Revue d'Evidence-Based Medicine



Régime sans sel: efficace à long terme?



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 5 Page 82 - 84

Professions de santé


Analyse de
Hooper L, Bartlett C, Smith GD, Ebrahim S. Systematic review of long term effects of advice to reduce dietary salt in adults. BMJ 2002;325:628-36.


Question clinique
L’observance d’un régime sans sel durant au moins six mois permet-elle de diminuer la mortalité et la morbidité de patients aussi bien normo- qu’hypertendus?


Conclusion
A court terme, une restriction sodée alimentaire réduit la pression artérielle, ce qui peut amener une réduction du traitement médicamenteux. Cette synthèse apporte trop peu de données sur l’efficacité à long terme pour pouvoir formuler des conclusions fondées pour la pratique. Il n’existe également pas de données suffisantes concernant l’efficacité d’une restriction sodée sur les incidents cardiovasculaires et la mortalité.


 

Résumé

Contexte

De précédentes synthèses méthodiques ont montré une relation entre restriction d’ingestion sodée et réduction de la pression artérielle. Elles incluaient cependant, principalement, des études à court terme et donnaient des résultats contradictoires quant à l’importance de la diminution de pression artérielle et à l’existence ou non d’un effet sur la morbidité et la mortalité cardiovasculaires.

Méthode

Synthèse méthodique

Sources consultées

Cette synthèse méthodique a sélectionné 18 689 publications dans Medline, Embase et la Cochrane Library.

Etudes sélectionnées

Seules, les RCT’s limitant l’intervention à une restriction sodée contrôlée ont été incluses. Finalement, 11 études, dont trois concernant des sujets normotendus (n = 2 326), cinq des patients hypertendus non traités (n = 387) et trois des patients hypertendus traités (n = 801) ont été retenues.

Population étudiée

Le groupe de patients normotendus était caractérisé par un âge moyen de 40 ans, tandis que pour les sujets hypertendus traités, celui-ci était de 55 à 75 ans.

Mesure des résultats

Sont étudiés: l’efficacité sur la mortalité et la morbidité cardiovasculaires, les modifications de la pression artérielle et de l’élimination urinaire sodée après 6 à 12 mois, 13 à 60 mois et plus de 60 mois, ainsi que l’effet sur la qualité de vie et l’utilisation de médicaments antihypertenseurs. Les auteurs ont réalisé une analyse de sensibilité et une analyse en méta-régression.

Résultats

La durée de suivi des études incluses varie de six mois à sept ans. Aucune différence de mortalité et de morbidité cardiovasculaires n’est observée entre les groupes intervention et placebo (9 décès dans le groupe contrôle pour 8 dans le groupe intervention). Quatre études d’un suivi moyen de 13 à 60 mois montrent, dans le groupe intervention, une diminution moyenne de la pression artérielle systolique de 1,1 mm Hg (IC à 95% de -1,8 à 0,4 mm Hg) et de 0,6 mm Hg pour la diastolique (IC à 95% de -1,5 à 0,3 mm Hg) et une diminution moyenne de la sécrétion urinaire sodée de 35,5 mmol/24 heures (IC à 95% de -47,2 à –23,9) (voir tableau). Aucune relation entre la réduction de l’apport sodique et la diminution de la pression artérielle n’est établie. La sortie d’étude est semblable dans les groupes intervention et contrôle.

 

Tableau: Diminution moyenne de la pression artérielle en mm Hg (IC à 95%) et sécrétion sodique en mmol/24 heures (IC à 95%) après 6-12, 13-60 et >60 mois lors de la sommation de n études.

 

Suivi 6-12 mois

Suivi 13-60 mois

Suivi > 60 mois

Pression artérielle

systolique

-2,5 (-3,8 à -1,2)

(n = 7)

-1,1 (-1,8 à -0,4)

(n = 4)

-3,8 (-7,9 à 0,3)

(n = 1)

Pression artérielle

diastolique

-1,2 (-1,8 à -0,7)

(n = 7)

-0,6 (-1,5 à 0,3)

(n = 4)

-2,2 (-4,8 à 0,4)

(n = 1)

Sécrétion urinaire

Na

-48,9 (-65 à -32,5)

(n = 6)

-35,5 (-47,2 à -23,9)

(n = 4)

10,5 -(13,8 à 34,8)

(n = 1)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une réduction sodée intense ne donne qu’une réduction modérée de la pression artérielle et de la sécrétion urinaire sodée, mais sans effet démontré sur la mortalité et la morbidité cardiovasculaires.

Financement

Le premier auteur est financé par une bourse ("North West Research and Development Training Fellow-ship"). Il n’y a pas d’autre source de financement mentionnée.

Conflits d’intérêt

Aucun.

 

Discussion

De nombreuses études, peu d'utiles

Il existe probablement peu de sujets qui aient été aussi explorés ces dernières décennies que l’efficacité de la restriction sodée sur la pression artérielle et l’état de santé. C’est, pour ce motif, un cas d’école montrant comment une abondance de données scientifiques ne résulte pas en une recommandation claire pour le clinicien, mais à l’inverse, fait également croître la controverse. Cette synthèse méthodique est un essai courageux supplémentaire pour distinguer l’arbre de la forêt, cependant elle n’y parvient également pas.

Les auteurs ne qualifient pas leur travail monacal de méta-analyse, à juste titre, étant donné que les analyses (de sensibilité) obligatoires qui doivent montrer l’homogénéité des études sont à ce point si faibles que de nombreuses données de mesure, issues des onze études incluses ne sont pas utilisables pour les calculs. En outre, toutes les études ne mentionnent pas tous les résultats avec la même précision. Les études incluant le plus grand nombre de sujets (et, pour ce motif, potentiellement les plus importantes) évaluent principalement un critère d’intervention portant sur le comportement lors de la restriction sodée, alors que les données concernant la mortalité et la morbidité cardiovasculaires n’y sont définies et mentionnées que de manière fort élémentaire. Pour ce motif, l’efficacité de la restriction sodée sur la pression artérielle ne peut être calculée que grâce à trois études chez des sujets normotendus (âge moyen des participants < 45 ans) et une petite étude avec des patients hypertendus non traités (n=31) dont les intervalles de confiance sont tellement larges qu’ils n’offrent aucun renseignement utile. Ce fait explique également la réduction de la pression artérielle, plutôt faible, cliniquement non pertinente et non significative pour la valeur diastolique. L’analyse en régressions multiples, appliquée à toutes les études incluses, de la réduction de la pression artérielle versus diminution du sodium urinaire, ne montre aucun lien entre les deux variables. D’autres variables, comme l’impact de la médication et/ou une diminution du poids corporel ont plus d’importance dans ce cas. Cette observation est quelque peu étonnante, des études à court terme ayant montré une forte corrélation entre une sécrétion urinaire sodée diminuée et une diminution de la pression artérielle. Une précé dente synthèse de 58 études (n=2 161, âge moyen de 49 ans, durée moyenne de l’étude de 28 jours) montrait qu’une diminution de 6,8 g de sel/jour permettait, après 28 jours, d’obtenir une diminution de la pression systolique de 3,9 mm Hg (IC à 95% de 3,0 à 4,8 mm Hg) et de la diastolique de 1,9 mm Hg (IC à 95% de 1,3 à 2,5 mm Hg) 1 .

Critères intermédiaires

Le résultat positif démontré d’une diminution de la sécrétion urinaire sodée dans les interventions décrites est obscurci par une importante hétérogénéité qui montre une différence inacceptable de qualité entre les différentes études. Etant donné le nombre limité de cas de critères de jugement primaire (17 décès) et secondaires atteints, aucune influence sur la mortalité, la morbidité cardiovasculaire ou une modification de la qualité de vie ne peut être démontrée. Cette étude ne montre donc qu’une diminution limitée de la pression systolique à plus long terme (> 6 mois) chez des sujets normotendus sous régime sans sel. Seules des études à court terme, principalement chez des sujets hypertendus âgés, montrent une diminution significative et cliniquement pertinente de la pression artérielle, grâce à une restriction sodée. Ainsi, par exemple, une restriction sodée de 2,35 g par jour entraîne une diminution moyenne de la pression artérielle de 2,6 mm Hg (IC à 95% de 0,4 à 4,8 mm Hg) et une diminution de la pression diastolique de 1,1mm Hg (IC à 95% de 0,3 à 2,5 mm Hg) durant un traitement de maximum 6 mois 2 .

Aucune réponse n’est possible à la pertinente question d’une influence favorable ou défavorable (!) sur la mortalité cardiovasculaire et totale. Une étude d’observation suggère une incidence accrue d’infarctus du myocarde en cas de restriction sodée chez des personnes d’âge moyen 3. Une observation déconcertante, surtout en fonction de l'adage «le régime sans sel toujours», depuis des années dans l’univers de l’hypertension. Le clinicien n’attendaitil pas d’apport de preuve plus solide? Effectivement, les données à long terme sont encore principalement issues d’études à court terme et d'études épidémiologiques ne permettant aucune conclusion étiologique. Les études à long terme explorant l’efficacité d’une restriction sodée sur la morbidité et la mortalité sont simplement insuffisantes.

 

Conclusion

A court terme, une restriction sodée alimentaire réduit la pression artérielle, ce qui peut amener une réduction du traitement médicamenteux. Cette synthèse apporte trop peu de données sur l’efficacité à long terme pour pouvoir formuler des conclusions fondées pour la pratique. Il n’existe également pas de données suffisantes concernant l’efficacité d’une restriction sodée sur les incidents cardiovasculaires et la mortalité.

 

Références

  1. Graudal NA, Galløe AM, Garred P. Effects of sodium restriction on blood pressure, renin, aldosterone, catecholamines, cholesterols and triglyceride. A meta-analysis. JAMA 1998;279:1383-91.
  2. Whelton PK, Appel LJ, Espelland MA, et al. Sodium reduction and weight loss in the treatment of hypertension in older persons: a randomized controlled trial of non pharmacologic intervention in the elderly (TONE). JAMA 1998;279:839-46.
  3. Alderman MH, Madhavan S, Cohen H, et al. Low urinary sodium associated with greater risk of  myocardial infarction among treated hypertensive men. Hypertension 1995;25:1144-52.
Régime sans sel: efficace à long terme?



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