Analyse


Augmentation limitée des symptômes du syndrome de l’intestin irritable avec une alimentation riche en FODMAP


21 10 2022

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Nordin E, Brunius C, Landberg R, Hellström PM. Fermentable oligo-, di-, monosaccharides, and polyols (FODMAPs), but not gluten, elicit modest symptoms of irritable bowel syndrome : a double-blind, placebo-controlled, randomized three-way crossover trial. Am J Clin Nutr 2022;115:344-52. DOI: 10.1093/ajcn/nqab337


Question clinique
Quel est l’effet d’un régime riche en gluten ou riche en oligosaccharides, disaccharides, monosaccharides et polyols fermentescibles (régime riche en FODMAP), par comparaison avec un régime placebo ne contenant pas d’aliments fermentescibles, sur les symptômes du syndrome de l’intestin irritable (SII) ?


Conclusion
Cette étude interventionnelle nutritionnelle, menée en double aveugle, randomisée, contrôlée par placebo, à triple croisement montre que, contrairement au gluten, l’administration de FODMAP augmente légèrement les symptômes intestinaux typiques du SII. Cette étude de provocation est de bonne qualité méthodologique et accorde beaucoup d’attention à la réalisation des interventions en aveugle, ce qui est rarement le cas dans les études interventionnelles nutritionnelles avec les FODMAP. Cependant, l’étude n’avait pas suffisamment de puissance pour démontrer des effets cliniquement pertinents. Il est nécessaire de mener des recherches à plus grande échelle prenant également en compte les différents types de SII.



 

Contexte

Pour soulager les symptômes du syndrome de l’intestin irritable (SII), il est possible d’opter pour des interventions nutritionnelles, comme un régime pauvre en gluten et en aliments fermentescibles que sont les oligosaccharides, les disaccharides, les monosaccharides et les alcools du sucre (fermentable oligo-, di-, mono- saccharides and polyols, FODMAP). Les FODMAP sont des glucides à chaîne courte qui, peu absorbés dans l’intestin, gardent une activité osmotique et fermentent sous l’action de la flore intestinale. L’augmentation de la quantité de liquide et de gaz dans le tractus digestif provoque une distension intestinale et un hyperpéristaltisme, qui expliqueraient les douleurs abdominales et la sensation de ballonnement chez certains patients atteints du SII (1). En 2017, Minerva a discuté d’une étude interventionnelle qui montrait qu’un régime pauvre en FODMAP pouvait soulager les symptômes intestinaux du SII (2,3). Récemment, une revue systématique avec méta-analyse de 12 études a également montré qu’un régime pauvre en FODMAP pouvait atténuer les symptômes du SII et améliorer la qualité de vie (4). Cependant, la plupart des études interventionnelles nutritionnelles impliquant des FODMAP n’ont pas été réalisées en aveugle ou en simple aveugle et portaient sur l’éviction des FODMAP. Une étude en double aveugle avec un test de provocation à des FODMAP n’avait pas encore été réalisée (5).

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • le recrutement des participants s’est fait localement (entre autres via une polyclinique pour les maladies gastro-intestinales) et par le biais d’un site Web et d’une annonce dans les journaux
  • critères d’inclusion : syndrome de l’intestin irritable léger à sévère avec score de sévérité (Irritable Bowel Syndrome Severity Scoring System, IBS-SSS) > 175 ; âge entre 18 et 70 ans ; BMI entre 18,5 et 38 kg/m² ; hémoglobine entre 120 et 160 g/l ; TSH < 4 mU/l ; CRP < 5 mg/l ; immunoglobuline A anti-transglutaminase < 7 U/ml ; pression systolique/diastolique ≤ 160/≤ 105 mmHg ; le diagnostic de SII a été posé sur la base des critères de Rome (Rome IV) par un gastro-entérologue qui a ensuite réparti les participants en sous-types : PDS-C (constipation), PDS-D (diarrhée), PDS-M (constipation et diarrhée) et PDS-U (indéterminé)
  • critères d’exclusion : maladie cœliaque, dyspepsie fonctionnelle, infection par H. pylori au cours des six mois précédents, autres affections gastro-intestinales inflammatoires ou fonctionnelles, traitement contre le cancer, chirurgie bariatrique ou abdominale autre que l’appendicectomie, traitement visant à perdre du poids, modification du poids > 10 kg au cours de l’année écoulée, modification du schéma médicamenteux au cours des 14 jours précédant l’inclusion, prise de médicaments probiotiques ou d’antibiotiques, refus de consommer de la bouillie de riz tous les jours pendant 3 semaines distinctes, grossesse ou allaitement, don de sang, abus de substances ou d’alcool, tabagisme, mauvaise compréhension du suédois, participation à une autre étude, traitement symptomatique pour le SII, notamment AINS et laxatifs
  • finalement ont été inclus 110 patients (87% étant de sexe féminin) âgés en moyenne de 46 ans (ET 15 ans) et dont le BMI était en moyenne de 24 kg/m² (ET 4 kg/m²).

 

Protocole d’étude

Étude unicentrique, randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, à triple croisement

  • tous les participants ont été invités à suivre un régime sans gluten pauvre en FODMAP pendant la période d’étude de 7 semaines
  • après une phase de pré-inclusion de 2 semaines, les participants ont reçu comme instruction de manger, tous les jours des semaines 3, 5 et 7, trois portions de bouillie de riz, soit enrichie en FODMAP ou en gluten, soit sans FODMAP ni gluten (groupe placebo) ; chaque croisement a été précédé d’une période de sevrage durant la semaine 4 et la semaine 6 ; il y avait finalement 3 séquences : placebo – gluten – FODMAP (n = 35), FODMAP – placebo – gluten (n = 33), gluten – FODMAP – placebo (n = 35)
  • au cours du suivi, les participants devaient remplir des questionnaires (IBS-SSS, Short Form 36 version 2 pour la qualité de vie), tenir un journal en indiquant la fréquence et la consistance des selles, enregistrer leur consommation de bouillie de riz et les écarts par rapport au protocole de l’étude (dus à des modifications du régime alimentaire, une maladie ou des changements dans les médicaments).

 

Mesure des résultats

  • principal critère de jugement : changement dans les symptômes du SII au score IBS-SSS
  • critère de jugement secondaires : qualité de vie mesurée à l’aide du SF-36v2, caractéristiques des selles (fréquence, consistance, douleur en allant à selles, nombre de selles spontanées (complètes)).

 

Résultats

  • 7 participants ont quitté l’étude ; 103 participants ont été inclus dans l’analyse en intention de traiter, et 74 dans l’analyse par protocole (7 : observance insuffisante ; 2 : prise d’antibiotiques ; 1 : prise de probiotiques).
  • le score IBS-SSS moyen était plus élevé, et ce de manière statistiquement significative, avec les FODMAP qu’avec le placebo ou le gluten (différence respectivement de 42 points (avec IC à 95% de 20 à 64 ; p = 0,00056) et de 32 points (avec IC à 95% de 10 à 54 ; p = 0,013)) ; il n’y avait pas de différence entre le placebo et le gluten (p = 1,0).
  • il n’y avait pas de différence entre les groupes quant au SF-36v2 et aux caractéristiques des selles.

 

Conclusion des auteurs

Chez les sujets atteints de SII, l’administration de FODMAP, par opposition au gluten, a eu un effet modéré sur la symptomatologie typique du SII. Les grandes différences interindividuelles de réponse nécessitent un examen plus approfondi pour démêler les causes sous-jacentes possibles et prédire la réponse individuelle.

 

Financement de l’étude

FORMAS (agence gouvernementale suédoise pour le développement durable) et le Swedish Research Council (Conseil suédois de la recherche). Des entreprises nutritionnelles ont fourni des produits alimentaires pour l’étude.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun conflit d’intérêt n’a été mentionné.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Cette étude interventionnelle nutritionnelle a été bien conçue, avec une description claire de la question de recherche, une description correcte des critères d’inclusion et des critères d’exclusion, une description correcte des interventions, une analyse des résultats tant en intention de traiter que par protocole, une présentation correcte des résultats en fonction du principal critère de jugement et des critères de jugement secondaires. La randomisation a été effectuée en aveugle. La plupart des caractéristiques de base étaient similaires entre les différentes séquences. Un score IBS-SSS > 300 était toutefois plus fréquent dans le groupe qui a d’abord reçu un régime témoin, suivi du gluten et des FODMAP, par comparaison avec les autres séquences (60% contre 40%). Les chercheurs ont, à juste titre, porté une grande attention à la mise en aveugle des participants. Des tests pilotes ont montré que la bouillie de riz offerte dans tous les groupes était comparable en apparence, en goût et en consistance. Il s’agit d’un avantage important dans cette étude, car, pour le SII, il n’est pas possible de s’appuyer sur des paramètres objectifs tels que des biomarqueurs pour évaluer l’effet d’un traitement. L’enregistrement par le patient des symptômes subjectifs, tels que ballonnements, douleurs abdominales et problèmes intestinaux, peut conduire à une image déformée de la réalité si les participants ne peuvent pas être mis en aveugle. Un effet résiduel a été évité en intercalant une période de sevrage d’une durée d’une semaine (6). Cette période était probablement suffisamment longue car le score IBS-SSS était comparable dans les périodes de sevrage et celles de placebo.

Les chercheurs ont effectué un calcul d’échantillon post hoc basé sur les écarts-types individuels pour les différentes interventions de l’étude. Cependant, un tel calcul d’échantillon a peu de signification clinique (7). Il fallait 64 participants pour détecter une différence de 50 points au score IBS-SSS avec une puissance de 80% et en tenant compte d’un taux d’abandon de 20%. La correction de Bonferroni a été appliquée pour tenir compte de tests statistiques multiples. La différence du nombre de participants entre l’analyse en intention de traiter et l’analyse par protocole était assez importante, à savoir 28%. Comme il s’agit d’une étude croisée, ce taux d’abandons a un impact négatif supplémentaire sur la précision des résultats (6). D’autres limitations étaient la durée relativement courte des différentes interventions, l’absence de description d’autres habitudes alimentaires, des activités sportives et du statut socio-économique.

 

Évaluation des résultats de l’étude

Cette étude a permis d’observer une différence statistiquement significative limitée dans le score IBS-SSS, mais n’a montré aucune différence cliniquement pertinente de 50 points. Étant donné que la taille de l’échantillon a été calculée sur la base d’une échelle linéaire, cette étude n’avait probablement pas suffisamment de puissance pour répondre à cette question. Par conséquent, nous pouvons plutôt considérer cette étude comme une source d’hypothèses sans pouvoir y lier de conséquences cliniques. Une analyse des différentes composantes du score IBS-SSS a montré que la différence limitée de ce score était due principalement à une différence en termes de douleur abdominale et de distension abdominale. En raison des grandes différences interindividuelles dans la réponse au score IBS-SSS, il peut être utile, lors de futures recherches, de caractériser certains profils de patients qui réagissent plus fortement à la présence de FODMAP dans l’alimentation. À cet égard, les résultats de cette étude n’ont pas pris en compte certains sous-types de SII.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le guide de pratique clinique de Duodecim sur le syndrome de l’intestin irritable (SII) recommande aux patients ayant des douleurs abdominales ou une sensation de ballonnement de suivre pendant 4 à 6 semaines un régime d’essai d’éviction des FODMAP (comme les céréales, les pommes, les poires, les légumineuses, les édulcorants...) (8). Dans le cas de SII avec prédominance de constipation, des fibres solubles ou du psyllium sont recommandés (9,10). Tout comme NICE (11), les recommandations de l’association néerlandaise des médecins de famille (NHG) (12) dans le cadre du SII mettent l’accent sur une alimentation saine, si ce n’est que les personnes atteintes de SII ne doivent pas suivre le conseil de consommer au moins 30 à 40 grammes de fibres par jour. En outre, les patients peuvent individuellement adapter leur schéma alimentaire s’ils font clairement un lien entre un aliment et les symptômes du SII. Le régime FODMAP est assez compliqué à appliquer : on commence par un régime d’éviction, puis on réintroduit progressivement des glucides en fonction des symptômes. Dans la pratique, il est plus simple de commencer avec des recommandations simples : prendre de petits repas, s’abstenir d’alcool et de caféine, et, à l’aide d’un journal, rechercher les aliments qui déclenchent les symptômes.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude interventionnelle nutritionnelle, menée en double aveugle, randomisée, contrôlée par placebo, à triple croisement montre que, contrairement au gluten, l’administration de FODMAP augmente légèrement les symptômes intestinaux typiques du SII. Cette étude de provocation est de bonne qualité méthodologique et accorde beaucoup d’attention à la réalisation des interventions en aveugle, ce qui est rarement le cas dans les études interventionnelles nutritionnelles avec les FODMAP. Cependant, l’étude n’avait pas suffisamment de puissance pour démontrer des effets cliniquement pertinents. Il est nécessaire de mener des recherches à plus grande échelle prenant également en compte les différents types de SII.

 

 

Références 

  1. Gibson PR, Shepherd SJ. Evidence-based dietary management of functional gastrointestinal symptoms: the FODMAP approach. J Gastroenterol Hepatol 2010;25:252-8. DOI: 10.1111/j.1440-1746.2009.06149.x
  2. Mullie P. Quelle est l’utilité d’un régime pauvre en FODMAP dans le syndrome du côlon irritable ? MinervaF 2017;16(4):92-5.
  3. Eswaran SL, Chey WD, Han-Markey T, et al. A randomized controlled trial comparing the low FODMAP diet versus modified NICE guidelines in US adults with IBS-D. Am J Gastroenterol 2016;111:1824-32. DOI: 10.1038/ajg.2016.434
  4. van Lanen AS, de Bree A, Greyling A. Efficacy of a low-FODMAP diet in adult irritable bowel syndrome: a systematic review and meta-analysis. Eur J Nutr 2021;60:3505-22. DOI: 10.1007/s00394-020-02473-0
  5. Nordin E, Brunius C, Landberg R, Hellström PM. Fermentable oligo-, di-, monosaccharides, and polyols (FODMAPs), but not gluten, elicit modest symptoms of irritable bowel syndrome : a double-blind, placebo-controlled, randomized three-way crossover trial. Am J Clin Nutr 2022;115:344-52. DOI: 10.1093/ajcn/nqab337
  6. Lemiengre M. Quelle place pour les études avec permutation ? MinervaF 2013;12(6):77.
  7. Chevalier P. Taille de l’échantillon d’une étude. Calcul et informations mentionnées dans les publications. MinervaF 2010;9(4):52.
  8. Troubles fonctionnels intestinaux et le syndrome du côlon irritable (SCI). Duodecim Medical Publications. Mis à jour par le producteur: 30/03/2017. Screené par Ebpracticenet: 2017.
  9. De Jonghe M. Psyllium ou son de blé pour le côlon irritable ? MinervaF 2010;9(7):84-5.
  10. Bijkerk CJ, de Wit NJ, Muris JW, et al. Soluble or insoluble fibre in irritable bowel syndrome in primary care? Randomised placebo controlled trial. BMJ 2009;339:b3154. DOI: 10.1136/bmj.b3154
  11. National Institute for Health and Care Excellence. Managing irritable bowel syndrome. NICE Pathways 2017.
  12. Van der Horst HE, De Wit NJ, Quartero AO, et al. NHG-Standaard Prikkelbaredarmsyndroom (PDS) (Eerste herziening). Huisarts Wet 2012;55:204-9.

 

 



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