Revue d'Evidence-Based Medicine



Fréquence des consultations de suivi d'une HTA: trois ou six mois?



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 6 Page 88 - 90

Professions de santé


Analyse de
Birtwhistle RV, Godwin MS, Delva MD et al. Randomised equivalence trial comparing three month and six month follow up of patients with hypertension by family practitioners. BMJ 2004;328:204-10.


Question clinique
Quelle est la différence d’un contrôle tensionnel trimestriel ou semestriel, par le médecin généraliste, du patient hypertendu, sur la tension artérielle, sur la satisfaction du patient et sur sa compliance au traitement?


Conclusion
Malgré les limites de cette étude de suivi, il existe maintenant des arguments pour envisager, en médecine générale, un contrôle semestriel de la pression artérielle chez les patients hypertendus déjà stabilisés. Le schéma semestriel donne, par rapport à un schéma trimestriel, un contrôle des chiffres tensionnels aussi bon, une compliance thérapeutique semblable, et un taux de satisfaction des patients presque égal. La question reste ouverte de savoir si ceci peut s'appliquer aux patients souffrant d’une hypertension compliquée. Autre question restant ouverte: dans quelle mesure l'auto-contrôle de la tension peut-il non seulement diminuer la fréquence des consultations de suivi chez le médecin, mais, en plus, améliorer le contrôle du risque cardiovasculaire global? Sur base de ces arguments, le médecin généraliste peut envisager un schéma de contrôle semestriel des patients souffrant d’une hypertension artérielle stabilisée.


 

Résumé

Contexte

Les directives concernant la prise en charge de l’hypertension par le médecin généraliste ne sont guère précises quant à la fréquence et au contenu du suivi. D'autre part, des études ont montré que seuls 13% des patients canadiens souffrant d’hypertension, et 25% des patients américains hypertendus seraient correctement traités.

Population étudiée

Cinquante médecins généralistes canadiens ont suivi, pendant environ trois ans (en moyenne 33,6 mois), 609 patients âgés de 30 à 74 ans souffrant d’hypertension essentielle. A l'initiation de l’étude, leur tension artérielle était contrôlée à l’aide d’au moins un antihypertenseur, depuis au moins trois mois. Ils étaient tous traités uniquement par le généraliste pour leur hypertension.

Protocole d’étude

La population étudiée a été répartie, au hasard, soit dans un groupe (n=302) suivi tous les trois mois (3M) par le généraliste pour ajuster le traitement de l’hypertension, soit dans un groupe (n=307) suivi tous les six mois (6M). Le patient était libre de consulter son médecin pour toute autre plainte, ou si sa tension était mal contrôlée. Dans ce cas, le patient sortait temporairement du protocole d’étude, parce que le généraliste revoyait son patient aussi souvent qu’il le jugeait nécessaire pour des raisons cliniques.

Mesure des résultats

La tension artérielle a été mesurée aussi bien par le médecin (en consultation) que par l’infirmière visiteuse (lors d’une visite à domicile). Le type de mesure effectué par patient n’est pas mentionné. La compliance thérapeutique a été estimée par un comptage des comprimés restant après 18 et 36 mois de traitement. Un patient qui prenait 80% de ses médicaments était considéré comme compliant. La satisfaction des patients a été mesurée à l’aide du questionnaire de Baker, validé auprès de 100 médecins généralistes anglais. Cette liste évalue la satisfaction générale par rapport à la visite médicale. Une échelle analogique visuelle était également complétée pour évaluer la satisfaction quant au suivi du contrôle tensionnel par le généraliste et par l'automesure.

Résultats

Les patients du groupe 6M consultent significativement moins souvent le généraliste, soit 16,2 (ET 8,45) consultations versus 18,8 (ET 8,06) consultations; p<0,0001. Le contrôle de la tension reste cependant le même pour les deux stratégies de suivi, de même que la satisfaction et la compliance des patients. Dans les deux groupes, 20% des patients ont présenté, durant l’étude, un contrôle insuffisant de leur tension.

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent que la suivi, par un médecin généraliste, d’une hypertension artérielle stabilisée tous les 6 mois est aussi efficace qu'un suivi tous les 3 mois, et n'entraîne pas de diminution de satisfaction ou de compliance de la part des patients.

Financement

Canadian Institute for Health Research, Mc Knight Fund of Queen’s University.

Conflits d’intérêts

Aucun.

 

Discussion

Contexte

En Belgique aussi, l’atteinte de chiffres tensionnelscibles reste insuffisante chez les patients souffrant d’hypertension. Suivant une récente analyse des données de médecins vigies 1, la moitié à peine des patients hypertendus sont correctement traités, et, chez les patients diabétiques ou insuffisants rénaux, respectivement 18,8% et 5,6% seulement des valeurs tensionnellescibles recommandées sont atteintes! Il existe peu de points de repère quant à la fréquence du suivi idéal de ses patients hypertendus. Les directives dans ce domaine sont insuffisantes ou contradictoires. La recommandation belge 2 pour l’hypertension ne se risque même pas à formuler un avis. Pour les patients souffrant d’une hypertension artérielle non compliquée, traitée avec un seul médicament, les directives européennes 3 conseillent un contrôle tous les 6 mois et "des contrôles plus fréquents pour les situations plus complexes". Le NHG-standaard 4 mentionne, de manière peu précise, que, après une bonne mise au point du traitement, un contrôle "tous les 3 à 6 mois" suffit, avec une évaluation annuelle des autres facteurs de risque. Toutes ces recommandations présentent le niveau de preuve le plus faible (niveau 3), ce qui veut dire qu’elles ont été établies sur base d’un consensus d’experts, au vu de la quasi absence de données de référence dans la littérature. Cette RCT est unique en son genre, et, pour ce motif seul, déjà importante.

Evaluation méthodologique

L'absence de caractère aveugle pour le médecin comme pour le patient est inhérente à ce type d’étude. La randomisation à l’aveugle dans l’un des deux groupes, et l’analyse statistique en aveugle peuvent limiter quelque peu les biais dans cette étude. Le nombre de sorties d'étude dans les deux groupes est faible: 94% des patients terminent l’étude tant dans le groupe 6M que dans le groupe 3M. L’utilisation de la méthode intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">d’analyse en intention de traiter ne pose également pas de problème.

Au début de l’étude, 9% seulement des patients sont en traitement depuis un an pour leur hypertension, environ 50% l’étaient déjà depuis plus de cinq ans, soit une vraie population de médecine générale. Les caractéristiques de base des deux groupes étudiés sont semblables, sauf la présence de plus de diabétiques dans le groupe 3M (8,6% versus 4,9%). Une discordance est également remarquée pour la tension diastolique. Selon la table des caractéristiques de base, elle est égale, mais, dans le tableau de suivi, une différence significative de 1,21 mm Hg (ET 0,55; IC à 95% de 0,30 à 2,11) de la pression diastolique initiale est observée quand les médecins mesurent eux-même la tension, et ce, en faveur du groupe 6M. Peut-être est-ce une impression liée à l’imprécision quant au type de mesure utilisé dans les différentes analyses (mesures faites par les médecins versus mesures faites par les infirmières).

A la lecture de l’article, il apparaît également que les patients contrôlent eux même régulièrement leur tension; la fréquence de ces mesures augmente notablement au fil du temps. Au début, 36% des patients du groupe 3M mesurent eux-même leur tension, contre 52% après 3 ans. Pour le groupe 6M, cette augmenta tion est un peu moins marquée: 39% au début et 47% en fin d'étude. Le protocole d’étude ne mentionne pas le type de mesure, et l’effet éventuel de celui-ci. Il serait possible que le nombre de consultations nécessaires chez le médecin soit moindre lorsque le patient est responsabilisé et contrôle lui-même sa tension… mais ceci n'a jamais fait l'objet d'une recherche scientifique. Une publication récente 5 a montré une utilisation moindre de traitement antihypertenseur chez les patients contrôlant eux-mêmes leur tension.

Davantage de visites non planifiées?

Bien que les patients du groupe 6M consultent, au total, significativement moins que le groupe 3M, il n’est cependant pas étonnant que leur nombre de consultations non planifiées soit plus élevé, soit pour un contrôle tensionnel (939 fois dans le groupe 6M versus 890 dans le groupe 3M), soit pour d’autres raisons non attendues (2 557 fois dans le groupe 6M versus 2 217 fois dans le groupe 3M). La différence absolue entre les deux groupes n’est cependant pas significative (8,68 consultations non planifiées par patient du groupe 3M versus 7,95 pour le groupe 6M; p=0.23). Notons aussi que les patients des deux groupes consultent plus souvent le généraliste que ce qui était planifié! Dans ce contexte, le fait que la sévérité de l’hypertension traitée ne soit pas mentionnée constitue une limite à cette étude. Combien de patients sont traités par une monothérapie? Combien souffrent d’une HTA non compliquée ou d’une HTA compliquée? Sont-ce ces derniers qui consultent plus fréquemment de manière inopinée pour un contrôle? Nous ne pouvons le déduire des données.

L’évaluation de la satisfaction du patient quant aux soins médicaux ne montre aucune différence entre les deux groupes. Les scores de satisfaction générale, durée de la consultation, densité de la relation, accessibilité du médecin, continuité et disponibilité des soins sont totalement semblables. Seul l’item «mon médecin ne prend pas mon problème de tension au sérieux» présente, après 3 ans, un score significativement moins bon dans le groupe 6M (différence -3,35 (ET 1,76); IC à 95% de -6,24 à  -0,46). La différence clinique est cependant peu pertinente, puisque les valeurs absolues sont de 9% des personnes interrogées dans le groupe 6M contre 6% dans le groupe 3M. A noter également, en fin d’étude, une meilleure prise de conscience de la nécessité du traitement médicamenteux de leur HTA, pour les patients des deux groupes, prise de conscience faible au départ

 

Recommandations pour la pratique

Malgré les limites de cette étude de suivi, il existe maintenant des arguments pour envisager, en médecine générale, un contrôle semestriel de la pression artérielle chez les patients hypertendus déjà stabilisés. Le schéma semestriel donne, par rapport à un schéma trimestriel, un contrôle des chiffres tensionnels aussi bon, une compliance thérapeutique semblable, et un taux de satisfaction des patients presque égal. La question reste ouverte de savoir si ceci peut s'appliquer aux patients souffrant d’une hypertension compliquée. Autre question restant ouverte: dans quelle mesure l'auto-contrôle de la tension peut-il non seulement diminuer la fréquence des consultations de suivi chez le médecin, mais, en plus, améliorer le contrôle du risque cardiovasculaire global? Sur base de ces arguments, le médecin généraliste peut envisager un schéma de contrôle semestriel des patients souffrant d’une hypertension artérielle stabilisée.

La rédaction

 

Références

  1. Vandenberghe H, Bastiaens H, Jonckheer P et al. Kwaliteitsbevordering in de huisartsgeneeskunde op basis van registratie van praktijkgegevens: diabetes type 2 en hypertensie. Eindrapport Wetenschappelijk Instituut Volksgezondheid, afdeling Epidemiologie. Brussel: EPI Reports, september 2003.
  2. De Cort P, Philips H, Govaerts F, Van Royen P. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: Hypertensie. Huisarts Nu 2003;32:387-411.
  3. Guidelines Committee. 2003 European Society of Hypertension - European Society of Cardiology guidelines for the management of arterial hypertension. J Hypertens 2003;21:1011-53.
  4. Walma EP, Thomas S, Prins A et al. NHG-Standaard Hypertensie. Huisarts Wet 2003;46(8):435-49.
  5. Staessen J, Denhond E, Celis H et al. Antihypertensive treatment based on blood pressure measurement at home or in the physician’s office. JAMA 2004;291:955-64.
 
Fréquence des consultations de suivi d'une HTA: trois ou six mois?

Auteurs

De Cort P.
em. Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
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