Revue d'Evidence-Based Medicine



Une nouvelle étude sur les traitements de l’épaule douloureuse



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 1 Page 18 - 21

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste

Analyse de
Cederqvist S, Flinkkilä T, Sormaala M, et al. Non-surgical and surgical treatments for rotator cuff disease: a pragmatic randomised clinical trial with 2-year follow-up after initial rehabilitation. Ann Rheum Dis 2020;80:796-802. DOI: 10.1136/annrheumdis-2020-219099


Question clinique
Chez les patients de plus de 35 ans présentant une lésion de la coiffe des rotateurs, une intervention chirurgicale est-elle plus efficace qu’une approche non-chirurgicale en termes de douleur et de fonction après une rééducation initiale de 3 mois infructueuse ?


Conclusion
Cette étude pragmatique, randomisée, contrôlée, bien construite méthodologiquement, présente les avantages et les limites d’une étude proche de la pratique clinique. La part laissée au jugement clinique est importante. Les résultats montrent que la chirurgie intervenant après 3 mois d’un traitement de réhabilitation sans efficacité clinique satisfaisante ne donne pas de résultats supérieurs au traitement non chirurgical dans la majorité des cas de pathologie de la coiffe des rotateurs et plus particulièrement si les patients ne présentent pas de perforation de la coiffe. Par contre, en cas de rupture transfixiante de la coiffe avec résistance au traitement conservateur, la réparation de la coiffe donne des résultats supérieurs à la poursuite de l’option conservatrice en termes de douleur et de fonction.


Contexte

L’épaule douloureuse est une pathologie relativement fréquente en médecine générale. La cause la plus fréquente (60 à 70% des cas) est un trouble de la coiffe des rotateurs (1). Pour la majorité d’entre elles, il s’agit d’une pathologie dégénérative liée à l’âge. Cette pathologie est souvent associée à une invalidité et à une douleur substantielle et persistante (2). Seules 50% des pathologies de l’épaule nouvellement diagnostiquées sont résolues à six mois et pour la moitié des cas, la limitation fonctionnelle peut durer jusqu’à 2 ans (2). En ce qui concerne les lésions de la coiffe, on parle de rupture transfixiante ou non transfixiante (donnée arthrographique). La rupture complète de la coiffe est soit traumatique soit l'aboutissement d'une longue histoire de pathologie de la coiffe (épaule sénile). La rupture complète n'est pas le problème traité dans cet article et certainement pas le problème généralement rencontré en pratique clinique de première ligne.

Le traitement de l’épaule douloureuse fait l’objet de multiples études visant à établir des lignes thérapeutiques basées sur les preuves.

À cet effet, en 2019 (3), nous avons analysé dans Minerva une étude randomisée (4) sur l’apport de l’acromioplastie dans le traitement de l’épaule douloureuse. Les résultats comparant une chirurgie « placebo » à une décompression sous-acromiale ne montrent aucune supériorité de la décompression chez les patients souffrant d’un syndrome de conflit sous-acromial à 24 mois de l’intervention. Cette étude n’apporte donc pas de justification à la réalisation d’une décompression sous-acromiale chez les patients souffrant d’un conflit sous-acromial. Une deuxième étude analysée dans Minerva en 2020 (5,6) apportait une conclusion plus nuancée. Cette étude pragmatique randomisée contrôlée, montre, à 10 ans, un bénéfice modéré mais statistiquement significatif de la chirurgie sur la fonction et la douleur chez des patients présentant une lésion dégénérative ne dépassant pas 3 cm de la coiffe des rotateurs. Le choix entre un traitement conservateur et une réparation chirurgicale n’est pas déterminé formellement par les faits probants, que ce soit par les RCTs ou par les méta-analyses, mais fait préférer la réparation chirurgicale chez les patients jeunes en particulier. Il reste une part importante pour le jugement clinique du chirurgien. L’article analysé est paru en ligne en décembre 2020 et dans les Annals of Rheumatic Disease en 2021.

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • les auteurs partent d’un ensemble de 3233 patients, dans 2 hôpitaux en Finlande référés aux consultations d’orthopédie de leurs établissements pour des problèmes de membre supérieur
  • après exclusion des patients de moins de 35 ans, de ceux qui ont des plaintes récentes (< 3 mois) ou qui ont subi des traumatismes ou des traitements chirurgicaux ainsi que de quelques pathologies spécifiques comme la tendinite calcifiante, ils ont sélectionné 664 patients
  • 417 ont été reconnus éligibles après exclusion entre autres pour non-consentement, omarthrose ou rupture irréparable de la coiffe
  • immédiatement avant la randomisation, les kinésithérapeutes « de recherche » ont évalué les critères de jugement primaire et secondaire pour établir les scores de base
  • 230 patients ont été exclus immédiatement avant de la randomisation : chirurgie rapide (n = 50), symptômes légers ou absents (n = 102), tendon irréparable (n = 19) ou autres (n = 59)
  • il restait 187 patients soit 190 épaules qui ont été randomisées par blocs stratifiés en fonction du genre et du type de lésion en deux groupes : (1) traitement chirurgical – 95 épaules dont 59 ont effectivement été opérées et (2) traitement non chirurgical – 95 épaules dont 12 ont été opérées ; les patients inclus dans le traitement non chirurgical ont poursuivi le traitement de réhabilitation.

 

Protocole d’étude

Etude randomisée et contrôlée

  • après l'inclusion, une des particularités de cette étude est que les patients ont bénéficié d’un traitement conservateur pendant 3 mois
  • après cette période, tous les candidats ont subi une arthrographie par IRM (MRA) qui a permis d’identifier les ruptures transfixiantes
  • cette démarche thérapeutique (3 mois de traitement conservateur) et de diagnostic (MRA) a été faite préalablement à la randomisation
  • les épaules ont été évaluées en début et en fin d’étude par des kinésithérapeutes « de recherche ».

 

Mesure des résultats

  • douleur sur le score VAS, fonctionnement, qualité de vie.

 

Résultats

  • le suivi à 2 ans a été effectué pour 80 épaules dans les deux séries
  • une solution chirurgicale pouvait être proposée à tous les patients en cas de douleurs majeures ou de perte de fonction ; les patients sans rupture transfixiante se voyaient alors proposer une décompression sous-acromiale arthroscopique tandis que les patients avec rupture transfixiante étaient traités par réinsertion de la coiffe à l’aide d’ancres par voie arthroscopique ou mini-open
  • au suivi de 2 ans, le score EVA moyen a diminué de 31 points (avec IC à 95% de 26 à 35) dans le groupe sans chirurgie et de 34 (avec IC à 95% de 30 à 39) dans le groupe chirurgie ; la différence entre les groupes n'était pas significative (différence moyenne de 4 avec IC à 95% de -3 à 10 ; p = 0,25)
  • pour la fonction, la différence moyenne était de 3.4 (avec IC à 95% de −0,4 à 7,1 ; p = 0,077) ; parmi les patients présentant des ruptures transfixiantes, les résultats montrent une réduction de la douleur (13 points avec IC à 95% de 5 à 22 ; p = 0,002) et une amélioration de la fonction (7,0 avec IC à 95% de 1,8 à 12,2 ; p = 0,008) en faveur de la chirurgie
  • les scores liés à la qualité de vie ne montraient pas de différence statistiquement significative entre les 2 groupes à 2 ans.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que leurs résultats démontrent que la chirurgie ne donne pas des résultats supérieurs au traitement non chirurgical dans la majorité de leurs cas de pathologie de la coiffe (RCD = rotator cuff disease). Parmi les patients symptomatiques sans perforation de la coiffe, la chirurgie n’apporte pas de bénéfice même si le traitement conservateur s’est avéré inefficace. Par contre, en cas de rupture transfixiante de la coiffe avec résistance au traitement conservateur, la réparation de la coiffe donne des résultats supérieurs à la poursuite de l’option conservatrice.

 

Financement de l'étude

Financement de l’Academy of Finland et de National Competitive Research Funding de l’University of Eastern Finland.

 

Conflits d'intérêts des auteurs

Aucun auteur n'a déclaré de conflit d'intérêt avec cet article.

 

Discussion 

 

Évaluation de la méthodologie (validité interne) 

Il s’agit d’une étude pragmatique, randomisée, contrôlée, réalisée en Finlande. Le protocole est bien décrit, les critères de jugement sont pertinents cliniquement et les outils d’évaluation sont validés. La puissance calculée a priori de l’étude n’est pas atteinte : 100 patients dans chaque groupe étaient nécessaires. Les kinésithérapeutes liés à la recherche n’étaient cependant pas en aveugle. Une chirurgie factice n’a pas été réalisée, mais dans le cadre d’une approche pragmatique, cela paraît cohérent. Les auteurs signalent que les patients du groupe non chirurgical ont bénéficié plus souvent d’une infiltration avec des corticoïdes, mais il est difficile de savoir quand elles ont eu lieu et si elles ont eu un impact clinique ayant influencé l’étude.

 

Évaluation et interprétation des résultats (validité externe) 

C’est une étude complexe avec de multiples croisements. Il faut souligner que cette étude suit au plus près les habitudes et les décisions, a priori partagées mais cela n’est pas clairement expliqué dans le protocole. Ce qui veut dire que le jugement clinique reste important ; par exemple, après les 3 mois de traitement conservateurs, 50 patients ont été opérés avant même que la randomisation ne soit débutée. Les résultats ne concernent que les patients présentant une déchirure de la coiffe des rotateurs, transfixiante ou non, ayant bénéficié de 15 sessions au plus de kinésithérapie, sans évolution clinique satisfaisante, évalués par IRM et ne présentant pas une indication chirurgicale immédiate. On remarquera également que des patients ont été opérés dans les 2 bras tandis certains n’ont pas été opérés (par exemple : 36/95 dans le groupe chirurgical).

Elle confirme, comme on pouvait l’attendre, le peu d’intérêt de la décompression sous acromiale des épaules douloureuses sans lésion transfixiante de la coiffe. Elle confirme également que les ruptures de la coiffe démontrées qui restent symptomatiques méritent d’être réparées. Les résultats des études présentées en 2019 et 2020 sont confirmés dans cette étude plus ouverte.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

UpToDate propose en première intention un traitement conservateur. L’objectif de la kinésithérapie est le maintien de la mobilité de l’épaule ; si elle provoque des douleurs, elle est alors contre-productive et risque d’aggraver la rétraction capsulaire. L’antalgie médicamenteuse, notamment par AINS systémiques, est proposée. Parfois, une injection de corticoïdes peut être nécessaire. Dans les cas douteux, notamment si les symptômes se prolongent ou en cas de doute quant à la nécessité d’une intervention chirurgicale, une imagerie complémentaire peut s’avérer nécessaire. Pour les ruptures de la coiffe dégénératives, symptomatiques ou aggravées malgré un traitement conservateur, une prise en charge chirurgicale en fonction de critères propres à chaque patient (âge, état général, attentes quant à la récupération fonctionnelle, taille de la rupture et dégénérescence musculaire) peut être proposée (3,7).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude pragmatique, randomisée, contrôlée, bien construite méthodologiquement, présente les avantages et les limites d’une étude proche de la pratique clinique. La part laissée au jugement clinique est importante. Les résultats montrent que la chirurgie intervenant après 3 mois d’un traitement de réhabilitation sans efficacité clinique satisfaisante ne donne pas de résultats supérieurs au traitement non chirurgical dans la majorité des cas de pathologie de la coiffe des rotateurs et plus particulièrement si les patients ne présentent pas de perforation de la coiffe. Par contre, en cas de rupture transfixiante de la coiffe avec résistance au traitement conservateur, la réparation de la coiffe donne des résultats supérieurs à la poursuite de l’option conservatrice en termes de douleur et de fonction.

 

 

Références 

  1. Masters S, Burley S. Shoulder pain. Aust Fam Physician 2007;36:414-6, 418-20.
  2. Kermode T, Pasche O, Cornuz J, Zufferey P. Epaule douloureuse : prise en charge ambulatoire. Rev Med Suisse 2013;408:2205-11.
  3. Rombouts JJ. Quels est l’apport de l’acromioplastie dans le traitement de l’épaule douloureuse ? Minerva bref 15/09/2019.
  4. Paavola M, Malmivaara A, Taimela S, et al; Finnish Subacromial Impingement Arthroscopy Controlled Trial (FIMPACT) Investigators. Subacromial decompression versus diagnostic arthroscopy for shoulder impingement: randomised, placebo surgery controlled clinical trial. BMJ 2018;362:k2860. DOI: 10.1136/bmj.k2860
  5. Rombouts JJ. Traitement des lésions de la coiffe des rotateurs de l’épaule de petite et de taille moyenne : réparation chirurgicale ou traitement de rééducation ? Minerva bref 15/11/2020.
  6. Moosmayer S, Lund G, Seljom US, et al. At a 10-year follow-up, tendon repair Is superior to physiotherapy in the treatment of small and medium-sized rotator cuff tears. J Bone Joint Surg Am 2019;101:1050-60. DOI: 10.2106/JBJS.18.01373
  7. UpToDate. Rotator cuff tendinopathy.

 

 

 

 




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