Revue d'Evidence-Based Medicine



En cas de maladie artérielle périphérique, opter pour un programme d’exercices à domicile de faible intensité ou d’intensité élevée ?



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 2 Page 31 - 34

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste

Analyse de
McDermott MM, Spring B, Tian, et al. Effect of low-intensity vs high-intensity home-based walking exercise on walk distance in patients with peripheral artery disease: the LITE randomized clinical trial. JAMA 2021;325:1266-76. DOI: 10.1001/jama.2021.2536


Question clinique
Chez les patients atteints de maladie artérielle périphérique des membres inférieurs, la distance de marche sur 6 minutes augmente-t-elle à l’issue d’un programme d’exercices à domicile de faible intensité comparé à un programme d’exercices à domicile d’intensité élevée et comparé à l’absence d’exercice ?


Conclusion
Cette étude randomisée, contrôlée, multicentrique, bien conçue, montre qu’un programme d’exercices à domicile d’une durée de 12 mois dans lequel les patients atteints de maladie artérielle périphérique des membres inférieurs marchent à intensité élevée (jusqu’à déclencher des symptômes ischémiques) avec un podomètre et des conseils par téléphone est efficace pour augmenter la distance de marche. On ne sait pas dans quelle mesure cette augmentation de la distance de marche se traduit également par une amélioration subjective des performances de marche et une amélioration de la qualité de vie.


Contexte

Une synthèse méthodique avec méta-analyse de la Cochrane, qui a fait l’objet d’une discussion dans Minerva, montre que, chez les patients souffrant de maladie artérielle périphérique symptomatique, l’exercice physique supervisé, après trois mois, apporte une plus-value importante en termes de distance de marche sans apparition de douleur, par comparaison avec un programme d’exercices à domicile et avec le conseil simple de se promener (1,2). On ignore toutefois si des séances d’exercices physiques supervisés d’intensité élevée (marche déclenchant une claudication) sont préférables à des séances de faible intensité (sans déclenchement de symptômes).

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 305 patients américains ayant en moyenne 70 ans (écart type de 10 ans), 48% étant de sexe féminin, 59% étant des Afro-Américains, avec un index de pression systolique (IPS)* inférieure ou égal à 0,9, ou un IPS entre 0,91 et 1 au repos avec une diminution de plus de 20% après un test de montée sur la pointe du pied**, ou avec une maladie artérielle périphérique avérée d’après les analyses biologiques ou un angiogramme, ou avec des symptômes de claudication aspécifiques à hauteur des fesses ou des cuisses
  • critères d’exclusion : amputation majeure, confinement au fauteuil roulant, aide à la marche autre qu’une canne, limitation de la marche due à une cause autre qu’une maladie artérielle périphérique, ulcère du pied ou ischémie critique des membres inférieurs, test de Folstein (MMSE) plus petit que 23, déficience auditive ou visuelle sévère, chirurgie majeure planifiée dans les 12 mois suivants, revascularisation ou chirurgie orthopédique de la jambe au cours des 3 derniers mois ; les patients souffrant de troubles médicaux graves, chez qui l’exercice pourrait être dangereux, qui s’exercent déjà à l’objectif de l’intervention, qui sont incapables de marcher sans symptômes ischémiques et ceux qui ne présentent pas de symptômes ischémiques lors de la marche.

 

Protocole de l’étude

Étude randomisée, contrôlée, multicentrique

  • avec trois groupes : entraînement à la marche de faible intensité (n = 116), entraînement à la marche d’intensité élevée (n = 124), groupe témoin sans exercice (n = 65)
  • lors de séances hebdomadaires supervisées au centre médical pendant 4 semaines, tous les participants des groupes intervention, utilisant un podomètre, ont appris à marcher à faible intensité (nombre de pas par minute sans éprouver de claudication après 5 minutes de marche) et à intensité élevée (nombre de pas par minute déclenchant une claudication modérée à sévère après 5 minutes de marche) ; puis ils ont été invités à marcher à domicile cinq fois par semaine pendant 50 minutes à un rythme de marche de faible intensité ou d’intensité élevée en fonction du groupe intervention dont ils faisaient partie ; un coach a utilisé les données enregistrées par le podomètre concernant la fréquence, la durée et l’intensité des séances d’exercices pour, chaque semaine par téléphone, demander aux participants de respecter le programme d’entraînement convenu ; le rythme de marche correspondant à une faible intensité et à une intensité élevée a été ajusté individuellement après un mois, après 3 mois, après 6 mois et après 9 mois ou lors de changements dans l’état de santé du participant 
  • les participants du groupe témoin ont suivi, chaque semaine, des séances d’éducation sur des sujets de santé, pendant 4 semaines au centre médical et ensuite par téléphone 
  • l’étude a duré 12 mois au total.

 

Mesure des résultats

 

Résultats

  • résultats du critère de jugement primaire : après 12 mois, on a observé, avec le test de marche de 6 minutes, une réduction moyenne de 6,5 m dans le groupe faible intensité contre une augmentation moyenne de 34,5 m dans le groupe intensité élevée (différence moyenne de - 40,9 m avec IC à 97,5% de -61,7 m à -20 m ; p < 0,001) ; il n’y avait pas de différence entre le groupe faible intensité et le groupe témoin, mais bien entre le groupe intensité élevée et le groupe témoin (différence moyenne de 49,6 m avec IC à 97,5% de 24,3 m à 74,9 m ; p < 0,001)
  • résultats des critères de jugement secondaires :
    • après 12 mois, on a observé dans le groupe intensité élevée, par rapport au groupe faible intensité, une amélioration statistiquement significative de la distance de marche maximale sur un tapis roulant, mais pas du score WIQ pour la distance et la vitesse, ni du score SF-36 
    • après 12 mois, on a observé dans le groupe faible intensité, par rapport au groupe témoin, une amélioration statistiquement significative du score WIQ pour la distance et la vitesse, mais pas pour le score SF-36, ni pour la distance de marche maximale sur un tapis roulant 
    • après 12 mois, on a observé dans le groupe intensité élevée, par rapport au groupe témoin, une amélioration statistiquement significative du score WIQ pour la distance et la vitesse ainsi que pour la distance de marche maximale sur un tapis roulant, mais pas pour le score SF-36. 

Conclusion des auteurs 

Chez les patients atteints de maladie artérielle périphérique des membres inférieurs, pour augmenter la distance de marche sur 6 minutes, un programme d’exercices à domicile avec marche à faible intensité est significativement moins efficace qu’avec marche à intensité élevée et ne présente pas de différence statistiquement significative par rapport à un groupe témoin sans exercice. Ces résultats ne soutiennent pas l’utilisation de la marche à faible intensité à domicile pour améliorer la performance objective de la marche chez les patients atteints de maladie artérielle périphérique.

 

Financement de l’étude

Cette étude américaine a été financée par une bourse du National Heart, Lung and Blood Institute, et a été soutenue par le National Institute on Aging Intramural Division et par le Brown VA Medical Center. Le ou les bailleurs de fonds n’ont influencé aucun aspect de cette étude.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Un des auteurs a déclaré recevoir de la part d’entreprises des fonds de recherche pour financer des études qui n’ont pas de rapport avec cette étude-ci ; un auteur reçoit une bourse personnelle d’un conseil scientifique de l’entreprise Actigraph ; un auteur reçoit une bourse de l’American Heart Association.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Pour cette étude randomisée, contrôlée, multicentrique, les participants ont été recrutés au moyen de listes de patients, par le biais de recommandations, avec des cartes postales et de publicités. Les critères d’inclusion et d’exclusion ont été clairement définis. Les chercheurs ont opté pour une randomisation non équilibrée parce que le nombre de participants requis pour montrer une différence statistiquement significative sur le critère de jugement principal entre le groupe faible intensité et le groupe témoin était moins important que pour la différence entre le groupe faible intensité et le groupe intensité élevée. Ils ne motivent toutefois pas clairement ce choix (3). Comme le calcul de la puissance a tenu compte de deux comparaisons (faible intensité contre intensité élevée et faible intensité contre absence d’exercices), le seuil de signification statistique pour le critère de jugement principal a été réduit de 0,50 à 0,25. Le secret d’attribution a été respecté et l’évaluation de l’effet a été réalisé en aveugle. Le taux d’abandon supposé était de 15%. Ce pourcentage n’a pas été atteint pour le groupe faible intensité et le groupe témoin, mais il a été atteint pour le groupe intensité élevée. On ne connaît pas la raison de cette différence, il est possible que cela ait entraîné un biais dans le résultat.

 

Interprétation des résultats

Les résultats de cette étude montrent que les exercices sous forme de marche à domicile, non directement supervisés mais soutenus par l’utilisation d’un accéléromètre et par télécoaching hebdomadaire, est statistiquement efficace dans l’amélioration de la distance de marche sur 6 minutes à condition d’avoir pour objectif une intensité élevée déclenchant des symptômes ischémiques. Il convient de noter que le temps d’exercice était deux fois plus court que dans le groupe faible intensité (moyenne 77 contre 145 minutes par semaine). Une précédente étude permet de considérer comme cliniquement pertinente une différence au test de marche de 6 minutes, après 12 mois, de 50 m entre le groupe intensité élevée et le groupe témoin et de 40 m entre le groupe intensité élevée et le groupe faible intensité (4). Il reste toutefois difficile d’en déterminer l’impact sur les capacités fonctionnelles quotidiennes du patient. Cette étude ne montre pas non plus quelle sera la permanence de l’effet. De plus, il existe une discordance importante entre les paramètres objectifs et subjectifs. Par exemple, on a observé une augmentation de la distance de marche sur 6 minutes dans le groupe intensité élevée par comparaison avec le groupe faible intensité, sans différence dans le score WIQ ni dans le score SF-36 et, dans le groupe faible intensité par comparaison avec le groupe témoin, il n’y avait pas d’augmentation de la distance de marche sur 6 minutes mais bien du score WIQ. Le fait que les participants n’étaient pas en aveugle peut avoir influencé leur réponse aux questionnaires subjectifs.

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Il est fortement recommandé de traiter les patients atteints de maladie artérielle périphérique des membres inférieures symptomatique au moyen d’exercices accompagnés afin d’augmenter la distance de marche (5). La marche sera privilégiée (5). On recommande un programme de séances d’au moins 30 minutes, trois fois par semaine, pendant six mois (5). Aucune recommandation ne peut être formulée quant à l’intensité de l’entraînement. Tant les programmes d’exercices à faible intensité qu’à intensité élevée semblent entraîner une augmentation de la distance de marche (5).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée, contrôlée, multicentrique, bien conçue, montre qu’un programme d’exercices à domicile d’une durée de 12 mois dans lequel les patients atteints de maladie artérielle périphérique des membres inférieurs marchent à intensité élevée (jusqu’à déclencher des symptômes ischémiques) avec un podomètre et des conseils par téléphone est efficace pour augmenter la distance de marche. On ne sait pas dans quelle mesure cette augmentation de la distance de marche se traduit également par une amélioration subjective des performances de marche et une amélioration de la qualité de vie.

 

 

* Pression systolique moyenne de deux mesures de pression artérielle (en utilisant une sonde Doppler) de l’artère dorsale du pied et de l’artère tibiale postérieure aux deux jambes, divisée par la pression systolique moyenne de deux mesures à l’artère brachiale gauche et droite.

 

** Test de montée sur la pointe du pied : le patient étant debout, il est invité à soulever le talon à raison d’au moins une fois par seconde et ce pendant 30 secondes (Amirhamzeh MM, Chant HJ, Rees JL, et al. A comparative study of treadmill tests and heel raising exercise for peripheral arterial disease.Eur J Vasc Endovasc Surg 1997;13:301-5. DOI: 10.1016/S1078-5884(97)80102-5)

 

 

Références 

  1. Zwaenepoel B. Claudication intermittente : le programme d‘exercices supervisés est-il meilleur qu’un programme d’exercices à domicile ou que le conseil de se promener ? Minerva bref 15/10/2018.
  2. Hageman D, Fokkenrood HJ, Gommans LN, et al. Supervised exercise therapy versus home-based exercise therapy versus walking advice for intermittent claudication. Cochrane Database Syst Rev 2018, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD005263.pub4
  3. Chevalier P. Randomisation numériquement inégale : influence sur les résultats ? MinervaF 2017;16(7):184-5.
  4. McDermott MM, Tian L, Criqui MH, et al. Meaningful change in 6-minute walk in people with peripheral artery disease. J Vasc Surg 2021;73:267-76.e1. DOI: 10.1016/j.jvs.2020.03.052
  5. GPC kinésithérapeutique L'artériopathie oblitérante symptomatique. Ebpracticenet. KNGF, mis à jour: 09/11/2016.

 

 




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