Analyse


Distinguer une démence clinique de type Alzheimer d’un déclin cognitif léger ou d’une cognition normale grâce à des tests cognitifs brefs


17 12 2020

Professions de santé

Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Hemmy LS, Linskens EJ, Silverman PC, et al. Brief cognitive tests for distinguishing clinical Alzheimer-type dementia from mild cognitive impairment or normal cognition in older adults with suspected cognitive impairment. Ann Intern Med 2020;172:678-87. DOI: 10.7326/M19-3889


Conclusion
Cette synthèse méthodique, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, montre que les tests autonomes tels que le test de Folstein (MMSE), l’évaluation cognitive de Montréal (MoCA) et le Brief Alzheimer screen (BAS), ainsi que les tests de mémoire et les tests sémantiques sont suffisamment précis pour distinguer une démence d’Alzheimer modérée à sévère d’une cognition normale en cas de suspicion de déclin cognitif chez une personne âgée. Il est nécessaire de poursuivre les recherches sur la précision de ces tests pour distinguer les formes bénignes de démence d’Alzheimer d’une cognition normale et pour distinguer la démence clinique de type Alzheimer des troubles cognitifs modérés. On ne sait donc toujours pas quelle est la place de ces tests rapides dans les examens qui mènent au diagnostic de démence pour proposer un traitement. Lors de la conception de recherches futures, il est important de partir des critères les plus récents pour définir la démence d’Alzheimer, les troubles cognitifs modérés et la cognition normale, de prédéfinir les résultats des tests et les valeurs seuils de manière détaillée et de choisir comme critères de jugement, non seulement la précision de ces tests, mais aussi leurs avantages et leurs inconvénients pour le patient et pour le soignant.



Avec le vieillissement de la population et le souhait des personnes âgées de vivre et d’être soignées à domicile le plus longtemps possible, conforté par la socialisation des soins, les médecins généralistes seront de plus en plus confrontés au diagnostic de démence (1). Ce diagnostic est un processus qui demande du temps parce que l’accent n’est pas seulement mis sur les capacités cognitives mais aussi sur le comportement, le fonctionnement au quotidien et l’autonomie ou la dépendance aux soins (2). Ce processus se déroule en outre en plusieurs phases dont la première, la détection du déclin cognitif, est importante pour démarrer les soins rapidement (3). En effet, un diagnostic précis posé « rapidement » influence favorablement le patient et son entourage tant à court qu’à long terme (4). Cette phase pourrait être accélérée par des tests cognitifs brefs permettant de faire la distinction entre une démence clinique de type Alzheimer et des troubles cognitifs légers (mild cognitive impairment, MCI) ou une cognition normale lorsqu’une démence est suspectée. Dans Minerva, nous avons déjà discuté d’une méta-analyse de bonne qualité méthodologique qui examinait la performance de toute une série de tests de dépistage de la démence (5,6). Parmi les 11 tests les mieux étudiés, le plus utilisé était le test de Folstein (Mini Mental State Examination, MMSE). Les performances diagnostiques du test de Folstein étaient comparables à celles du Mini-Cog et de l’ACE-R, mais ces deux derniers étaient plus conviviaux.

 

Une récente synthèse méthodique (7) a examiné la précision des tests cognitifs brefs pour identifier la démence clinique de type Alzheimer chez les personnes suspectées de déclin cognitif tel que défini par des critères diagnostiques validés. De plus, on voulait vérifier si la précision variait en fonction des caractéristiques des patients. Une recherche approfondie dans la littérature a été effectuée dans toutes les grandes bases de données (MEDLINE, EMBASE, PsycINFO, jusque novembre 2019) et a été complétée par un examen manuel des listes de références des synthèses méthodiques pertinentes. Deux examinateurs indépendants ont sélectionné des études observationnelles portant sur la précision des outils de dépistage cognitif brefs validés chez des patients chez qui était suspecté un déclin cognitif pour distinguer une démence clinique de type Alzheimer de troubles cognitifs légers et d’une cognition normale. L’extraction des données et l’évaluation de la qualité ont été effectuées par deux chercheurs indépendants à l’aide de QUADAS-2 (Quality Assessment of Diagnostic Accuracy Studies, échelle de qualité méthodologique pour les études diagnostiques de validité). L’étude a été financée par une agence gouvernementale, et les résultats ont été examinés par un panel d’experts et de parties prenantes (y compris des non-professionnels et des patients).

Parmi les 5007 références trouvées, 57 études ont finalement été sélectionnées. Le risque de biais était faible pour sept études, et il était modéré pour les autres. L’âge moyen de la population de l’étude était de 73 ans, et 40% des patients étaient de sexe masculin. Il est apparu que la plupart des tests cognitifs brefs avaient une sensibilité et une spécificité élevées pour distinguer la démence clinique de type Alzheimer de la cognition normale. Les tests autonomes* tels que le test de Folstein, l’évaluation cognitive de Montréal (Montreal Cognitive Assessment, MoCA) et le Brief Alzheimer Screen (BAS), ainsi que les tests de mémoire et les tests sémantiques étaient les plus précis, avec une sensibilité et une spécificité d’environ 0,90 ou plus. En raison d’un manque de données, il n’a pas été possible de comparer la précision des tests. Ces tests (et en particulier le test de Folstein, le test de l’horloge et le MoCA) étaient moins efficaces pour distinguer la démence clinique de type Alzheimer des troubles cognitifs légers. La précision des tests ne semble pas dépendre des caractéristiques des patients (comme l’âge, le sexe, le niveau de formation), bien que cela n’ait été examiné que dans un nombre limité de petites études. Il a toutefois été noté que, dans de nombreux tests, la sensibilité pour distinguer la démence clinique de type Alzheimer d’une cognition normale augmentait avec la gravité de la démence. Dans leur discussion, les auteurs en ont déduit que ces tests pourraient faciliter le diagnostic chez les patients chez qui le déclin cognitif et fonctionnel est plus prononcé. Pour les patients ayant moins de troubles cognitifs, ces tests pourraient servir de guide pour un diagnostic plus approfondi. Cependant, il est très important de souligner que les résultats de cette synthèse méthodique se limitent à la précision des tests cognitifs brefs pour détecter la démence clinique de type Alzheimer chez les personnes chez qui un déclin cognitif est suspecté. Ni les avantages cliniques ni la rentabilité de l’utilisation de ces tests n’ont été examinés. Pourtant, les résultats faux positifs et faux négatifs causent d’importants dommages aux patients et aux soignants. Un résultat faux positif entraîne principalement la stigmatisation et des interventions inutiles (limitations de l’indépendance, examens inutiles, médicaments inutiles), tandis qu’un résultat faux négatif peut être responsable de frustration devant des symptômes cognitifs et non cognitifs « inexpliqués » et conduire à l’absence de prise de mesures ultérieures (planification anticipée des soins, mesures de sécurité, soutien) (8). Lors de l’interprétation des résultats, il faut également tenir compte des limites des études incluses. Il s’agissait généralement de petites études, elles utilisaient différents critères pour définir la démence d’Alzheimer, les troubles cognitifs légers et la cognition normale et utilisaient différents scores de tests, outre que, souvent, les valeurs seuils n’étaient pas prédéfinies mais ajustées en fonction des résultats cliniques de la population étudiée, ce qui a pu amener à surestimer la sensibilité et la spécificité. Une surestimation de la précision des tests est également possible en raison de la forte prévalence de la démence clinique de type Alzheimer dans les populations étudiées (9).

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le dépistage systématique de la démence en première ligne n’est pas recommandé (GRADE 1A) (10). Tout prestataire de soins en première ligne informe le médecin lorsqu’il suspecte un déclin cognitif chez un patient (troubles de la mémoire, apathie, perte de poids, difficultés à marcher, symptômes inexpliqués) (GRADE 1C). Cette démarche doit impliquer le patient et son entourage (GRADE 2C). Le médecin généraliste tente d’objectiver la suspicion de déclin cognitif en effectuant un test cognitif bref, comme le test de Folstein (MMSE), l’évaluation cognitive de Montréal (MoCA), le questionnaire d’évaluation cognitive des personnes âgées (Elderly Cognitive Assessment Questionnaire, ECAQ) et l’échelle de détérioration globale (Global Deterioration Scale-4, GDS-4). Ces tests peuvent être réalisés par le médecin généraliste, une infirmière ou un ergothérapeute (GRADE 1B). En cas de test de Folstein anormal sans effet sur le fonctionnement quotidien, il est recommandé de refaire le test régulièrement pour suivre l’évolution cognitive (GRADE 1A). L’orientation vers un spécialiste pour un diagnostic plus précis doit avoir lieu en concertation avec le patient (GRADE 2C).

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, montre que les tests autonomes* tels que le test de Folstein (MMSE), l’évaluation cognitive de Montréal (MoCA) et le Brief Alzheimer screen (BAS), ainsi que les tests de mémoire et les tests sémantiques sont suffisamment précis pour distinguer une démence d’Alzheimer modérée à sévère d’une cognition normale en cas de suspicion de déclin cognitif chez une personne âgée. Il est nécessaire de poursuivre les recherches sur la précision de ces tests pour distinguer les formes bénignes de démence d’Alzheimer d’une cognition normale et pour distinguer la démence clinique de type Alzheimer des troubles cognitifs modérés. On ne sait donc toujours pas quelle est la place de ces tests rapides dans les examens qui mènent au diagnostic de démence pour proposer un traitement. Lors de la conception de recherches futures, il est important de partir des critères les plus récents pour définir la démence d’Alzheimer, les troubles cognitifs modérés et la cognition normale, de prédéfinir les résultats des tests et les valeurs seuils de manière détaillée et de choisir comme critères de jugement, non seulement la précision de ces tests, mais aussi leurs avantages et leurs inconvénients pour le patient et pour le soignant.

 

 

* Tests effectués isolément et ne faisant pas partie d’une batterie de tests plus large.

 

 

Références 

  1. Bacigalupo I, Mayer F, Lacorte E, et al. A systematic review and meta-analysis on the prevalence of dementia in Europe: estimates from the highest-quality studies adopting the DSM IV diagnostic criteria. J Alzheimers Dis 2018;66:1471-81. DOI: 10.3233/JAD-180416
  2. Buntinx F, De Lepeleire J, Paquay L, Iliffe S, Schoenmakers B. Diagnosing dementia: no easy job. BMC Fam Pract 2011;12:60. DOI: 10.1186/1471-2296-12-60
  3. Schoenmakers B, Buntinx F, De Lepeleire J. The primary care physician and Alzheimer's disease: an international position paper. J Nutr Health Aging 2011;15:595-6. DOI: 10.1007/s12603-011-0135-0
  4. De Lepeleire J, Heyrman J. Diagnosis and management of dementia in primary care at an early stage: the need for a new concept and an adapted procedure. Theor Med Bioeth 1999;20:215-28. DOI: 10.1023/a:1005488328563
  5. Chevalier P. Dépistage de la démence : MMSE versus autres tests cognitifs. Minerva bref 18/11/2015.
  6. Tsoi KK, Chan JY, Hirai HW, et al. Cognitive tests to detect dementia: a systematic review and meta-analysis. JAMA Intern Med 2015;175:1450-8. DOI: 10.1001/jamainternmed.2015.2152
  7. Hemmy LS, Linskens EJ, Silverman PC, et al. Brief cognitive tests for distinguishing clinical Alzheimer-type dementia from mild cognitive impairment or normal cognition in older adults with suspected cognitive impairment. Ann Intern Med 2020;172:678-87. DOI: 10.7326/M19-3889
  8. Michiels B. Le raisonnement ‘test-diagnostic-traitement’. [Editorial] MinervaF 2015;14(6):65.
  9. Chevalier P. Précision d’un test diagnostique et prévalence Minerva 2011;10(4):51.
  10. Coninck L, De Vliegher K, D’hanis G, Schroyen V. Guide de pratique clinique pluridisciplinaire relatif à la collaboration dans la dispense de soins aux personnes âgées démentes résidant à domicile et leurs aidants proches. Ebpracticenet. Groupe de travail pour le développement de recommandations de première ligne, 16/08/2017.

 

 


Auteurs

Schoenmakers B.
huisarts, Academisch Centrum voor Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI :

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