qui contre balance de précédentes observations cliniques sur la survenue d’un bronchospasme après administration de hautes doses de ß-bloquants non sélectifs 1. Cette méta-analyse ne concerne cependant que de petites doses de ß-bloquants chez des patients d’âge moyen et présentant un asthme peu sévère. La construction de cette étude ne permet aucune conclusion valide sur des traitements à plus long terme. Il reste donc recommandé de ne pas utiliser de manière prolongée des ß-bloquants sélectifs en cas d’asthme. La contre-indication relative, figurant dans les recommandations, d’utilisation des ß-bloquants sélectifs pour traiter une hypertension chez un asthmatique 2 reste donc d’actualité. De même, l’administration d’une dose unique élevée d’un ß-bloquant sélectif en cas d’asthme reste peu sûre, aucune base scientifique satisfaisante ne l’autorisant.

 
 

Recommandations pour la pratique

 

Cette méta-analyse montre que l’administration unique d’une faible dose d’un ß-bloquant cardiosélectif provoque une faible diminution, cliniquement peu pertinente, de la fonction respiratoire chez des patients présentant des formes non sévères de BPCO et d’asthme. L’effet est pratiquement totalement réversible après l’administration d’un ß 2 -mimétique. Aucune conclusion ne peut être tirée de cette étude quant à la sécurité de l’administration unique d’une dose élevée ou de l’utilisation prolongée de doses thérapeutiques.

 
 
Référénces
  1. Raine JM, Palazzo MG, Kerr JH, Sleight P. Near-fatal bronchospasm after oral nadolol in a young asthmatic and response to ventilation with halothane. BMJ 1981;382:548-9.
  2. De Cort P, Philips H, Govaerts F, Van Royen P. WVVH aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: Hypertensie. Huisarts Nu 2003;32:387-411.
 
Bêta-bloquants cardiosélectifs en cas d'asthme et de BPCO

Auteurs

De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI :

Glossaire

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires