Analyse


Le test rapide de CRP en maison de repos et de soins peut-il influencer favorablement la prescription d’antibiotiques dans les infections des voies respiratoires inférieures ?


21 10 2022

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Boere TM, van Buul LW, Hopstaken RM, et al. Effect of C reactive protein point-of-care testing on antibiotic prescribing for lower respiratory tract infections in nursing home residents: cluster randomised controlled trial. BMJ 2021;374:2198. DOI: 10.1136/bmj.n2198


Question clinique
Comparé à la prise en charge classique, un test rapide de CRP lors du premier contact avec le médecin peut-il réduire en toute sécurité le nombre de prescriptions d’antibiotiques chez les résidents des MRS dont le tableau clinique laisse suspecter une infection des voies respiratoires inférieures ?


Conclusion
Cette étude avec randomisation par grappe, contrôlée, pragmatique, en ouvert, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, dans des MRS aux Pays-Bas, montre que la disponibilité d’un test rapide de CRP en cas de suspicion clinique d’infection aiguë des voies respiratoires inférieures chez les résidents permet de réduire fortement le nombre de prescriptions d’antibiotiques par rapport à la prise en charge classique. Aucun inconvénient en termes de guérison, d’hospitalisation ou de mortalité n’a pu être montré.



 

Contexte 

Les patients présentant une infection aiguë des voies respiratoires inférieures en première ligne n’ont pas tous intérêt à recevoir une prescription d’antibiotiques. Selon la BAPCOC, les antibiotiques sont indiqués en cas de suspicion d’une pneumonie bactérienne sur la base de signes cliniques, d’un examen de laboratoire (CRP > 20) ou de signes radiologiques (recommandation de grade 1C) (1). La non-prescription ou la prescription différée d’antibiotiques pour les infections respiratoires aiguës a déjà été évoquée à plusieurs reprises dans Minerva (2-7). Outre un moindre recours aux antibiotiques, l’attitude conservatrice dans la prescription d’antibiotiques en cas d’infection respiratoire basse aiguë (sans suspicion de complication ni de symptôme d’alarme) ne semble pas avoir d’influence sur la durée et la sévérité des symptômes. Au moment de décider de prescrire ou non des antibiotiques, on peut notamment réaliser un test rapide de protéine C-réactive (CRP) sur le lieu de soin (Point-of-Care Test, POCT) (8,9). La CRP, une protéine de phase aiguë non spécifique, est connue pour avoir une importance supplémentaire en tant que biomarqueur pour exclure la pneumonie (8,9) et limiter les prescriptions d’antibiotiques (10,11). Les résidents des maisons de repos et de soins (MRS) forment une population particulière : ils sont plus susceptibles de se voir prescrire des antibiotiques en raison de leur vulnérabilité (fragilité), de leur forme particulière de cohabitation et du pronostic plus sombre en cas d’infection (12).

 

Résumé

 

Population étudiée

  • recrutement de 11 maisons de repos et de soins (MRS) comptant chacune environ 400 résidents aux Pays-Bas (13)
  • critères d’inclusion : suspicion d’infection des voies respiratoires inférieures, de l’avis du médecin
  • critères d’exclusion : infection actuelle ou récente (au cours des sept derniers jours) ou utilisation d’antibiotiques ; déclaration anticipée dans le dossier indiquant la volonté de ne pas recevoir d’antibiotiques
  • finalement, inclusion de 241 résidents âgés en moyenne de 84,4 ans (écart-type (ET) de 8,2 ans), 64% étant de sexe féminin, ayant le plus souvent comme comorbidité une démence, une insuffisance cardiaque ou une BPCO ; 77% étaient légèrement malades, 73% devaient tousser, 60% souffraient de dyspnée, et 63% présentaient une anomalie à l’auscultation des poumons lors du premier contact avec le médecin.

 

Protocole d’étude

Étude avec randomisation par grappe, pragmatique, menée en ouvert, contrôlée, avec deux groupes :

  • groupe intervention (n = 6 MRS ; 162 résidents) : un test rapide de CRP a été mis à la disposition des médecins qui ont préalablement suivi une formation pour l’appliquer et l’interpréter correctement conformément aux guides de pratique clinique des Pays-Bas
  • groupe témoin (n = 5 MRS ; 79 résidents) : prise en charge classique.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement principal : prescription ou absence de prescription d’antibiotiques lors du premier contact avec le médecin  
  • critères de jugement secondaires : utilisation ou non d’examens complémentaires (y compris les tests CRP) et modification ou non de la stratégie en matière d’antibiotiques aux semaines 1 et 3 ; complications ; indicateurs de sécurité : guérison complète, absence de guérison, guérison incomplète ou décès à 3 semaines ; hospitalisation et décès à l’entrée dans l’étude, à 1 semaine et à 3 semaines
  • analyse de tendance du nombre mensuel moyen de prescriptions pharmaceutiques d’antibiotiques délivrées pour 1 000 journées-résidents sans distinction selon le type d’infection, extrait de la base de données des pharmacies approvisionnant la MRS concernée (pour la période allant de 7 mois avant à 1 an après l’étude)
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • un test rapide de CRP a été utilisé chez 87,4% des résidents dans le groupe intervention, et le taux de CRP médian était de 32,5 mg/l
  • lors du premier contact, des antibiotiques ont été prescrits à 53,5% des patients du groupe intervention et à 82,3% des patients du groupe témoin (odds ratio (OR) de 4,93 (avec IC à 95% de 1,91 à 12,73) de ne pas se voir prescrire d’antibiotiques dans le groupe intervention par rapport au groupe témoin)
  • une modification de la stratégie de prescription des antibiotiques pendant le suivi était plus rare dans le groupe intervention que dans le groupe témoin (OR de 0,53 avec IC à 95% de 0,26 à 1,08) ; dans le groupe intervention, par comparaison avec le groupe témoin, il y a eu plus d’antibiotiques instaurés à la semaine 1 (6,7% contre 2,6%), et il y a eu moins de modifications de la stratégie de prescription des antibiotiques à la semaine 1 (4,6% contre 10,3%) et à la semaine 3 (1,4% contre 7,8%) ; dans les deux groupes, les antibiotiques ont rarement été stoppés ou prolongés ; dans le groupe intervention, le nombre de prescriptions lors du premier contact était fortement augmenté en cas de CRP ≥ 40 mg/l (> 65% contre ≤ 35% en cas de CRP < 40 ml/l)
  • il n’y avait pas de différence statistiquement significative en termes de rétablissement complet, d’hospitalisation et de décès entre les deux groupes
  • au cours de l’étude, l’utilisation d’antibiotiques a légèrement diminué dans le groupe intervention et a légèrement augmenté dans le groupe témoin.

Conclusion des auteurs

Un test rapide de CRP chez les résidents des MRS en cas de suspicion d’infection des voies respiratoires inférieures permet de réduire en toute sécurité le nombre de prescriptions d’antibiotiques, en comparaison avec la prise en charge classique. Les résultats suggèrent que la mise en œuvre du test rapide CRP dans les MRS peut contribuer à la réduction de l’utilisation des antibiotiques et à la lutte contre la résistance aux antibiotiques.

 

Financement de l’étude

Aucun, mais les tests rapides de CRP étaient gratuits.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun conflit d’intérêt n’a été mentionné.

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Il s’agit d’une étude avec randomisation par grappe, contrôlée, pragmatique, en ouvert, qui a été correctement menée. Le critère d’inclusion était très large, permettant aux médecins d’inclure des patients en fonction de leur propre expérience clinique (14). On ne peut toutefois pas exclure un biais de sélection après la randomisation par grappe au niveau des MRS (15). Le groupe témoin a inclus proportionnellement plus de patients qui étaient très gravement malades et avaient de la fièvre (≥ 38°C) lors du premier contact médical. Les médecins, selon leur propre interprétation clinique, étaient peut-être moins enclins à inclure dans le groupe témoin les résidents atteints d’infections bénignes (ne nécessitant pas d’antibiotiques). Lors de l’analyse des résultats, ce déséquilibre des caractéristiques de base a été corrigé. Les auteurs attribuent la différence de nombre de patients (∆ = 83) entre le bras témoin et le bras intervention à l’attractivité d’un test de CRP rapide mis gratuitement à disposition.

Une taille d’échantillon de 671 patients a été calculée en tenant compte d’une corrélation intra-grappe de 0,06 (15). Malgré le fait que ce nombre n’a finalement pas été atteint et que l’étude avait donc trop peu de puissance, une différence substantielle a pu être constatée dans le critère de jugement principal. Comme il convient pour une étude pragmatique, l’analyse a été effectuée en intention de traiter (14). Une correction a également été apportée pour tenir compte du regroupement au niveau des médecins (15). On a en effet constaté une corrélation intra-grappe de 0,175, peut-être en raison d’une différence du comportement de prescription des médecins dans les différentes MRS.

 

Évaluation des résultats de l’étude

L’introduction d’un test rapide de CRP dans les MRS a permis d’observer une diminution cliniquement pertinente des prescriptions d’antibiotiques en cas de suspicion d’infection des voies respiratoires inférieures (nombre de sujets à qui faire passer le test (Number Needed to Test) égal à 3,5 pour éviter 1 prescription d’antibiotiques) sans augmentation de l’hospitalisation ni de la mortalité. Ce nombre de sujets à qui faire passer le test est inférieur à celui qui a été calculé dans les milieux ambulatoires au Royaume-Uni : le NNT y est de 6,6 à 4,5 pour le test rapide de CRP dans les infections des voies respiratoires inférieures (16).

Comme les patients sont moins exposés aux antibiotiques, le test rapide de CRP (abstraction faite de certaines limites de la CRP : aspécifique dans la sélection entre bactérie et virus ; importance du moment du dosage par rapport à l’évolution de la maladie, etc. (8,9)) est un test socialement attractif, car une valeur faible peut étayer la décision de ne pas prescrire tout de suite des antibiotiques ; la pression antibiotique est ainsi réduite.

Les chercheurs voulaient également étudier l’influence possible de l’étude sur le comportement général de prescription d’antibiotiques dans la MRS. La tendance discrète à la baisse du nombre mensuel de prescriptions d’antibiotiques dans le groupe intervention, toutes indications confondues, doit être interprétée avec prudence, car il s’agit d’une extrapolation à partir des données pharmaceutiques (plus brutes) de tous les résidents (y compris hors étude) concernant toutes les infections (y compris les infections autres que respiratoires). D’après les auteurs, un effet Hawthorne peut être exclu parce qu’une augmentation du nombre de prescriptions a été observée dans le bras témoin au cours de l’étude par rapport à l’inclusion. Cependant, on peut se demander si l’augmentation n’aurait pas été plus importante en dehors du cadre d’une étude.

Enfin, l’étude discutée ici faisait partie d’une recherche de doctorat plus large à l’Université libre d’Amsterdam (Vrije Universiteit Amsterdam) dans laquelle a également été calculé le rapport coût-bénéfice de la CRP (par rapport à l’absence d’intervention). Pour chaque prescription d'antibiotique évitée, ils ont calculé un investissement de 137 euros en moyenne en coûts supplémentaires liés à la POCT dans ce contexte néerlandais (17).     

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le BAPCOC (1) souligne que les antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires inférieures peuvent être envisagés chez les patients à risque (tableau clinique inquiétant, patients en oncologie, patients immunodéprimés, personnes âgées avec multimorbidité) (GRADE 2C). Les antibiotiques sont indiqués en cas de suspicion de pneumonie bactérienne sur la base de signes cliniques, d’un examen de laboratoire ( CRP > 20) ou de signes radiologiques (GRADE 1C).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude avec randomisation par grappe, contrôlée, pragmatique, en ouvert, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, dans des MRS aux Pays-Bas, montre que la disponibilité d’un test rapide de CRP en cas de suspicion clinique d’infection aiguë des voies respiratoires inférieures chez les résidents permet de réduire fortement le nombre de prescriptions d’antibiotiques par rapport à la prise en charge classique. Aucun inconvénient en termes de guérison, d’hospitalisation ou de mortalité n’a pu être montré.  

 

 

Références 

  1. Guide belge de traitement anti-infectieux en pratique ambulatoire. BAPCOC 2021. Via www.CBIP.be [site consulté le 16/09/2022].
  2. Coenen S, van Driel M. Antibiotiques en cas d’infection respiratoire inférieure: prescription immédiate, différée ou absente? MinervaF 2006;5(5):77-8.
  3. Little P, Rumsby K, Kelly J, et al. Information leaflet and antibiotic prescribing strategies for acute lower respiratory tract infection: a randomized controlled trial. JAMA 2005;293:3029-35. DOI: 10.1001/jama.293.24.3029
  4. Matthys J, De Meyere M. Prescription différée d’antibiotiques en cas d’infection aiguë des voies respiratoires ? MinervaF 2015;14(4):46-7.
  5. Little P, Moore M, Kelly J, et al. Delayed antibiotic prescribing strategies for respiratory tract infections in primary care: pragmatic, factorial, randomised controlled trial. BMJ 2014;348:g1606. DOI: 10.1136/bmj.g1606
  6. Claus B. Que penser de la prescription différée d’antibiotiques en cas d’infection aiguë des voies respiratoires ? Minerva analyse 17/12/2018.
  7. Spurling GK, Del Mar CB, Dooley L, et al. Delayed antibiotic prescriptions for respiratory infections. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 9. DOI: 10.1002/14651858.CD004417.pub5
  8. Claus B, Van Braeckel E. Utilité des biomarqueurs dans le diagnostic de pneumonie en ambulatoire. Minerva analyse 15/03/2021.
  9. Ebell M, Bentivegna M, Cai X, et al. Accuracy of biomarkers for the diagnosis of adult community-acquired pneumonia: a meta-analysis. Acad Emerg Med 2020;27:195-206. DOI: 10.1111/acem.13889
  10. De Sutter A. Limiter la prescription d’antibiotiques en mesurant la CRP et par un apprentissage de la communication ? MinervaF 2010;9(6):70-1.
  11. Cals JW, Butler CC, Hopstaken RM, et al. Effect of point of care testing for C reactive protein and training in communication skills on antibiotic use in lower respiratory tract infections: cluster randomised trial. BMJ 2009;338:b1374. DOI: 10.1136/bmj.b1374
  12. van Buul LW  Veenhuizen RB, Achterberg WP, et al. Antibiotic prescribing in Dutch nursing homes: how appropriate is it? J Am Med Dir Assoc 2015;16:229-37. DOI: 10.1016/j.jamda.2014.10.003
  13. Boere TM, van Buul LW, Hopstaken RM, et al. Effect of C reactive protein point-of-care testing on antibiotic prescribing for lower respiratory tract infections in nursing home residents: cluster randomised controlled trial. BMJ 2021;374:2198. DOI: 10.1136/bmj.n2198
  14. Michiels B. Quelle est la grande particularité des essais cliniques pragmatiques ? MinervaF 2014;13(10):129.
  15. Michiels B. La non prise en compte d’une randomisation par grappes : un risque de biais. MinervaF 2013;12(2):25.
  16. Hay AD. Editorial. Point-of-care tests to inform antibiotic prescribing. BMJ 2021;374:n2253. DOI: 10.1136/bmj.n2253
  17. Boere TM, El Alili M, van Buul LW, et al. Cost-effectiveness and return-on-investment of C-reactive protein point-of-care testing in comparison with usual care to reduce antibiotic prescribing for lower respiratory tract infections in nursing homes: a cluster randomised trial. BMJ Open 2022;12:e055234. DOI: 10.1136/bmjopen-2021-055234



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