Analyse


L’effet de différents médicaments dans le trouble panique


21 03 2023

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue
Analyse de
Chawla N, Anothaisintawee T, Charoenrungrueangchai K, et al. Drug treatment for panic disorder with or without agoraphobia: systematic review and network meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2022;376:e066084. DOI: 10.1136/bmj-2021-066084


Question clinique
Quels sont l’effet et la sécurité des différents traitements pharmacologiques disponibles pour le traitement du trouble panique ?


Conclusion
Cette revue systématique avec méta-analyse directe et méta-analyse en réseau montre que le traitement pharmacologique du trouble panique par les ISRS est associé à un taux élevé de rémission et à un faible risque d’effets indésirables par rapport aux autres psychotropes. Parmi les ISRS, la sertraline et l’escitalopram ont le meilleur profil en termes de rémission et d’effets indésirables. La synthèse méthodique et les méta-analyses sont de bonne qualité méthodologique, mais les études randomisées contrôlées incluses présentent un risque de biais modéré à élevé.


Contexte

Le trouble panique est un trouble psychiatrique fréquent dont la prévalence au cours de la vie est estimée entre 1 et 5% et qui est souvent associé à d’autres affections psychiatriques et médicales (1). Alors que l’agoraphobie (c’est-à-dire l’évitement des situations sociales qui peuvent provoquer la panique) était une composante diagnostique du trouble panique dans toutes les éditions précédentes du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), ces deux affections sont pour la première fois répertoriées comme des entités distinctes dans le DSM-5. Pour le traitement du trouble panique, des interventions pharmacologiques et psychothérapeutiques sont recommandées. Dans Minerva, nous avons discuté d’une étude comparant la thérapie cognitivo-comportementale à la psychothérapie standard (2,3) et d’une étude comparant la thérapie cognitivo-comportementale à l’imipramine (4,5). Nous avons conclu que la thérapie cognitivo-comportementale à long terme était préférable en raison de l’absence d’effets indésirables, mais qu’elle n’était pas adaptée à tous les patients. Outre les antidépresseurs tricycliques, d’autres médicaments psychotropes conviennent également au traitement du trouble panique. 

 

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse en réseau (6).

 

Sources consultées

  • Medline via PubMed et Embase ; jusque juin 2021
  • clinicalTrials.gov pour les études toujours en cours
  • listes de références des études incluses et précédentes méta-analyses
  • pas de restriction quant à la langue de publication.

 

Études sélectionnées

  • 87 études randomisées contrôlées ayant examiné l’effet d’une intervention avec des psychotropes par rapport à l’absence de traitement (placebo ou liste d’attente) en termes de rémission, d’abandon de l’étude, de symptômes anxieux, de symptômes dépressifs, de qualité de vie et d’effets indésirables 
  • les psychotropes étudiés étaient (par ordre de fréquence décroissant) : les antidépresseurs tricycliques (ATC), les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), les benzodiazépines, les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN, comme la venlafaxine), les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la noradrénaline (comme la réboxétine), les inhibiteurs de la recapture de la noradrénaline et de la dopamine (comme la buspirone, qui n’est plus disponible en Belgique), les IMAO, les bêta-bloquants, la mirtazapine ; la durée du traitement était ≤ 8 semaines dans 32 études et ≥ 12 semaines dans 21 études
  • exclusion des études qui comparaient différentes doses d’un même médicament et des études avec données insuffisantes pour la sommation ou avec psychothérapie concomitante.

 

Population étudiée

  • inclusion de 12800 patients, ayant au moins 18 ans (âge moyen : 35 ans), 63,7% étant de sexe féminin, présentant un trouble panique (diagnostiqué suivant les critères DSM III, DSM III-R, DSM IV ou ICD-10) ; 95% des études ont inclus des patients atteints d’agoraphobie ; la durée du trouble panique était en moyenne de 6,9 ans, allant de 1,8 an à 10,8 ans.

 

Mesure des résultats 

  • critère de jugement primaire : rémission (pas de crise de panique pendant au moins une semaine à la fin de l’étude), et sortie d’étude (arrêt précoce du traitement ou retrait de l’étude en raison d’effets indésirables, du non-respect du protocole de l’étude ou de l’insuffisance d’effet du traitement)
  • critères de jugement secondaires : scores des symptômes d’anxiété et de dépression et tout effet indésirable éventuel 
    méta-analyse directe lorsqu’au moins 3 études randomisées contrôlées évaluaient des interventions et des mesures de résultats comparables
  • méta-analyse en réseau.

 

Résultats

  • Pour le critère de jugement primaire « rémission » :
    • en comparaison directe avec le placebo, il y avait plus de rémissions, et ce de manière statistiquement significative avec : 
      • les antidépresseurs tricycliques (ATC) (RR de 1,37 avec IC à 95% de 1,27 à 1,47 ; N = 12 ; I² = 0%), 
      • les benzodiazépines (RR de 1,49 avec IC à 95% de 1,36 à 1,63 ; N = 18 ; I² = 13,18%), 
      • la paroxétine (RR de 1,42 avec IC à 95% de 1,12 à 1,79 ; N = 7 ; I² = 55,77%), 
      • la sertraline (RR de 1,30 avec IC à 95% de 1,10 à 1,54 ; N = 3 ; I² = 0%) 
      • la venlafaxine (RR 1,26 avec IC à 95% de 1,08 à 1,48 ; N = 4; I² = 52,02%),
    • pas avec la fluvoxamine (N = 5 ; I² = 71,69) 
    • pas de différence entre les ATC et les benzodiazépines quant aux rémissions (N = 6 ; I² = 0%)
    • en comparaison indirecte avec le placebo, il y avait plus de rémissions, et ce de manière statistiquement significative, avec :
      • les antidépresseurs tricycliques (ATC) (RR de 1,39 avec IC à 95% de 1,26 à 1,54 ; GRADE modéré), 
      • les benzodiazépines (RR de 1,47 avec IC à 95% de 1,36 à 1,60 ; GRADE modéré), 
      • les ISRS (RR de 1,38 avec IC à 95% de 1,26 à 1,50 ; GRADE modéré), 
      • les IRSN (RR de 1,27 avec IC à 95% de 1,12 à 1,45 ; GRADE modéré) 
      • les IMAO (RR de 1,30 avec IC à 95% de 1,00 à 1,69 ; GRADE modéré) ; 
    • il y avait plus de rémission avec les benzodiazépines qu’avec les bêta-bloquants (RR de 1,98 avec IC à 95% de 1,03 à 3,79 ; GRADE très faible) et qu’avec les IRSN (RR de 1,16 avec IC à 95% de 1,00 à 1,34 ; GRADE modéré)
  • Pour le critère de jugement primaire « sorties d’étude » :  
    • en comparaison directe avec le placebo, il y avait moins de sorties d’étude, et ce de manière statistiquement significative, avec les antidépresseurs tricycliques (ATC) (RR 0,42 avec IC à 95% de 0.31 à 0,57 ; N = 25 ; I² = 71,69%) et avec les benzodiazépines (RR de 0,70 avec IC à 95% de 0,61 à 0,79 ; N = 20 ; I² = 0%)
    • en comparaison indirecte avec les ISRS, les IRSN, les IMAO et avec un placebo, il y avait moins de sorties d’étude, et ce de manière statistiquement significative, avec les benzodiazépines (RR avec IC à 95% respectivement de 0,51 (0,38 à 0,67), 0,57 (0,37 à 0,87), 0,47 (0,22 à 0,97) et 0,46 (0,37 à 0,58) ; GRADE modéré) ; avec les ATC, on a observé moins de sorties d’étude qu’avec les ISRS (RR 0,78 avec IC à 95% de 0,61 à 0,99) et qu’avec un placebo (RR 0,71 avec IC à 95% de 0,58 à 0,88) (GRADE faible), mais plus de sorties d’étude qu’avec les benzodiazépines (RR 1,54 avec IC à 95% de 1,19 à 1,99 ; GRADE faible)
  • Pour le critère de jugement secondaire « score d’anxiété » :
    • score d’anxiété inférieur, de manière statistiquement significative, après un traitement avec des ATC, des benzodiazépines et de la paroxétine en comparaison directe avec un placebo ainsi qu’après un traitement avec des ATC, des benzodiazépines, des ISRS et des ISRS associés à des bêta-bloquants en comparaison indirecte avec un placebo et après un traitement avec des ATC, des benzodiazépines, des ISRS et des IRSN en comparaison indirecte avec des ISRS associés à des bêta-bloquants
  • Pour le critère de jugement secondaire « score de dépression » :
    • score de dépression inférieur, de manière statistiquement significative, après un traitement avec des benzodiazépines en comparaison directe avec un placebo ainsi qu’après un traitement avec des ATC, des benzodiazépines, des ISRS et des ISRS associés à des bêta-bloquants en comparaison indirecte avec un placebo et après un traitement avec des ATC, des benzodiazépines, des bêta-bloquants, des IMAO, des ISRS, des inhibiteurs de la recapture de la noradrénaline et des ISRS associés à des benzodiazépines en comparaison indirecte avec des ISRS associés à des bêta-bloquants
  • Pour le critère de jugement secondaire « effets indésirables » :
    • nombre d’événements indésirables plus élevé, et ce de manière statistiquement significative, avec les benzodiazépines, les ATC et la venlafaxine en comparaison directe avec un placebo 
    • le recours à des ATC était corrélé à un taux plus élevé d’événements indésirables, et ce de manière statistiquement significative, en comparaison indirecte avec les ISRS, les IRSN, les inhibiteurs de la recapture de la noradrénaline et le placebo, de même que le recours à des benzodiazépines par rapport aux ISRS, aux IRSN, aux inhibiteurs de la recapture de la noradrénaline et au placebo ; le recours à des ISRS était corrélé à un taux plus élevé d’événements indésirables, et ce de manière statistiquement significative, par rapport au placebo.

 

Conclusion des auteurs

Ces résultats suggèrent que, pour le traitement du trouble panique, les ISRS apportent un taux élevé de rémission avec un faible risque d’événements indésirables. Parmi les ISRS, la sertraline et l’escitalopram sont associés à un taux de rémission élevé et à un faible risque d’événements indésirables. Toutefois, les résultats étaient basés sur des études dont la certitude des preuves était modérée à très faible, principalement en raison de biais, d’incohérences et d’imprécisions dans la communication des résultats. 

 

Financement de l’étude

Aucun. 

 

Conflits d’intérêt des auteurs 
Aucun. 

 

 

Discussion

Discussion de la méthodologie

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse en réseau a fait l’objet d’un rapport conformément aux recommandations PRISMA. Les chercheurs détaillent les termes de recherche et les filtres qu’ils ont utilisés pour leur recherche dans PubMed et Embase. Les mots-clés faisaient référence à la population étudiée (comme « trouble panique » et « panique ») et à l’intervention (comme ATC, ISRS, IRSN). La sélection des articles, l’extraction des données et l’évaluation de la qualité méthodologique ont été effectuées par deux investigateurs indépendants. Sur la base de l’outil Cochrane évaluant le risque de biais dans les études randomisées contrôlées, une seule étude s’est avérée avoir un faible risque de biais (faible risque de biais pour tous les domaines). 29% avaient un risque de biais élevé (au moins un domaine avec un risque élevé de biais), et, pour la plupart des études, il y avait une incertitude quant au risque de biais pour un ou plusieurs domaines. Habituellement, il y avait un problème avec la randomisation et la préservation du secret d’attribution, ainsi qu’avec la communication sélective des résultats. Lorsqu’il y avait une similitude dans les interventions et les mesures des résultats pour au moins trois études randomisées contrôlées, les chercheurs ont effectué une méta-analyse directe. De plus, les chercheurs ont effectué une méta-analyse en réseau (7,8). La cohérence des résultats a fait l’objet d’un examen statistique. En cas d’incohérence, les études à l’origine de l’incohérence ont été supprimées. Cette intervention s’est avérée nécessaire uniquement pour la mesure de résultat « effets indésirables ». Pour les résultats de la méta-analyse en réseau, la force des preuves a été déterminée en fonction du biais de l’étude, du biais de notification, du caractère indirect, de l’imprécision, de l’hétérogénéité et de l’incohérence. Sur la base des comparaisons indirectes, la surface sous la courbe de classement cumulatif (Surface Under the Cumulative Ranking-curve, SUCRA) pour les différents critères de jugement a été calculée pour chaque traitement. Par la suite, les SUCRA des différents traitements ont été tracées les unes par rapport aux autres pour les critères de jugement principaux « rémission » et « abandon de l’étude ». Des funnel plots ont été réalisés pour rechercher un biais de publication et une hétérogénéité. Les funnel plots pour les critères de jugement secondaires se sont avérés symétriques. Mais ce serait dû à une hétérogénéité statistique plutôt qu’à un biais de publication. 

 

Discussion des résultats
L’une des forces de cette étude est que de nombreux psychotropes ont été inclus dans la méta-analyse et que les effets positifs (rémission) et négatifs (abandon de l’étude, effets secondaires) des différents traitements ont été pris en compte. En termes de rémission, les ISRS étaient généralement comparés à un placebo (N = 13 études, n = 2295 patients), suivis par les benzodiazépines comparées à un placebo (N = 11 études, n = 2061 patients). En termes de sortie d’étude, les comparaisons étaient effectuées principalement entre les benzodiazépines et un placebo (N = 15 études, n = 2321 patients), suivies par les ISRS comparés à un placebo (N = 14 études, n = 3 462 patients). Sur la base de la SUCRA, les benzodiazépines, les antidépresseurs tricycliques et les ISRS ont été classés en tête pour la rémission. Bien que le risque d’abandon de l’étude soit le plus faible avec les benzodiazépines, ce traitement est toujours associé aux effets indésirables les plus importants. Les antidépresseurs tricycliques ont également montré plus d’effets indésirables que les ISRS. Parmi les ISRS, la sertraline et l’escitalopram se sont avérés les plus efficaces (en termes de rémission) avec le moins d’effets indésirables. Il est certainement utile de réaliser d’autres études randomisées contrôlées avec des comparaisons directes entre les ISRS plus récents et de mesurer également d’autres effets tels que la qualité de vie.
Lors de la discussion des résultats, il faut tenir compte de la possibilité d’une surestimation de l’effet et d’une sous-estimation des effets indésirables (comme la dépendance aux benzodiazépines). Étant donné que les études avec psychothérapie ont été exclues, il reste également difficile de savoir si combiner des médicaments psychotropes avec certaines formes de soutien psychothérapeutique apporte une valeur ajoutée. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?


EBPnet recommande les ISRS comme traitement de première ligne pour le trouble panique, mais à une dose initiale deux fois plus faible que celle qui est préconisée dans la dépression. Les benzodiazépines sont déconseillées, mais leur ajout temporaire en première phase du traitement pharmacologique est envisageable (en cas de possibilité d’une aggravation paradoxale des symptômes). Elles devraient être progressivement diminuées après maximum 6 semaines (9).

 

 

Conclusion de Minerva 

Cette revue systématique avec méta-analyse directe et méta-analyse en réseau montre que le traitement pharmacologique du trouble panique par les ISRS est associé à un taux élevé de rémission et à un faible risque d’effets indésirables par rapport aux autres psychotropes. Parmi les ISRS, la sertraline et l’escitalopram ont le meilleur profil en termes de rémission et d’effets indésirables. La synthèse méthodique et les méta-analyses sont de bonne qualité méthodologique, mais les études randomisées contrôlées incluses présentent un risque de biais modéré à élevé.

 

 


Surface sous la courbe de classement cumulatif (Surface Under the Cumulative Ranking-curve, SUCRA)
La mesure de la SUCRA donne la probabilité qu’au terme de l’analyse, un traitement soit classé comme meilleur ou pire. L’aire sous la courbe détermine le classement depuis 0 (rang le plus bas) jusqu’à 100% (rang le plus élevé).

 

 

Références 

  1. de Jonge P, Roest AM, Lim CC, et al. Cross-national epidemiology of panic disorder and panic attacks in the world mental health surveys. Depress Anxiety 2016;33:1155-77. DOI: 10.1002/da.22572
  2. Luyten, P. Thérapie comportementale cognitive en cas de trouble panique : 2 ans de suivi. MinervaF 2007;6(5):74-6
  3. Addis ME, Hatgis C, Cardemil E, et al. Effectiveness of cognitive-behavioral treatment for panic disorder versus treatment as usual in a managed care setting: 2-year follow-up. J Consult Clin Psychol 2006;74:377-85. DOI: 10.1037/0022-006X.74.2.377
  4. De Meyere, M. Cognitieve gedragstherapie of imipramine bij paniekstoornis? Minerva 2001;30(10):464-7. (uniquement en NL)
  5. Barlow DH, Gorman JM, Shear MK, Woods SW. Cognitive–behavioral therapy, imipramine, or their combination for panic disorder. A randomized controlled trial. JAMA 2000;283:2529-36. DOI: 10.1001/jama.283.19.2529
  6. Chawla N, Anothaisintawee T, Charoenrungrueangchai K, et al. Drug treatment for panic disorder with or without agoraphobia: systematic review and network meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2022;376:e066084. DOI: 10.1136/bmj-2021-066084 
  7. Chevalier P. Méta-analyse en réseau : comparaisons directes et indirectes. MinervaF 2009;8(10):148.
  8. Chevalier P. Comparaisons indirectes (suite). MinervaF 2011;10(6):77.
  9. Trouble anxieux. Ebp-net. Duodecim Medical Publications. Mis à jour par le producteur : 29/09/2011. Screené par Ebpracticenet: 2017.

 

 




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