Analyse


La comparaison indirecte des mesures répétées de deux tests permet-elle d’en tirer des conclusions ?


21 03 2023

Professions de santé

Analyse de
Scharre DW, Chang SI, Nagaraja HN, et al. Self-Administered Gerocognitive Examination: longitudinal cohort testing for the early detection of dementia conversion. Alzheimer’s Res Ther 2021;13:192. DOI: 10.1186/s13195-021-00930-4


Conclusion
La comparaison indirecte des résultats de mesure consécutifs de deux tests donne des résultats peu fiables qui ne peuvent être considérés que comme descriptifs et hypothétiques.


Ce numéro de Minerva traite d’une étude comparant un autotest cognitif répété (l’autotest SAGE) à un test MMSE répété chez des patients suivis pendant près de 7 ans dans une clinique de la mémoire. Les auteurs sont arrivés à la conclusion que l’autotest SAGE permet de détecter la progression d’un trouble cognitif léger (Mild Cognitive Impairment, MCI) vers une démence au moins 6 mois plus tôt que le test MMSE (1,2). Cependant, la façon dont les auteurs sont arrivés à cette conclusion rappelle un article méthodologique de Minerva à ce sujet. Nous y indiquions qu’une différence statistiquement significative dans les résultats entre l’instauration et l’arrêt du traitement dans un bras de l’étude ne devrait pas être utilisée pour démontrer la supériorité par rapport au placebo dans un autre bras de l’étude où aucune différence statistiquement significative n’était observée pendant le suivi (3).    

Au lieu d’utiliser les critères de diagnostic classiques, où un test est évalué pour sa force probante et excluante sur la base de sa sensibilité et de sa spécificité, cette étude ne s’intéresse qu’à la rapidité avec laquelle le score des deux tests diminue séparément par rapport aux valeurs de départ. Ainsi, aucune comparaison statistique directe n’est effectuée entre les scores SAGE et MMSE. Le nombre de participants dont les résultats aux tests ont varié sur la base de critères prédéterminés n’est pas non plus pris en compte. Autrement dit, aucun nombre de points absolu n’est proposé comme valeur seuil, que ce soit « le nombre de participants obtenant moins de x points » ou « le nombre de participants avec une différence de y points entre deux mesures avec un intervalle de six mois ou d’un an ». Sans relier cela à une diminution cliniquement pertinente et sans effectuer de comparaison directe entre SAGE et MMSE, les chercheurs utilisent une courbe de régression pour montrer la diminution du score pour chaque test (voir figure 1*). Nous voyons que les deux courbes diminuent de manière assez similaire pour SAGE et MMSE. Cependant, les chercheurs publient également un tableau dans lequel, tant pour le test SAGE que pour le test MMSE, ils indiquent la diminution moyenne par rapport aux valeurs de départ lors de chaque visite (voir tableau 1**). Pour chaque diminution, une valeur p est calculée, et la diminution est dite statistiquement significative lorsque la valeur p est inférieure à 0,0055. Nous voyons, par exemple, que la différence entre SAGE et MMSE lors de la visite V3 dans le groupe évoluant d’un MCI vers une démence non Alzheimer est apparemment faible, mais la valeur p pour SAGE (p = 0,0051) semble tout juste statistiquement significative, et la valeur p pour MMSE (p = 0,0061) est de peu statistiquement non significative. C’est en s’appuyant sur cette différence minime que les auteurs concluent que le test SAGE peut détecter la démence plus précocement. Mais est-ce bien fiable ? Tout d’abord, la précision statistique dépend très fort du nombre de participants. Or le nombre de participants est faible dans certains sous-groupes (par exemple, n = 49 dans le groupe progression d’un MCI vers la maladie d’Alzheimer, et n = 21 dans le groupe progression vers une démence autre que la maladie d’Alzheimer). Ensuite, nous devons aussi tenir compte du fait qu’une diminution significative ponctuelle peut être causée, par exemple, par des « interférences » lors de l’autotest. Enfin, il ne faut pas non plus perdre de vue un possible effet d’apprentissage lors de tests répétés. Les chercheurs l’ont toutefois pris en compte : ils ont proposé le test SAGE en quatre versions différentes, ce qui devrait empêcher un effet d’apprentissage lors de l’auto-administration du test. 

Sur la base de tous ces éléments, il ne semble donc pas possible d’affirmer, à partir du tableau 2, que l’autotest SAGE détecte la progression d’un MCI vers une démence au moins 6 mois plus tôt que le MMSE. L’étude ne permet pas non plus de se prononcer valablement sur la différence de force probante et excluante du SAGE lui-même ou par rapport au MMSE (4,5). Sans parler ici de la fiabilité, de la validité et des autres critères auxquels un test doit répondre pour pouvoir être utilisé correctement (6). 

 

 

Conclusion

La comparaison indirecte des résultats de mesure consécutifs de deux tests donne des résultats peu fiables qui ne peuvent être considérés que comme descriptifs et hypothétiques.

 

 

 

Figure 1.*

Source: Scharre DW, Chang SI, Nagaraja HN, et al. Self-Administered Gerocognitive Examination: longitudinal cohort testing for the early detection of dementia conversion. Alzheimer’s Res Ther 2021;13:192. DOI: 10.1186/s13195-021-00930-4

 

Tableau 1.**

Source: Scharre DW, Chang SI, Nagaraja HN, et al. Self-Administered Gerocognitive Examination: longitudinal cohort testing for the early detection of dementia conversion. Alzheimer’s Res Ther 2021;13:192. DOI: 10.1186/s13195-021-00930-4

 

 

 

Références 

  1. Tournoy J. Un autotest cognitif permet-il de détecter plus précocement la progression d’un trouble cognitif léger vers une démence ? Minerva Analyse 15/03/2023.
  2. Scharre DW, Chang SI, Nagaraja HN, et al. Self-Administered Gerocognitive Examination: longitudinal cohort testing for the early detection of dementia conversion. Alzheimer’s Res Ther 2021;13:192. DOI: 10.1186/s13195-021-00930-4
  3. Chevalier P. Considérer les bonnes différences entre bras d’étude? MinervaF 2011;10(9):116
  4. Schoenmakers B. Distinguer une démence clinique de type Alzheimer d’un déclin cognitif léger ou d’une cognition normale grâce à des tests cognitifs brefs. Minerva Analyse 17/12/2020.
  5. Hemmy LS, Linskens EJ, Silverman PC, et al. Brief cognitive tests for distinguishing clinical Alzheimer-type dementia from mild cognitive impairment or normal cognition in older adults with suspected cognitive impairment. Ann Intern Med 2020;172:678-87. DOI: 10.7326/M19-3889
  6. Michiels B. A quoi faut-il faire attention lors de l’interprétation des résultats des études diagnostiques ? MinervaF 2015;14(6):76.


Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

Glossaire

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires