Revue d'Evidence-Based Medicine



Vitamine B6, B12 ou acide folique : efficace sur les capacités cognitives ?



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 8 Page 124 - 125

Professions de santé


Analyse de
Balk EM, Raman G, Tatsioni A, et al. Vitamin B6, B12 and folic acid supplementation and cognitive function. A systematic review. Arch Intern Med 2007;167:21-30.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’une supplémentation en vitamine B6, B12 ou en acide folique sur les capacités cognitives de personnes âgées atteintes ou non d’un déficit cognitif et dont le status vitaminique est soit inconnu, soit normal, soit bas ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique du faible total d’études disponibles ne peut montrer d’effet favorable de l’administration de suppléments de vitamines B6 ou B12 ou d’acide folique sur les capacités cognitives de personnes âgées présentant initialement de telles capacités normales ou diminuées. La plupart des études sont petites et de courte durée. Aucune donnée quant à un effet sur l’évolution vers une démence. La prescription systématique de ces vitamines, chez des personnes âgées, à visée préventive de détérioration cognitive ou de démence ne peut donc être recommandée.


 
 

Résumé

 

Contexte

Une homocystéinémie élevée et des taux plasmatiques en acide folique et en vitamines B6 et B12 diminués ont été mis en lien avec une moindre performance cognitive.

 

Méthodologie

Synthèse méthodique

 

Sources consultées

  • MEDLINE et Commonwealth Agricultural Bureau (CAB) (jusqu’au 17 août 2006)
  • publications d’experts et références des articles, synthèses et méta-analyses sélectionnées.

Etudes sélectionnées

  • études randomisées, contrôlées, publiées dans des journaux avec revue par les pairs
  • critères d’inclusion : adultes, mention claire des doses et formes d’administration des vitamines B6 et B12 et d’acide folique, résultats sur les capacités cognitives, publications en anglais
  • exclusion : études avec multivitamines, études concernant des patients avec retard mental, encéphalopathie, neuropathie périphérique, démence vasculaire ou mixte
  • 14 RCTs incluses : évaluant la vitamine B6 (N=3; n=145), la vitamine B12 (N=6; n=210), l’acide folique (N=3; n=39), une association (N=6; n=472)
  • population variant de 7 à 128 participants dans les groupes avec vitamine.

Population étudiée

  • âge moyen des participants : 73 à 83 ans
  • fonctions cognitives : normales dans 7 études, normales à perturbées dans 1 étude, perturbées dans 2 études ; 2 autres études concernant la démence et 1 la démence sévère
  • 1 étude inclut des patients avec des troubles circulatoires ischémiques
  • taux bas de vitamine B12 dans 2 études ; taux bas d’acide folique dans 1 étude ; taux normal d’acide folique dans une étude.

 

Mesure des résultats

L’évaluation porte sur tous les résultats pertinents en termes de capacités cognitives.

 

Résultats

  • pas de méta-analyse (en raison d’une hétérogénéité clinique trop importante)
  • 3 études (sur 3) avec la vitamine B6 et 6 études (sur 6) avec la vitamine B12 ne montrent pas d’efficacité significative sur les capacités cognitives, sauf 1 étude pour chacune des deux vitamines pour un seul des critères parmi ceux évalués dans l’étude
  • 1 étude (sur 3) avec l’acide folique montre une amélioration des capacités cognitives chez des personnes présentant des troubles cognitifs et un taux plasmatique d’acide folique bas
  • 6 études (sur 6) avec associations de vitamines B ne montrent pas d’efficacité sur les capacités cognitives.

  

Tableau : Résultats statistiquement significatifs (et uniquement ceux-ci) dans les différentes études avec vitamine B6, B12 et/ou acide folique sur les fonctions cognitives.

 

 

Dose

Durée

Résultat

Vitamine B6

 

12 à 75 mg/jour

 

5 à 12 semaines

suivi 1 fois après 9 mois

B6 > placebo pour la mémoire à long terme (p<0,03) dans 1 étude (n=38; status B6 non connu)

Vitamine B12

 

Orale : 0,01-1 mg/jour

I.M.: de 0,1mg/jour à 1mg par semaine/mois

4 semaines à 6 mois

Placebo > B12 pour 3 des 35 tests cognitifs fonctionnels (p≤0,04) (n=64 et 70; status B12 non connu)

Acide folique

 

0,75 à 20 mg/jour

5 à 10 semaines

Tendances positives et négatives (2 études)

Acide folique > placebo pour 4 tests (p<0,007) dans 1 étude (n=16; taux acide folique bas)

Associations de 2 ou 3 vitamines

 

Dose orale/jour :

B6 : 3-10 mg

B12 : 0,5-1 mg

Acide folique : 0,4-2,5 mg

Dose I.M./jour :

B12 : 1-15 mg

3 mois (avec contrôle 9 mois après l’arrêt) à 2 ans

Placebo > association pour 5 des 25 tests (p<0,04).

Association (3 vitamines) > placebo pour 1 des 8 tests (p<0,007) (n=125; status vitaminique non connu)

> : significativement meilleur

I.M. : intramusculaire

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent au manque de preuve d’un effet favorable d’une supplémentation en vitamine B6 ou B12 ou en acide folique sur l’évolution des capacités cognitives chez des patients avec de telles capacités initialement normales ou déficientes.

 

Financement

National Institutes of Health (E.-U.)

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est mentionné.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Commençons par les points forts de cette publication. Le processus de sélection peut être considéré comme sévère : sur les 6 914 études identifiées, seules 14 sont retenues pour la discussion (avec dix-huit comparaisons). Ce sont des études randomisées et contrôlées. Les auteurs optent pour en rester à une synthèse méthodique sans faire de méta-analyse. Ils n’ont, en effet, pas le choix : l’hétérogénéité clinique des études est trop importante. Celle-ci se situe dans différents domaines. L’importance du déficit cognitif s’étend sur un continuum, avec des grades allant de normal à démence. Le status vitaminique des patients n’est, en général, pas connu. Les doses de vitamines administrées, leur voie d’administration et la durée du traitement varient fortement. Les critères de jugement ne sont pas comparables. L’importance numérique variable des populations d’étude pourrait faire l’objet d’une pondération mais celle-ci a peu de sens pour toutes les raisons précédemment énumérées.

 

Abordons les points faibles. La qualité des mentions concernant la méthodologie dans chacune des études est quelque peu mitée. L’insu manque parfois, avec, dans ce cas, une comparaison par rapport aux valeurs initiales. Le nombre de patients recevant une vitamine B dans les différentes études est parfois particulièrement faible (minimum 7 sujets, maximum 249). Le nombre d’instruments utilisés pour l’évaluation des capacités cognitives est ingérable : plus de 35 items différents sont évalués. La durée du traitement est d’un maximum de deux ans, mais souvent moins, ce qui est trop court pour mesurer des modifications durables, par exemple avec les MMSE et ADAS-Cog. D’autre part, une mesure des capacités cognitives à court terme (semaines) chez des sujets « sains » peut être utile, mais il s’agit dans ce cas des capacités de mémorisation et non de démence. La pratique de ces tests de mémoire doit tenir compte de l’effet d’apprentissage possible.

 

Pertinence des résultats

Les auteurs évaluent la représentativité des populations incluses. Ils estiment que celle-ci n’est représentative que dans deux des quatorze études ; une généralisation ultérieure des résultats est donc difficile. L’hétérogénéité clinique présente parmi ces études ne permet également pas d’extraire un message pratique de cette synthèse méthodique. En outre, la moitié des tests cognitifs sont favorables à l’intervention placebo plutôt qu’à l’administration de suppléments vitaminiques. Pour le clinicien, il est important de savoir lesquels, au sein de tous ces tests, évaluent le mieux les capacités de la vie quotidienne, sociales, d’autonomie, etc.

Autres études

La même revue publie, quasi en même temps, les résultats d’une étude effectuée par un groupe hollandais évaluant l’intérêt de l’administration quotidienne de 800 µg d’acide folique sur l’audition (1). Tous les patients (n=819, âge moyen de 60 ans) ont une fonction auditive initiale normale. L’évaluation de l’audition est une intéressante approche, un déficit de celle-ci conduisant souvent à un isolement social et entraînant aussi, à tort, une évaluation péjorative des performances cognitives. L’acide folique protège les patients inclus dans cette étude contre une détérioration de l’audition, mieux que ne le fait un placebo (p=0,02). Cette efficacité se limite aux sons de basse fréquence, ce qui peut quand même faire une différence.

Une autre étude récemment publiée, FACIT (2) (Folic Acid and Carotid Intima-media Thicknesstrial), évalue l’efficacité de l’acide folique sur l’évolution de l’athérosclérose. La population d’étude (n=818) se compose d’hommes et de femmes de 60 ans d’âge moyen (50 à 70), présentant une homocystéinémie entre 13 et 26 μmol/L. Ils reçoivent 800 μg d’acide folique quotidiennement, ou un placebo, durant trois ans. Les résultats sur le critère de jugement primaire susnommé ne sont pas publiés. Par contre, l’efficacité de l’administration d’acide folique sur les capacités cognitives (critère secondaire) fait l’objet de la référence citée. La rapidité du traitement de l’information (p<0,016) et le fonctionnement cognitif global (critère composite ; p<0,033) sont significativement améliorés. Il n’y a pas de différence entre acide folique et placebo en ce qui concerne la mémorisation, les capacités sensorimotrices et la rapidité d’exécution de tâches complexes. Ces observations motivent une recherche ultérieure adoptant les capacités cognitives comme critère primaire. Nous ne savons pas si ces résultats modifieraient ceux de la synthèse méthodique ici présentée.   

 

  

 

Conclusion

 

Cette synthèse méthodique du faible total d’études disponibles ne peut montrer d’effet favorable de l’administration de suppléments de vitamines B6 ou B12 ou d’acide folique sur les capacités cognitives de personnes âgées présentant initialement de telles capacités normales ou diminuées. La plupart des études sont petites et de courte durée. Aucune donnée quant à un effet sur l’évolution vers une démence. La prescription systématique de ces vitamines, chez des personnes âgées, à visée préventive de détérioration cognitive ou de démence ne peut donc être recommandée. 

 

 

Références

  1. Durga J, Verhoef P, Anteunis LJ, et al. Effects of folic acid supplementation on hearing in older adults. Ann Intern Med 2007;146:1-9.
  2. Durga J, van Boxtel MP, Schouten EG, et al. Effect of 3-year folic acid supplementation on cognitive function in older adults in the FACIT trial: a randomised, double blind, controlled trial. Lancet 2007;369:208-16.
Vitamine B6, B12 ou acide folique : efficace sur les capacités cognitives ?

Auteurs

Laekeman G.
em. Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, KU Leuven
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